Précaution et compétitivité : deux exigences compatibles ?

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Par Alain Grangé-Cabane et Brice Laurent Modifié le 19 septembre 2014 à 5h58

La proposition d'inscrire un « principe d'innovation » dans la législation française, votée en première lecture au Sénat le 27 mai dernier, a relancé le débat autour du principe de précaution. La Fabrique de l'industrie a mis en place un groupe de travail pluridisciplinaire afin de mesurer les conséquences réelles de ce dernier sur l'activité économique et de mieux comprendre la demande de sécurité exprimée aujourd'hui par les Français. Le groupe de travail, qui rassemblait de nombreux experts aux origines et aux sensibilités différentes, était animé par Alain Grangé-Cabane, alors président de la Fédération des entreprises de la beauté (FEBEA) et vice-président du Groupe des fédérations industrielles (GFI). La note Précaution et compétitivité : deux exigences compatibles ? présente ses réflexions.

Le principe de précaution est inscrit dans la Constitution française depuis le 1er mars 2005, à travers l'article 5 de la Charte de l'environnement. De nombreux observateurs considèrent qu'il est le symptôme d'une société française frileuse face aux risques et qu'il constitue un frein à la compétitivité. L'analyse des législations européenne et internationale révèle toutefois que le principe de précaution n'est pas une spécificité française. Il apparaît par exemple dès 1992 dans le Traité d'Amsterdam, qui indique que les politiques communautaires doivent viser « un niveau de protection élevé, avec une politique fondée sur les principes de précaution et d'action préventive ». Cet article de loi sera par la suite utilisé dans de nombreux textes européens – directive sur les disséminations volontaires et les mises sur le marché d'OGM, règlement REACH sur les produits chimiques, etc. – qui s'imposent aussi bien à la France qu'aux vingt-sept autres membres de l'Union européenne.

Si la « constitutionnalisation » du principe de précaution représente une originalité française, elle n'a pas modifié l'équilibre du droit car elle n'a en elle-même suscité ni nouvelle loi, ni évolution de la jurisprudence. Elle doit être interprétée comme une volonté des pouvoirs publics de marquer leur sensibilité aux enjeux environnementaux et à l'exigence de précaution exprimée par les Français. Cette demande croissante de sécurité, observable dans la plupart des sociétés contemporaines, est dénoncée par certains observateurs comme un facteur de blocage important du développement économique en France. Les pouvoirs publics peuvent en effet être tentés de répondre à cette demande par un foisonnement de règlements et textes juridiques contraignants.

Elle ne signifie pourtant pas que les individus aient une aversion totale au risque. Plus précisément, une personne peut accepter de prendre un risque raisonnable lorsque celui-ci est la contrepartie de bénéfices qu'elle juge importants. Il sera difficile de convaincre quelqu'un de ne pas utiliser son téléphone portable au motif qu'il existe un risque lié aux ondes électromagnétiques. En revanche, pourquoi cette personne accepterait-elle même une présomption de risque pour une technologie si elle ne lui procure pas de bénéfice personnel ? Pourquoi par exemple consommerait-elle des produits alimentaires génétiquement modifiés s'ils ne sont ni moins chers ni plus goûteux qu'un produit classique ? Afin d'anticiper les controverses et permettre une meilleure acceptabilité des activités présentant des risques, une plus grande participation des parties prenantes aux dispositifs de débat public apparaît indispensable. Ces derniers sont malheureusement défaillants en France.

Aux côtés des pouvoirs publics, les entreprises peuvent jouer un rôle pour restaurer la confiance du public. En se tenant à l'écoute des attentes de sécurité des consommateurs et des citoyens, elles peuvent transformer leur démarche de précaution en opportunité de différenciation. Jean-Pierre Clamadieu, président du comité exécutif de Solvay, explique que ce type de démarche ne s'inscrit pas forcément en opposition avec la logique économique. La dégradation des performances en termes de sécurité d'un site de production constitue même selon lui un indicateur avancé de sa baisse de performance économique. Parmi les initiatives intéressantes, on peut citer les commissions locales d'information (CLI), chargées d'informer les riverains d'une installation nucléaire sur le suivi de son activité. Ces exemples révèlent que, dans un environnement incertain, l'industrie doit tenir compte des préoccupations de la société et que ces démarches ne sont pas forcément contradictoires avec l'objectif de compétitivité.

L'intégralité de la note sur la compatibilité entre principe de précaution et la compétitivité est disponible sur le site de La Fabrique de l'Industrie

La Fabriqued e l'Industrie organise également une conférence de sur le sujet le 7 octobre 2014. Pour s'y inscrire, c'est par ici : https://www.la-fabrique.fr/Evenement/1/comment-concilier-principe-de-precaution-et-competitivite

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      Alain Grangé-Cabane   Diplômé de Sciences-Po (Paris) et ancien élève de l’ENA (promotion Charles de Gaulle), Alain Grangé-Cabane entre au Conseil d’Etat en 1972 avant de rejoindre en 1975 l’équipe qui crée la chaîne de télévision Antenne 2 (aujourd’hui France 2). Après douze années à la tête de l’Union des annonceurs (UDA), il prend la présidence de la Fédération des entreprises de la beauté de 1998 à 2014.   Aujourd’hui président exécutif de la société Armelade, il est également membre du conseil d’orientation de La Fabrique de l’industrie.   Brice Laurent   Brice Laurent est ingénieur et sociologue. Il s’intéresse aux relations entre science et démocratie. A travers une approche directement issue des Science and Technology Studies, ses recherches portent sur les dispositifs qui lient les programmes de recherche, la fabrication des objets techniques et la production de différents types de publics. L’objectif est d’analyser la formation d’espaces politiques via l’analyse de sites (dans des arènes réglementaires, de normalisation, d’expertise…) où l’objectivité scientifique et la légitimité démocratique sont mises à l’épreuve.      

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