Sur le capital aussi, les principes immatures volent en escadrille

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Par Dominique Michaut Publié le 21 décembre 2017 à 5h00
France Marche Capital Assainissement Finance
3,2 millionsLa France compte 3,2 millions de PME.

Politique économique, assainir le marché du capital (I) – En capitalisme de plus-value, le système économique dispense des résultats de moins bonne qualité sociale et environnementale. Contrer efficacement l’asservissement aux diktats de la finance moderne est pourtant réalisable par quelques réformes d’organisation générale du marché du capital.

Sur le conseil et à l’aide du professeur Jacques Bichot, le premier article que j’ai soumis à Économie Matin a trait aux atouts du capitalisme de rendement par rapport au capitalisme de plus-value (27 octobre 2016). Depuis, j’ai exposé sur cette même antenne des vues d’où découle la possibilité de réorienter la politique économique vers davantage d’équités marchandes et de propreté fiscale, d’abord en arrêtant de prendre des erreurs cardinales pour des vérités fatales. Alors qu’il est démagogique de se faire applaudir en clamant ennemie la finance, la réalité est qu’aux investissements indispensables à la création d’emplois et à leurs améliorations ainsi qu’à bien d’autres redressements, il faut leur financement, ce domaine dans lequel il y a pour les esprits libres le déshonneur du refus des solutions les plus saines.

Au firmament actuel des concepts économiques et des volontés politiques

J’ai ici déjà attiré l’attention sur la normalisation en souffrance du taux de profit (sur capital, Economie Matin du 11 mai). Ce fut l’une de mes interventions dont l’audience a été la plus faible. À une époque où il n’y a jamais eu autant d’économètres et de commissaires aux comptes, et vraisemblablement de partisans de la concurrence économique mieux organisée, on comprend bien qu’il soit inattendu de devoir constater ce qui suit. Les pouvoirs publics n’ont pas encore introduit dans le système des poids et mesures une norme de taux annuel de dividende, comme il y a en matière de crédit un taux annuel effectif global (TAEG). Les causes de cette abstention sont complexes, mais l’une d’elles est évidente dès lors qu’on veut bien s’en laisser aviser.

Le capital exploité et la valeur exploitée par action ne brillent pas au firmament des concepts économiques en vigueur, c’est le moins qu’on puisse en dire. Du coup manque la base 100 nécessaire à un ratio de rentabilité valant pour tout placement en capital de n’importe quelle entreprise juridiquement constituée, depuis les affaires en nom personnel jusqu’aux sociétés anonymes sans oublier d’en passer par les coopératives et les mutuelles ainsi que par les sociétés civiles immobilières et professionnelles. À ce défaut d’organisation de la concurrence s’ajoute qu’une proportion élevée de capital dans le financement des entreprises, et par conséquent une proportion faible de crédits, ne brille pas au firmament des volontés politiques, comme si l’intérêt général commandait d’avancer le plus loin possible dans la voie du créditisme et du chalutage de plus-values plutôt que dans celle du capitalisme de rendement, cette dernière voie étant paraît-il forcément arpentée par des rentiers à euthanasier en tant que tels. Une politique économique rompt avec ces inclinations, bien plus néfastes au plein-emploi que conduit à l’admettre la synthèse néoclassique, à condition d’introduire enfin dans les règles du jeu économique trois publicités obligatoires et deux séries d’analyse officielle.

Les principes immatures volent en escadrille

Le principe de la fiscalité rendue la plus indolore possible pour le corps électoral est lui aussi immature et captieux. Son application pousse au grossissement d’une bureaucratie qui tend à rendre la démocratie plus formelle que réelle, tout en répandant la triple illusion que : 1) les revenus proprement dits ne sont pas au final le principal moyen par lequel le plus gros des impôts est acquitté ; 2) le cours normal de la distribution des revenus est tel qu’il faut pour rendre ce monde plus vivable le corriger avec de la redistribution par voie fiscale ; 3) faire verser par les entreprises une part de leurs bénéfices au Trésor public s’impose à cette fin. Volant de concert sous les ailes grandes déployées d’un patronat que son atavisme n’incline pas aux pleins échanges économiques (Economie Matin du 22 décembre 16), le principe du maximum d’autofinancement des entreprises par bénéfices non distribués est lui aussi immature – et, comme la plupart des principes économiques immatures, captieux.

En l’état actuel des mentalités défraîchies à force d’être douchées de fausse science économique, on ne répétera jamais trop que l’autofinancement par bénéfices non distribués force la main des apporteurs de capital social en leur tenant plus ou moins subliminalement ce discours : « Si après l’affectation des bénéfices, rien ne restait en report à nouveau dans les comptes de l’entreprise, il faudrait émettre de nouvelles parts de capital social, ce qui va – variante 1, dans le cas des actions négociables : à l’encontre du maximum de création de valeur pour l’actionnaire ; – variante 2 dans le cas des actions restituables : à l’encontre de votre capacité à vous enrichir par vos placements (sur les familles de placement en capital, Economie Matin du 13 avril et du 20 avril). Cette ligne de conduite amoindrit les pouvoirs stimulateurs et régulateurs des taux annuels de dividende et éloigne, c’est encore plus évident, du capitalisme de rendement.

Le tropisme des technostructures

Dans les objections à l’option techno-politique pour le capitalisme de plus-value au détriment du capitalisme de rendement se trouvent les deux suivantes. C’est avant tout leurs propres intérêts immédiats que privilégient les technostructures qui jouent la carte de la plus-value au détriment du rendement. Plus les entreprises, dont les établissements financiers, sont asservies par leurs dirigeants à l’obtention du maximum de plus-value, plus elles sont tentées d’ouvrir leurs structures de financement au plus possible d’endettement et, ce faisant, plus elles contribuent à l’instabilité du système économique.

Les principes immatures volant en escadrille et le puits des complications administratives étant sans fond, il rejaillit de temps à autre l’idée qu’un taux d’impôt payé par les sociétés commerciales sur leurs bénéfices doit être allégé pour la part non distribuée et alourdi pour la part distribuée. Il y a une solution toute contraire qui présente trois avantages, l’un systémiquement considérable, les deux autres fiscalement substantielles. 1) Le plein échange actionnarial dont détourne le capitalisme de plus-value serait instauré par un rescrit fiscal. 2) L’assiette d’imposition des revenus de placement en capital deviendrait, pour ainsi dire, tellement mieux remplie avec un impôt en moins que le rendement fiscal des bénéfices de société pourrait être finalement au moins maintenu, voire accru si l’imposition des revenus du travail se révélait plus lourde que celle des revenus de placement – la parité de ces deux niveaux d’imposition procure évidemment au corps social un arbitrage qui lui revient de plein droit : son dosage à lui, selon ses besoins à lui, entre ses deux sources de revenus proprement dits. 3) Le dumping fiscal par l’État le moins disant en proportion des bénéfices d’entreprise à lui verser disparaîtrait. Une politique économique procure ces trois avantages en osant, car c’est dans le droit fil de l’équité marchande et structurellement stimulateur de la croissance premièrement par de nouveaux placements en capital social – en osant, ai-je commencé à dire, réduire le taux de l’impôt payé par les entreprises sur leurs bénéfices distribués jusqu’à rendre ce taux nul.

L’héritage trop peu conscient de l’économie de guerre

L’usage de l’impôt sur les bénéfices des entreprises qui vient d’être indiqué s’admet plus aisément en tenant compte du fait que c’est au cours de la première guerre mondiale qu’a commencé à être mis en œuvre l’expédient fiscal de l’assimilation à des revenus proprement dits des bénéfices des entreprises. Sans pouvoir alors entrer dans des distinguos que les techniques comptables ne permettaient pas encore d’appliquer, il fallait trouver vite de nouveaux gros paquets d’argent à dépenser en armes et en pensions viagères des veuves des morts pour la patrie et des encore plus nombreux jeunes gens irrémédiablement et souvent terriblement handicapés.

Pour nous descendants des générations si lourdement touchées par les conflits qui au siècle dernier ont ruiné l’Europe et davantage, n’est-il donc pas enfin venu le temps de sortir tout à fait de l’économie de guerre, avec ses déficits publics chroniques ? La victoire de la paix se profile à peine partout où l’administration publique est devenue tentaculaire aussi parce qu’elle est massivement enrôlée dans de la guerre économique poursuivie afin d’étancher des soifs de puissance. En l’état actuel d’organisation du marché du capital, les principes immatures volent en escadrilles de chasse et de bombardement.

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Dominique Michaut a été directeur des études du Centre consulaire de formation de Metz puis conseiller de gestion, principalement auprès d’entreprises. Depuis 2014, il administre le site L’économie demain, dédié à la publication d’un précis d’économie objective (préface de Jacques Bichot).

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