« Renationaliser la dette priverait l’économie de fonds précieux »

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Par JOL Press Publié le 17 janvier 2013 à 9h03

Faut-il renationaliser la dette ? Faut-il faire en sorte que la dette publique de la France soit davantage détenue par des résidents nationaux ? Face aux tensions observées sur les marchés financiers internationaux, face aux risques générés par les verdicts des agences de notation souveraine, le débat a été relancé, porté notamment par des responsables politiques de droite comme de gauche. JOL Press a souhaité demander son avis à Philippe Crevel, économiste et secrétaire général du Cercle des Epargnants. Entretien.

34% de la dette française est détenue par des résidents nationaux. Est-ce, selon vous, bon ou mauvais signe ?

Philippe Crevel : De mon point de vue, c’est plutôt bon signe. Le signe que la France parvient encore à placer sa dette à l’extérieur de la France. Au sein de la zone euro, la France est plutôt dans la moyenne haute au regard de la détention de sa dette par des non-résidents nationaux. C’est le signe d’une certaine attractivité de la dette française et nous n’observons pas de véritable défiance envers les emprunts français. À l’inverse, la renationalisation est beaucoup plus rapide en Italie et en Espagne. Et cela permet aussi qu’il n’y ait pas une trop grande mobilisation de l’épargne nationale au service du financement de la dette. L’argent des épargnants peut donc être utilisée autrement, plus efficacement et profiter davantage à l’activité économique.

34% de la dette française détenue par des résidents nationaux contre 68% en 1993. Comment s’explique ce mouvement de dénationalisation de la dette sur le long terme ?

Philippe Crevel : Tout d’abord, il y a l’influence de la globalisation ou mondialisation, la dérégulation des marchés financiers et la financiarisation de l’économie. Ensuite, l’euro a joué un rôle important dans la dénationalisation de la dette. Aujourd’hui, les deux-tiers de la dette française sont détenus par des résidents de la zone euro (dont la moitié seulement sont des Français). C’est une des conséquences de la disparition des risques de change à partir de l’entrée en vigueur de l’euro au 1er janvier 1999. Dans ce nouveau contexte, les opérateurs financiers – les banques, en particulier - ont eu tendance à diversifier l’origine des titres publics qu’ils détiennent. Enfin, on est passé d’un système archaïque de financement de la dette publique par de grands emprunts ponctuels – comme c’était le cas sous de Gaulle, Pompidou ou Giscard d’Estaing – avec l’émission de bons du Trésor, à un financement permanent par l’émission régulière de lignes d’emprunt sur les marchés internationaux.

Des voix s’élèvent sur l’ensemble de l’échiquier politique en faveur d’une renationalisation de la dette. Vous y êtes favorable ?

Philippe Crevel : D’une certaine manière, pour un État, c’est une situation rassurante. Un créancier national peut, dans une certaine mesure, être davantage mal traité. Et, dans ce cas, l’emprunt devient un impôt déguisé, parfois moins rémunéré et, éventuellement, obligatoire. J’estime, pour autant, que ce n’est pas nécessairement un signe de bonne santé pour un pays que de compter essentiellement sur les créanciers nationaux. L’Italie, récemment, y a eu massivement recours, c’était une manière de gagner du temps et d’échapper à des taux d’intérêt en forte hausse sur les marchés financiers. Le Trésor italien empruntait à 7% sur les marchés et il a offert aux épargnants italiens un taux de 4%. On avance souvent l’exemple japonais où les résidents nationaux détiennent 90% de la dette nationale. C’est possible tant que le Japon connait des excédents commerciaux et dispose à travers ceux-ci de fortes ressources. Mais, si cela venait à changer, le recours aux créanciers internationaux deviendrait indispensable. Il ne faut pas oublier qu’une dette nationale fortement nationalisée cela signifie que l’allocation de l’épargne va vers l’État au lieu d’aller vers les entreprises et le financement de l’économie réelle. Cela confère à un pays une certaine indépendance mais cela le prive de précieux capitaux pour le développement de son économie nationale.

Quel pourrait être pour les épargnants l’intérêt de l’émission d’un emprunt d’État « à l’ancienne », sous la forme de bons du trésor, par exemple ?

Philippe Crevel : Cela dépend du taux d’intérêt offert. Si l’État en fait une démarche teintée de nationalisme, alors le taux peut être faible et cet emprunt, qu’il soit obligatoire ou pas, est comme un impôt déguisé. Si, au contraire, la démarche se veut incitative, le taux sera attractif et, au final, très coûteux pour l’État ou la collectivité publique qui emprunte. Ainsi, au cours des dernières années, des régions françaises, comme le Limousin ou PACA, ont eu recours à l’emprunt auprès du public et les taux d’intérêt ont été de 0,5 à 0,6% supérieurs aux taux du marché.

Si le Trésor français lançait un vaste emprunt d’État, les épargnants français auraient-ils des raisons de craindre un non-remboursement ?

Philippe Crevel : La crise financière nous a rappelé qu’aucun État n’était totalement à l’abri d’un défaut de paiement. La France reste la deuxième meilleure signature de la zone euro, après l’Allemagne, et elle ne pose pas de problème à court ou moyen terme – même si la conjoncture économique continuait à se dégrader.

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