L’automne arabe

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Par Gilles Sengès Modifié le 17 septembre 2012 à 4h02

La nouvelle vague de violences suscitée dans le monde musulman contre les Etats-Unis n’arrive pas au meilleur moment pour les pays du « printemps arabe ». Tous les efforts menés par la Tunisie, l’Egypte et la Libye pour faire revenir touristes et investisseurs internationaux après les révolutions de 2011 risquent, en effet, d’être totalement mis à mal.

Alors que le coût des évènements qui ont secoué la région (en incluant aussi la Syrie, Bahrein et le Yemen) était estimé, il y a un an, à 55 milliards de dollars (environ 40 milliards d’euros) par l’agence de consulting en intelligence économique Geopolicity, la note continue de s’alourdir et les nouveaux régimes en place connaissent beaucoup de mal à remonter la pente. L’enjeu est d’autant plus important qu’il leur faut résoudre impérativement la question du chômage, particulièrement celui des jeunes, l’un des détonateurs des révoltes de l’an dernier. L’automne, si ce n’est l’hiver, semble pointer à l’horizon.

La Tunisie a pris de plein fouet son absence du classement 2012-2013 de l’indice mondial de la compétitivité établi par le forum de Davos, publié récemment, à cause d’un « manque de clarté dans les données et l’impossibilité de les comparer avec les années précédentes ». Le pays qui figurait encore au quarantième rang de ce hit-parade, l’an dernier, a aussi vu sa note dégradée, au printemps, au rang d’emprunteur spéculatif (BB) par Standard & Poor’s. L’agence de notation américaine voit le déficit budgétaire atteindre 7 % du produit intérieur brut à la fin de l’année et le taux d’endettement du pays grimper à 49 % en 2013. Le limogeage, au début de l’été, du gouverneur de la banque centrale de Tunisie, un ancien économiste de la Banque Mondiale jugé trop indépendant par le pouvoir, a été sanctionné dans la foulée par Moody’s (Baa3). Depuis, la banque centrale ne cesse de démentir les rumeurs de dévaluation du dinar qui vont bon train. Pour sa part, Moncef Marzouki, le président de la République tunisienne, s’attache à convaincre l’extérieur que son pays n’est pas sur le point de verser dans le salafisme.

Alors que le tourisme représente sa principale source de devises, l’Egypte a vu le nombre de ses visiteurs tomber de 15 millions, en 2010, à une dizaine de millions, l’an dernier avec des recettes de 8,8 milliards de dollars contre 13 milliards auparavant. Résultat, ses réserves de change ont chuté de 35 milliards à 14,4 milliards de dollars. Issu du mouvement des Frères musulmans, le nouveau président égyptien Mohamed Morsi se voit donc contraint de tirer les sonnettes alors que les besoins immédiats du pays sont estimés à 10 milliards de dollars. Assuré du soutien du Qatar et de l’Arabie Saoudite, il a sollicité le FMI pour un prêt de 4,8 milliards de dollars contre 3,2 milliards précédemment. Mais l’appui des Etats-Unis semble plus problématique d’autant qu’après avoir fait son premier déplacement officiel en Chine, le président égyptien s’est rendu, par la suite, en Iran. Pas de quoi calmer les inquiétudes de Washington. La passivité des autorités et la condamnation tardive des attaques menées contre l’ambassade américaine au Caire n’ont pas été appréciées non plus. Tout cela n’augure pas d’un accueil très chaleureux pour Mohamed Morsi qui doit se rendre, à la fin du mois, en visite outre-Atlantique.

Pays où semble régner la plus grande anarchie, la Libye semble, paradoxalement, mieux tirer son épingle du jeu que ses voisins. Il est vrai que la production pétrolière a redémarré à 90 % et que le dégel des avoirs libyens à l’étranger a représenté une manne de près de 174 milliards de dollars. Résultat, la croissance est repartie sur des bases de 14 % cette année et le budget devrait afficher un surplus représentant plus de 13 % du PIB. Si les autorités provisoires n’ont pas tardé à condamner la mort de quatre diplomates américains dont l’ambassadeur des Etats-Unis en Libye lors d’une attaque contre le consulat US à Benghazi, le 11 septembre dernier, la situation politique avec la montée en puissance des salafistes est loin d’être rose. Rebâtir le pays dans ces conditions semble un pari osé.

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Ancien rédacteur en chef des Échos, Gilles Sengès a été correspondant en Grande-Bretagne, aux États-Unis et en Espagne.

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