Suppression de l’ENA : la dernière bêtise ?

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Par Olivier Myard Modifié le 25 avril 2019 à 7h31
Ena Administration France Pessimisme Pays

En offrant au « peuple » une victime sacrificielle, le pouvoir exprime son mépris des citoyens, plutôt que d’engager le dialogue et expliquer.

La ficelle est grosse. Elle va à peu de frais procurer une petite joie perverse à tous les frustrés et complexés, sans rien résoudre. Une fois de plus, on va traiter le symptôme plutôt que la cause.

Certes, depuis des décennies, les Français vivent avec deux sentiments, celui d’être mal gouvernés et mal administrés en général, et en particulier par des politiques et des hauts fonctionnaires qui « tous » sortent de l’ENA. Ce qui est complètement faux, mais c’est l’impression qui domine.

On verse dans la démagogie la plus caricaturale, offrant au peuple une victime sacrificielle, en espérant qu’il détourne le regard des vrais problèmes.

On peut certes faire deux reproches majeurs à l’ENA.

D’une part, des épreuves de sélection à l’entrée qui favorisent les candidats bénéficiant d’un bagage culturel acquis en famille, ce qui naturellement conforte la reproduction sociale.

D’autre part, le processus de sortie, avec accès direct aux « grands corps », l’Inspection générale des finances, le Conseil d’Etat, et la Cour des comptes. Cela permet aussi aux plus ambitieux d’utiliser l’ENA comme marchepied pour accélérer leurs carrières, soit dans la politique, soit dans le secteur privé.

Il s'agit d'une dérive, l’ENA n’a pas été créée pour ça !

En revanche, elle permet aux enfants des classes moyennes et défavorisées d’avoir une chance d’accéder aux plus hautes carrières en trois générations, voire deux dans certains cas, plutôt qu’en six au mieux pour la population française.

Pour accélérer le processus de démocratisation, plutôt qu’une suppression, il aurait suffit de modifier les épreuves d’entrée, en réduisant la part de la culture générale acquise grâce à son contexte familial, et en donnant plus de poids à la personnalité, au charisme, à la force de caractère (les méthodes de recrutement du secteur privé donnent des pistes). La réforme initiée en 2013 par la directrice de l’ENA à l’époque, Nathalie Loiseau, devait d’ailleurs répondre, au moins en partie, à ce défi. Mise en oeuvre en 2016, il est encore trop tôt pour en mesurer les effets.

Et pour attirer essentiellement des candidats motivés par le service public plutôt que de risquer l’instrumentalisation de l’ENA pour les plus belles carrières dans les grandes banques et les multinationales, un mesure simple s’impose : déconnecter la procédure de sortie de l’accès à ces fameux « Grands Corps », haute aristocratie, aux privilèges à vie, qui fleurent tant l’Ancien Régime. Bourdieu parlait de noblesse d’Etat.

Si l’on veut vraiment, en profondeur, réformer la haute fonction publique, on pourrait même envisager une fusion des corps de sortie d’ENA (et donc banalisation des actuels grands corps). Mais ceux-ci servant aussi de parkings à hauts fonctionnaires déchus que l’on ne peut pas licencier, ni offrir un parachute doré. Il est peu vraisemblable qu’un gouvernement, quel qu’il soit, ose aller jusque là.

On pourrait aussi rendre plus strictes les règles de pantouflage (recrutement par le privé, pour les compétences… ou le carnet d’adresse?) et forcer à la démission de la fonction publique tous les fonctionnaires se faisant élire parlementaires.

Pour autant, l’Etat ayant toujours besoin de recruter ses futurs directeurs d’administration centrale, ses futurs préfets, ses futurs ambassadeurs, etc. Gageons que l’ENA, à peine supprimée, renaîtra de ses cendres, sous la forme par exemple d’une École Nationale de la République (mettre le mot « république » ou « républicain » partout, ça fait toujours bien même si je n’ose imaginer comment on appellera les fonctionnaires issus de cette institution...).

Si à cette occasion, les épreuves d’entrée sont profondément modifiées, l’accès direct au grands corps à la sortie impossible, les règles de passage dans le privé et la politique sont rendues plus strictes, on peut dire qu’un grand pas aura été franchi. Si c’est pour rien ne change sur ces trois questions, tout restera comme avant. La sagesse du Guépard sera toujours d’actualité.

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ENA, Sciences Po Paris, Olivier Myard est aujourd’hui fonctionnaire international, en poste en Amérique du nord (États-Unis, Canada) depuis 2005. Auparavant, il avait développé sa carrière dans le secteur privé (banque, assurances), mais aussi au sein du réseau international du ministère des finances (Services économiques en ambassade) et auprès des juridictions financières (Cour des comptes, chambres régionales des comptes). Il a passé la moitié de sa vie à l'étranger et outre-mer, mais reste attentif à l’évolution de son pays, avec un regard de l’extérieur.

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