Le référendum de San Francisco ou la victoire en trompe l’oeil d’Airbnb

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Par Thomas Hennebont Modifié le 9 novembre 2015 à 17h47
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1500 EUROS20 % des offres sur Paris rapportent plus de 1.500 euros par mois et génèrent 75 % du chiffre d'affaires d'Airbnb

Le « référendum Airbnb », organisé mardi 3 novembre à San Francisco, révèle quoi qu’on en dise l’impopularité de la firme californienne, dont l’économie disruptive cristallise le fossé social existant.

« Encore une victoire comme celle-là et il serait complètement défait ». L’expression est aussi ancienne que célèbre : sous la plume de Plutarque, les succès militaires du roi Pyrrhus, bien qu’indéniables, souffraient constamment de quelque contradiction. Comme une consécration à la saveur aigre-douce dont on ne sait s’il faut s’en réjouir ou, au contraire, en redouter les effets. Le génie du penseur grec est assurément d’avoir fait de cet oxymore des temps antiques une sentence toujours vérifiable – et vérifiée – de nos jours. Dernière « victoire à la Pyrrhus » en date ? Le « référendum Airbnb ».

La simple tenue du référendum révèle une certaine impopularité d’Airbnb

Le 3 novembre dernier, les électeurs de San Francisco devaient se prononcer sur la restriction du nombre de locations touristiques dans la ville californienne, berceau de la petite start-up à la valeur mirobolante – près de 25 milliards de dollars. Avec le résultat que l’on sait : la « proposition F », défendue par certains activistes, syndicats hôteliers, et autres petits propriétaires locaux, a été rejetée à 55 %. Grâce à des moyens financiers gigantesques – plus de 8 millions de dollars auront été dépensés par la firme californienne pour sa campagne –, Airbnb permet donc aux propriétaires de louer leurs meublés jusqu’à 90 nuits par an, contre 75 si la proposition avait été adoptée. Une victoire ? Oui, mais à la Pyrrhus, disions-nous.

Non pas qu’à la manière du roi d’Épire, l’entreprise américaine ait perdu des troupes en route, mais la lecture du vote tant commenté peut être double. Car au-delà du résultat chiffré, irréfutable, la simple tenue d’un référendum ne porte-t-elle pas en elle les stigmates d’un désamour grandissant vis-à-vis de la plateforme Internet ? Un désamour qui, de San Francisco à Paris – première destination mondiale des « voyageurs Airbnb » –, se traduit aujourd’hui par la grogne des professionnels de l’hôtellerie, qui voient leur activité fortement concurrencée de manière déloyale – voire, parfois, illégale. Les habitants, quant à eux, associent souvent la montée en puissance d’Airbnb à la flambée des prix de l’immobilier, comme c’est le cas dans la capitale française par exemple.

C’est la combinaison de ces deux combats – commercial et social –, qui a poussé la municipalité californienne à proposer un référendum. Comme le rappelle Pierre Kupferman, rédacteur en chef de BFMBusiness.com, « il y a une envolée des prix de l’immobilier : si vous voulez louer un deux pièces, il faut à peu près 4.000 dollars par mois. Si vous voulez acheter un appartement, c’est 1 millions de dollars ». D’après lui, en effet, « les prix ont augmenté de 60 % en 5 ans », soit à peu près « l’équivalent des prix qui sont pratiqués à Manhattan », parangon du quartier américain riche et attractif. Dont San Francisco, ainsi, tend à se rapprocher. Le journaliste de pointer effectivement du doigt le phénomène d’embourgeoisement que connaît la ville : « Les quartiers les plus populaires de San Francisco ont été gentrifiés ». Un reproche qui n’est d‘ailleurs pas sans rappeler les griefs adressés par les Parisiens aux fondateurs d’Airbnb.

Airbnb propose en réalité un modèle économique disruptif

Dans leur viseur, aujourd’hui : les pratiques de certains propriétaires qui, non contents de louer un appartement, préfèrent en proposer plusieurs sur le site Internet. Et ce avec les rentrées financières – pour eux comme pour la firme – que cela suppose : « 20 % des annonces sur Airbnb à Paris sont portées par des multipropriétaires et représentent un tiers du chiffre d’affaires généré » par l’entreprise, selon l’Umih, principale organisation patronale de l’hôtellerie-restauration. L’organisation syndicale, qui dénonce un « phénomène rampant », se base sur les données apportées par l’entreprise américaine elle-même. Ainsi, « 20 % des offres sur Paris rapportent plus de 1.500 euros par mois et génèrent 75 % du chiffre d’affaires d’Airbnb ». Des chiffres démesurés qui n’ont pas grand chose à voir avec l’essence même du modèle économique dont se réclame pourtant Airbnb : l’économie collaborative.

Lors de sa création, en 2008, ses fondateurs souhaitaient subvenir aux besoins ponctuels de locataires de passages, qu’ils fussent étudiants ou touristes occasionnels. Cette mutualisation de biens et de services – la location d’appartements entre particuliers –, extrêmement facilitée par l’explosion d’Internet, a pu, au départ, être confondue avec ce que l’on appelle la sharing economy – ou économie collaborative. Il n’en est rien. Plutôt que consolider un modèle économique vertueux – dont BlaBlaCar, par exemple, est l’un des représentants, les conducteurs se contentant de « partager » les frais avec leurs clients –, Airbnb s’attache à faire valser ses fondations. Plus disruptive que collaborative, la nouvelle pensée économique – certains parlent de « capitalisme 3.0 » – induite par ces start-up aux financements colossaux, continue en réalité de creuser le fossé existant entre classes sociales. Et, par là même, sa tombe.

En France, la mairie de Paris a commencé à réagir : à l’issue d’un bras de fer engagé avec la société californienne, Anne Hidalgo a obtenu d’Airbnb qu’elle collecte la taxe de séjour – ce qu’elle fait effectivement depuis le 1er octobre – aussi anecdotique soit-elle. En Belgique, la Flandre et Bruxelles, la capitale, se mobilisent également pour que la start-up soit dans les clous, et ce avec le même marteau qu’à Paris : la taxation. Reste à savoir si, dans les prochains mois, une initiative populaire de la même ampleur que le référendum san franciscain naîtra dans l’Hexagone, qui reste la destination privilégiée des « Airbnbistes ».

Car une chose est sûre : les tensions entre, d’un côté, Airbnb et, de l’autre, les professionnels de l’hôtellerie, mais également les habitants qui ne trouvent pas à se loger à moindre coût, seront de plus en plus exacerbées. Et si la « bataille » devait être remportée par la première, cela ne pourrait se faire sans un rééquilibrage drastique de la balance vis-à-vis des seconds. Après tout, Plutarque prêtait également ces mots à Pyrrhus : « Si nous devons remporter une autre victoire, nous sommes perdus ».

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Thomas Hennebont est conseiller en affaires patrimoniales et s'intéresse de près aux nouvelles formes d'économie collaborative dans son domaine.

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