Brexit : il est inutile de définir un nouveau projet européen

Par Bertrand de Kermel Publié le 27 juin 2016 à 11h00
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12%L'UE a perdu, avec le Brexit, environ 12 % de sa population et 17 % de son PIB.

Les politiques estiment urgent de définir un nouveau projet européen. A mon avis, ils se trompent. Ce projet existe. Il est mobilisateur et il est à mon sens très consensuel.

Par contre, depuis les traités de Lisbonne, iI a été dénaturé quotidiennement par la Commission Européenne. Sur ce sujet on se reportera avec profit à l’interview donnée par Michel Barnier dans « soir 3 », le vendredi 24 juin.

Voyons d’abord le projet. Il est écrit à l’article 3 du traité sur l’UE.

« 1. L'Union a pour but de promouvoir la paix, ses valeurs et le bien-être de ses peuples.

2. L'Union offre à ses citoyens un espace de liberté, de sécurité et de justice sans frontières intérieures, au sein duquel est assurée la libre circulation des personnes, en liaison avec des mesures appropriées en matière de contrôle des frontières extérieures, d'asile, d'immigration ainsi que de prévention de la criminalité et de lutte contre ce phénomène.

3. L'Union établit un marché intérieur. Elle œuvre pour le développement durable de l'Europe fondé sur une croissance économique équilibrée et sur la stabilité des prix, une économie sociale de marché hautement compétitive, qui tend au plein emploi et au progrès social, et un niveau élevé de protection et d'amélioration de la qualité de l'environnement. Elle promeut le progrès scientifique et technique.

Elle combat l'exclusion sociale et les discriminations, et promeut la justice et la protection sociales, l'égalité entre les femmes et les hommes, la solidarité entre les générations et la protection des droits de l'enfant.

Elle promeut la cohésion économique, sociale et territoriale, et la solidarité entre les États membres.

Elle respecte la richesse de sa diversité culturelle et linguistique, et veille à la sauvegarde et au développement du patrimoine culturel européen.

4. L'Union établit une union économique et monétaire dont la monnaie est l'euro.

5. Dans ses relations avec le reste du monde, l'Union affirme et promeut ses valeurs et ses intérêts et contribue à la protection de ses citoyens. Elle contribue à la paix, à la sécurité, au développement durable de la planète, à la solidarité et au respect mutuel entre les peuples, au commerce libre et équitable, à l'élimination de la pauvreté et à la protection des droits de l'homme, en particulier ceux de l'enfant, ainsi qu'au strict respect et au développement du droit international, notamment au respect des principes de la charte des Nations unies.

6. L'Union poursuit ses objectifs par des moyens appropriés, en fonction des compétences qui lui sont attribuées dans les traités ».

Je peux me tromper, mais je suis persuadé que si l’on avait organisé un référendum proposant l’application stricte de cet article 3 dans les 28 pays jeudi dernier, il aurait été approuvé à 80 % au moins des 500 millions de citoyens européens. Il n’y aurait pas eu de Brexit.

Dans ce cas où est le problème ? C’est simple, cet article est piétiné chaque matin par la Commission Européenne avec l’approbation silencieuse de nos politiques. La fin de cet article contient un exemple emblématique, pris parmi mille autres.

Avant cela, que faut-il donc faire depuis le Brexit ?

  • Interpréter et aménager cet article 3 pour qu’on ne puisse plus le dénaturer impunément, sans sa « lettre » et dans son esprit.
  • Modifier le traité pour qu’il soit impossible de piétiner une résolution du Parlement européen sans, à minima, motiver ce refus, et rendre publique cette motivation (traduite immédiatement dans les 27 langues). Par principe, la Commission devrait être tenue d’en tenir compte, et par exception motivée, elle pourrait s’en dispenser. Aujourd’hui, elle fait ce qu’elle veut sans motif et sans contrôle. L’exemple du TTIP avec la résolution du 8 juillet 2015 est même caricatural. (voir : « le bals des faux culs »).
  • Instaurer dans le traité une disposition imposant à la Commission de « mieux légiférer ». Aujourd’hui, c’est le règne des législations inspirées par les lobbies dont on ne dresse jamais le bilan.
  • Coordonner, certes, les politiques économiques, (c’est une évidence) mais dans le cadre d’un fil rouge cohérent avec l’article 3 du Traité sur l’UE.

Dans un prochain article, le Comité Pauvreté et Politique publiera ses propositions. Elles sont simples et compréhensibles par tous. Elles sont travaillées depuis des années. Nous n’avons pas attendu le Brexit pour constater que l’article 3 du Traité sur l’UE était appliqué d’une manière « pipo flûte », sans aucun contrôle ni sanction possible par les peuples.

Venons-en maintenant à un exemple pris parmi mille autres, illustrant l’attitude incompréhensible de la Commission, et donc expliquant (sans pour autant le justifier) le Brexit. Sans un lanceur d’alerte, personne n’en aurait eu connaissance ! Il est emblématique. Il concerne le climat.

Un document interne de la Commission européenne rendu public par l’ONG Corporate Europe Observatory (CEO), le 4 décembre 2015, révèle les instructions données par Bruxelles à ses négociateurs de refuser que le futur accord climatique puisse imposer des limites au commerce.

Il s’agit d’une note présentée par la direction générale "Action pour le climat" de la Commission adressée au comité de la politique commerciale du Conseil, le 20 novembre dernier, c’est-à-dire en amont de la COP21. La position de l’Union européenne (UE) apparaît clairement : « Aucune mention du commerce ne doit figurer dans tout accord sur le changement climatique. Et l’UE est contre "toute mention explicite du commerce", toute mention des droits de propriété intellectuelle, et elle promet que l’UE minimisera "les discussions sur les questions liées au commerce" », indique le CEO.

Cette instruction est la négation absolue du point 3 et de la deuxième phrase du point 5 du projet européen décrit ci-dessus. Accessoirement, cet ordre infligeait une claque (ou plutôt une fessée) monumentale à la France, organisatrice de Cop21, et affaiblissait l’enjeu du dossier climat.

Aucun fonctionnaire raisonnable et intelligent ne peut soutenir que le commerce mondial ne contribue en rien aux émissions de gaz à effet de serre. Cela ne signifie pas qu’il faut stopper le commerce mondial, bien sûr ! Cela signifie seulement que les « néo-ultra-libéraux » (on ne sait pas comment désigner ces doctrinaires psycho rigides) ne reculent devant rien pour faire passer le profit à court terme au-dessus de la gestion des biens communs à l’humanité (le climat). Dans cet exemple, la politique de la Commission va clairement contre les citoyens, notamment les plus pauvres.

Le lendemain de la conférence, tous les hauts responsables politiques français auraient dû cosigner avec le Président Hollande un communiqué cinglant déclarant tranquillement que la France bloquait sa contribution au budget européen, tant que l’auteur de cet instruction imbécile et prédatrice n’aurait pas été licencié sans indemnité.

Avec un tel clash, bien médiatisé sur ce sujet ultra sensible, peut-être que 2% supplémentaires de sujets Britanniques auraient voté pour le maintien dans l’UE…et… tout le monde serait content. Le dossier climat en serait sorti renforcé.

La politique est faite à la fois de symboles et d’actions. Au cas particulier, elle en a manqué cruellement.

Ancien directeur général d'un syndicat patronal du secteur agroalimentaire, Bertrand de Kermel est aujourd'hui Président du comité Pauvreté et politique, dont l'objet statutaire est de formuler toutes propositions pour une "politique juste et efficace, mise délibérément au service de l'Homme, à commencer par le plus démuni ". Il est l'auteur de deux livres sur la mondialisation (2000 et 2012)

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