En politique aussi, la mauvaise monnaie chasse la bonne

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Par Jean-Marc Sylvestre Modifié le 13 décembre 2022 à 20h41

Tous les étudiants (ou presque) connaissent la loi de Gresham, du nom de ce commerçant et financier anglais Thomas Gresham (vers 1519 -1579), qui avait constaté que, lorsque deux monnaies se trouvent simultanément en circulation avec un taux de change légal fixe, les agents économiques préfèrent conserver la « bonne » monnaie, et par contre, utilisent pour payer leurs échanges la « mauvaise » dans le but de s’en défaire au plus vite. La mauvaise tue la bonne. Cette loi doit aussi s’appliquer en politique dans nos vieilles démocraties. Tant les mauvaises politiques, les plus dévaluées et les plus démagogiques occultent, hypothèquent, et finalement, chassent les bonnes politiques, c’est-à-dire celles qui seraient les plus courageuses et les plus responsables.

La présidence française nous en offre l’illustration tous les jours. Plutôt que d’engager de vraies réformes, qui auraient pour effet de remettre durablement le pays sur la voix de la modernité, elle tergiverse, louvoient pour finalement ne pas décider, ou pour gagner en permanence du temps en espérant qu’il résoudra le problème. Le temps ne résout jamais rien. Il aggrave le mal. Tous les médecins le savent. Plus on intervient vite, plus on a de chance de réussir. François Hollande a été élu parce qu’il y avait une majorité de Français en situation de souffrance. Mais il a été élu en présentant un diagnostic faux.

Selon lui, il n’y a pas de crise mondiale, il n’y a qu’un mauvais management. Il a été élu avec un bouquet de promesses irréalisables. Les conditions de l’élection l’obligeaient à fabriquer de la fausse monnaie. Voyant les dégâts de cette fausse monnaie, il a essayé de redresser la situation. Il a pris en compte la crise mondiale, il a reconnu le problème majeur de compétitivité, mais là encore, il n’en tire pas les conséquences. Il espère que les décisions seront prises par d’autres, par la commission de Bruxelles pour l’assainissement budgétaire, par les partenaires sociaux pour ce qui est de l’organisation du travail.

La façon dont le gouvernement en arrive à préparer une politique d’austérité sur les dépenses publiques est assez étonnante. Pour l’expliquer aux fonctionnaires français (ceux de l’État, des collectivités locales et des organismes sociaux qui constituent le cœur de son électorat), il commence par dire qu’à cause de la crise il va falloir réduire le montant des dépenses publiques. Il ajoute que la commission de Bruxelles est investie, par des traités signés par la France, d’une mission de contrôle et de surveillance et que cela nous oblige à respecter des normes draconiennes. Plus grave, il en arrive à dire qu’il faut faire cet effort mais laisse certains diffuser l’idée que cette austérité généralisée à l’Europe tout entière alimentent la récession. Au championnat d’Europe de l’hypocrisie on a une vraie chance d’accéder au podium.

Le résultat de tout cela, c’est que Jérôme Cahuzac a péniblement réussi à présenter un plan d’économies de 5 milliards, après qu’on ait essayé de le dévaluer, en lui collant sur le dos une sale affaire de soupçon de blanchiment d’argent en Suisse. La mauvaise politique chasse la bonne. Cette mauvaise politique a réussi, une fois de plus, à ne pas dire la vérité et nous obligera dans six mois ou dans un an à revenir à la charge parce que la commission de Bruxelles qui gère la copropriété européenne nous demandera de payer les charges que l’on ne paye pas depuis longtemps. La bonne politique eut été de reconnaitre haut et fort que les services publiques coûtent trop cher et ne sont pas assez productifs. La bonne politique eut été d’expliquer que l’intérêt d’un pays est de tout faire pour protéger les systèmes, les mécanismes et les créateurs de richesse.

La réforme de l’organisation du travail et des institutions sociales et la réforme des régimes de retraite ont été confiées aux partenaires sociaux. C’est habile de faire prendre des décisions douloureuses par d’autres. Sauf que les décisions ne sont pas prises. Les partenaires sociaux s’entendent sur des vagues compromis qui ne tiendront pas très longtemps face à la réalité. Les accords de flexi-sécurité organisent beaucoup plus la sécurité des parcours professionnels que la flexibilité et la mobilité de ces mêmes personnels. Pour favoriser les embauches, la sécurité c’est bien mais la mobilité c’est mieux. Or, ce dont on a besoin c’est de rassurer le chef d’entreprise pour qu’il se décide à créer des emplois. L’accord salarial signé chez Renault, par exemple, va plus loin et s’avère beaucoup plus courageux donc prometteur que l’accord signé au niveau national.

Sur les retraites, on assiste actuellement au même marchandage.

On tricote un arrangement ou on fera payer un peu les entreprises et un peu les retraites mais ça ne sera jamais suffisant pour stabiliser le système. La bonne politique eut été d’installer un système par points. Le montant de la pension de retraite étant calculée en fonction du nombre de points acquis pendant la vie active. Dans ce cas, l’équilibre aurait été garanti quelque soit l’âge de départ à la retraite. Dans ce cas, ceux qui peuvent et qui veulent travailler plus sont en mesure de le faire. Ni la droite, ni la gauche, n’ont eu le courage de proposer un tel système.

Les partenaires sociaux sont parfaitement conscients que l’avenir appartient à un système à la carte où il faudra mettre un peu de capitalisation pour doper le moteur de la sacro sainte répartition. Mais les partenaires sociaux français ne sont pas comme les Allemands. Les partenaires sociaux allemands peuvent gérer le système parce qu’ils sont représentatifs des salariés et habités par une logique de compromis débouchant sur des solutions durables.

Les partenaires sociaux Français ne sont pas représentatifs.

Le taux de syndicalisation est ridicule en France et nous vivons depuis 50 ans dans une logique de conflit et de lutte des classes. Cette idée que la lutte des classes serait d’actualité est d’ailleurs partagée, encore aujourd’hui, par une majorité de ceux qui soutiennent François Hollande. Comment dans ces conditions, développer une politique économique et sociale qui préserve l’avenir. Un avenir dominé par la mondialisation de l’économie, la concurrence internationale et la course à l’innovation. En politique aussi la mauvaise monnaie chasse la bonne. La France n’a pas le privilège de ce genre de perversion. En Italie, on le voit, Berlusconi et Pepe Grillo n’appartiennent pas au clan des dirigeants politiques très présentables. Ils sont pourtant légitimes puisqu’ils sont des produits de la démocratie. Mais la démocratie fonctionne souvent au carburant du populisme, de la démagogie et par conséquent de la fausse monnaie.

Comment se fait-il, dans ces conditions, que l’euro soit encore aujourd’hui une monnaie forte, une bonne monnaie reconnue comme telle dans le monde entier ? Pour deux raisons :

La première raison c’est que l’euro s’appuie sur une économie européenne dont les fondamentaux sont bons. L’Europe pourrait quasiment vivre sur elle-même. Les pays européens ont, en théorie, toutes les ressources, tous les moyens et les outils de son indépendance. Il suffirait donc, de peu de choses, pour que l’Europe puisse se redresser. Un peu de courage politique et de vérité. Un peu de bon sens à partager.

La deuxième raison, c’est que la crédibilité de l’euro nous est apportée par l’Allemagne. En fait, tout se passe comme si l’Allemagne nous prêtait son triple A. D’où l’impérieuse nécessité de rester dans sa roue. L’Allemagne ne nous fait pas de cadeaux pour autant. En contrepartie, elle arrose le grand marché européen de ses produits. Sauf que cet équilibre d’interdépendance est de plus en plus compliqué à tenir. La France qui est la deuxième puissance économique en Europe a une responsabilité considérable dans le maintien de cet équilibre. D’autant que dans la gestion de la relation franco- allemande, la France ne dit pas la vérité. Les dirigeants français savent très bien que nous avons besoin de l’Allemagne mais ils ne l’assument pas devant leur majorité. Plus grave, ils ne sont pas loin de raconter que la politique « dictée » par l’Allemagne nous conduit à la dépression. Ce discours n’est ni sérieux, ni responsable. On ne peut pas tous les jours pairs critiquer son voisin de palier, alors que les jours impairs on va lui demander de payer des factures à notre place. Là encore, la France ne pourra pas indéfiniment faire le choix de la mauvaise monnaie.

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Après une licence en sciences économiques, puis un doctorat obtenu à l'Université Paris-Dauphine, il est assistant professeur à l'Université de Caen. Puis il entre en 1973 au magazine L’Expansion, au Management, à La Vie française, au Nouvel Économiste (rédacteur en chef adjoint) puis au Quotidien de Paris (rédacteur en chef du service économie). Il a exercé sur La Cinq en tant que chroniqueur économique, sur France 3 et sur TF1, où il devient chef du service « économique et social ». Il entre à LCI en juin 1994 où il anime, depuis cette date, l’émission hebdomadaire Décideur. Entre septembre 1997 et juillet 2010, il anime aussi sur cette même chaîne Le Club de l’économie. En juillet 2008, il est nommé directeur adjoint de l'information de TF1 et de LCI et sera chargé de l'information économique et sociale. Jean-Marc Sylvestre est, jusqu'en juin 2008, également chroniqueur économique à France Inter où il débat notamment le vendredi avec Bernard Maris, alter-mondialiste, membre d'Attac et des Verts. Il a, depuis, attaqué France Inter aux Prud'hommes pour demander la requalification de ses multiples CDD en CDI. À l'été 2010, Jean-Marc Sylvestre quitte TF1 et LCI pour rejoindre la chaîne d'information en continu i>Télé. À partir d'octobre 2010, il présente le dimanche Les Clés de l'Éco, un magazine sur l'économie en partenariat avec le quotidien Les Échos et deux éditos dans la matinale.  

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