Le prix du pétrole n’est pas négatif !

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Par Stéphane Déo Publié le 21 avril 2020 à 13h13
Petrole Prix Negatifs 1
20 DOLLARSLe pétrole Brent est resté au-dessus des 20 dollars le baril le 20 avril 2020.

Il est excessif de dire que le prix du pétrole est négatif. C’est un contrat future avec échéance en mai 2020 qui est effectivement passé en négatif. Les fondamentaux jouent un rôle très important pour maintenir les cours du baril à des niveaux très bas. Les mécanismes de marché expliquent le carnage d’hier soir sur ce contrat spécifique.

Point de marché : le prix du pétrole en négatif !

Les taux d’intérêts en négatif étaient impensables il y a encore peu. On y est.

Le prix de l’énergie négatif était lui aussi était impensable. On a eu néanmoins par le passé le prix de l’électricité en Europe qui est passé en négatif à plusieurs reprises : il coute moins cher à un producteur de vendre à prix négatif que d’arrêter certaines centrales, par exemple les centrales nucléaires. On avait aussi eu, il y a quelques semaines, un obscur contrat sur du pétrole brut de mauvaise qualité dans l’Oklahoma qui avait eu un prix négatif à -0,19 dollar parce que les producteurs là aussi préféraient payer que de couper la production.

Mais le graphique ci-dessous, que vous allez voir et revoir aujourd’hui est proprement incroyable. Le contrat future de mai sur le pétrole WTI, est passé à -38,94 dollars hier soir.

Que s’est-il passé ?

D’abord les fondamentaux. La demande de pétrole s’est effondrée à cause de la crise liée au coronavirus. L’offre, elle n’a pas suivi dans les mêmes proportions, les baisses de productions annoncées par l’OPEP la semaine dernière, 9,7 mbj, représentent un tiers de la baisse estimée de la demande.

De plus il est assez difficile pour un producteur de réduire, et encore plus d’arrêter, un puits pétrolier. Des à-coups dans la production créent souvent des dommages irréversibles dans les couches géologiques et diminuent donc la productivité à long terme du puits. D’où la résistance de la production à la baisse et la suspicion que la « baisse de production » de l’OPEP n’était en grande partie qu’un stockage temporaire.

Trop d’offre et une demande qui s’effondre ont amené les prix du pétrole à des niveaux très bas, le Brent de la mer du nord est ce matin à 25 dollars le baril.

Pour passer en négatif il faut néanmoins ajouter un élément de plus. Le contrat future mai 2020 sur le WTI était « livrable » : dit autrement si vous avez acheté ce contrat et vous ne le revendez pas avant sa date limite (hier soir) vous devez recevoir, physiquement, le pétrole que vous avez acheté. Hors il ne reste absolument plus de capacité de stockage dans le monde. Il est donc très difficile de recevoir du pétrole, tous les intervenants ont donc dû revendre leurs contrats « mai 2020 » quel qu’en soit le prix, même négatif. Il faut d’ailleurs remarquer que cette aberration est limitée au pétrole WTI coté à New-York, le contrat équivalent sur le Brent de la mer du nord est resté positif au-dessus de 20 dollars.

La raison : des ETF qui permettent aux investisseurs d’être exposés aux prix du pétrole sans avoir à se soucier du marché physique. Le graphique ci-dessous montre que l’encours de ces ETF a explosé ces dernières semaines. Evidemment cet ETF n’a pas vocation à recevoir du pétrole physique et encore moins à le stocker, il a donc dû liquider, quel que soit le prix, ses contrats futures, arrivant à échéance. D’où le carnage sur les marches.

Joyeux anniversaire Rome !

Les amoureux d’histoire ne peuvent ignorer que c’est aujourd’hui l’anniversaire de Rome, fondée le 21 avril 753 av. J.-C. Joyeux 2773ème anniversaire !

Et donc on ne pouvait pas ne pas parler d’Italie aujourd’hui. S’il est vrai que l’Italie se débat avec ses problèmes politiques (depuis 2773 ans donc, rien de nouveau sous le soleil romain) et sa montagne de dette publique, on oublie une des spécificités italiennes : une position extérieure solide ! Hier, les chiffres de balance des paiements ont été publiés et montrent, une fois de plus un surplus conséquent, de l’ordre de 3% du PIB, qui d’ailleurs a beaucoup progressé depuis le début de l’année.

Pourquoi est-ce important ? Pour au moins deux raisons.

D’une part une balance des paiements est aussi la différence comptable entre ce que produit et ce que consomme une économie ; une balance des paiements déficitaire est donc le signe d’une économie qui vit au-dessus de ses moyens. Et souvent le rééquilibrage passe par une récession, ce fut le cas de l’Espagne ou, plus spectaculaire, de la Grèce il y a une décennie. Au moins l’Italie n’a pas besoin de cet ajustement.

D’autre part un défaut de dette souveraine est très efficace lorsque cette dette est détenue par des étrangers : l’état diminue ses dettes au détriment des investisseurs étrangers. Mais la position extérieure nette de l’Italie, c’est-à-dire ce que les italiens doivent aux étrangers moins ce que les étrangers doivent aux italiens, est quasiment à zéro. Un minuscule 1,7% du PIB fin 2019 d’après Eurostat alors que la position nette de la France est de -23% et celle de la Grèce … -151% ! La dette italienne est en effet essentiellement détenue par des italiens eux-mêmes, un défaut n’allégerait donc en rien le cout pour l’Italie, il ne ferait que le répartir différemment entre italiens.

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Stéphane Déo est stratégiste chez La Banque Postale Asset Management. Il est diplômé d'HEC, a un DEA en économie à l'Ehess (Ecole des hautes études en sciences sociales) et un doctorat en finances à HEC. Il a effectué des études post-doctorales à l'université de Berkeley (Californie). Après l’OCDE et Goldman Sachs, il travaille chez UBS en 2001 comme économiste puis stratégiste jusqu’en 2015. Il poursuit son expérience chez Empirical Research Partners comme stratégiste actions globales.

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