Comment faire effectuer des travaux difficiles, voire pénibles ou dangereux et, en outre, mal payés ?

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Par Marc Albert Chaigneau Publié le 5 juin 2014 à 4h01

Depuis maintenant quarante ans que je m'intéresse à la question, je me demande comment il se fait qu'aucun gouvernement, quelle que soit sa couleur politique, n'ai jamais trouvé un moyen efficace pour réduire le chômage, en France et dans un certain nombre de pays développés et prospères.

Pendant longtemps, j'ai voulu me persuader que les gouvernants étaient des imbéciles, qui prenaient des engagements sur des systèmes qu'ils ne maîtrisaient pas et étaient bloqués dans leurs actions par la lourdeur des administrations et l'apathie des populations. Je ne dirai pas que ces facteurs ne jouent pas, mais il m'apparait maintenant qu'ils dissimulent l'essentiel. Et que le facteur déterminant est la réponse à la question qui constitue le titre de cet article. Je ne suis pas un adepte de la théorie du complot. Mais force est de constater qu'une convergence d'intérêt détermine une similitude de comportement. Que celle‐ci peut occasionner une connivence ou en donner l'apparence, surtout lorsqu'existent des ententes.

En effet, en situation de plein emploi (taux de chômage de 2 à 3 % pour assurer la fluidité et le mouvement) Qui va assurer les travaux les plus pénibles et dangereux ?

Dans les années soixante et soixante‐dix, ce furent les immigrés, venus principalement du Maghreb qui s'en sont chargés. Puis se sont installés, ont prospéré, fondé des familles ou les ont fait venir, ont pris leur retraite. Leurs enfants ont fait des études et ne veulent plus effectuer ces tâches.

Pour une partie, elles sont accomplies par des travailleurs clandestins. Mais ceux‐ci posent des problèmes sociaux, ne sont pas assez nombreux, veulent régulariser leurs situations et aligner leurs salaires.

Le problème est complexe. Comment faire accepter à des personnes instruites, compétentes, d'effectuer des tâches pénibles ou dangereuses, pour des salaires ne leur permettant pas de vivre décemment ? En situation de plein emploi, ce serait impossible. Personne n'accepterait d'accomplir ces travaux ou exigerait des salaires élevés, qui tiendraient compte de la pénibilité et du danger.
Un taux de chômage élevé est donc nécessaire à la conservation du modèle économique actuel. Car, comme je l'ai déjà dit et écrit de nombreuses fois, le chômage est un problème social. Pas un problème économique.

L'analyse que je présente peut avoir l'intérêt de la découverte et de la prise de conscience. Cela ne me semble pas suffisant. Je considère comme nécessaire de proposer des éléments de solution.
Celle‐ci suppose de poursuivre le constat. Dans l'état actuel du marché du travail, ce sont le plus souvent les travaux les plus agréables, intellectuellement enrichissants, socialement valorisants, qui sont les mieux payés. Et, comme je le disais, les plus pénibles et dangereux, les plus mal considérés et rémunérés.

C'est ce qui devrait être inversé. Comme cela constitue une des bases de notre structure sociale, c'est vraiment compliqué à mettre en oeuvre !

Compliqué ne veut pas dire impossible, mais d'abord difficile, car ce sont les mentalités qu'il faut faire évoluer. Comme je l'ai développé dans mon ouvrage « Crise financière ou de société ? » Editions Bénévent, nous sommes revenus à la sacralisation du « veau d'or ». La fortune est admirable et la misère au mieux blâmable, sinon méprisable. La qualité n'est plus recherchée, seuls le moindre prix ou le luxe ostentatoire le sont encore. Et les pires exemples sont au sommet de la pyramide.

Les désordres sont nombreux, notamment dans le système de valeur : « Tout travail mérite salaire. » Même celui qui est saboté ? Mal fait ? Inutile ? Nuisible ? « A travail égal, salaire égal ! »
Au temps passé ? Sans tenir compte du résultat ? De la valeur ? Du service rendu ? Ou si peu ! L'inventaire pourrait être long sans être exhaustif.

Les diplômes et titres universitaire ne sont pas, contrairement à ce qui a cours, synonymes de compétence. On peut être très bon aux examens et très mauvais pour résoudre les problèmes. L'inverse est vrai aussi. Sans vouloir généraliser, ni dans un sens, ni dans l'autre, c'est au pied du mur qu'on voit le maçon.

Changer tout cela prendrait des années et plus personne n'est prêt à accepter d'attendre longtemps l'effet des réformes. L'expérience de ces dernières années, peut‐être même décennies, montre qu'elles sont, dans ce cas, abandonnées avant d'avoir pu être efficaces. Quitte à être reprises un peu plus tard sous un nouvel habillage ou emballage. En ayant seulement perdu quelques années ... ? Certaines mesures pourraient être prises rapidement et avoir des effets immédiats.

Nos prisons débordent et tous ceux qui sont incarcérés ne sont pas dangereux, ou pas dans tous les domaines. Les auteurs de délits financiers attaquent rarement les vieilles dames dans la rue. Ils ne sont pas non plus coutumiers des tentatives de viols. Leur confier, lorsqu'ils en ont la capacité physique, une peine alternative de travaux pénibles et/ou dangereux, est une solution alternative.
Sachant que des interdictions ou des déchéances, du droit de gérer et d'administrer, de disposer d'un chéquier ou d'une carte bancaire, une publicité, mention avec photo et adresse, consultable par toute personne concernée, pourrait réduire notablement le risque de récidive. Ceci n'étant qu'un exemple, chaque cas méritant d'être étudié, l'étude étant moins couteuse que l'incarcération. En outre, il est certain que tous les travaux pénibles ne pourraient être pris en charge de cette façon.

Un autre élément de solution consiste, comme je l'expose dans mon ouvrage « De la révolution à l'inversion » à modifier la division du travail. Nous avons tous étés confrontés aux excès de la spécialisation. Des études très poussées, notamment sur les chaines de montage automobile, ont montré que, telle qu'elle a été conçue, elle est devenue inefficace dès lors qu'elle était poussée trop loin. Ce qui est le cas dans de nombreux domaines et provoque des désordres importants.

Diviser le travail est, en soi, une bonne chose. Réserver les agréments et privilèges à certains et les peines et souffrances aux autres, en est une mauvaise. La meilleure façon d'éviter les abus liés à une excessive concentration du pouvoir et des avantages qui en résultent, relève de l'application de la responsabilité. Si chacun est personnellement responsable de tous ses actes et des conséquences dommageables de toutes ses décisions et doit les réparer, le champ s'en trouve nécessairement limité. A condition de ne pas condamner le lampiste, comme dans l'affaire KERVIEL.

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Marc Albert Chaigneau a été conseil de sociétés et avocat d'affaires, puis responsable juridique pendant 35 ans. De 1974 à 1998, il procède ainsi à des centaines d'analyses de sociétés, les suivant depuis la création jusqu'à la liquidation, en passant par les fusions, cessions, restructurations. Cette expérience l'a conduit à analyser méticuleusement la société dans laquelle nous vivons. Son dernier essai De la révolution à l'inversion*, publié en janvier 2014 aux éditions Edilivre propose un nouveau projet de réforme de la société. Un modèle préférable à la révolution en ce qu'il ne nécessite ni violence, ni destruction, mais seulement l'inversion d'un certain nombre de nos comportements. Inverser les comportements, pour cela inverser les raisonnements, les analyses, les rapports personnels et professionnels en se basant sur le principe de subsidiarité. Avec cet ouvrage, l'auteur nous donne les clefs pour la mise en œuvre d'une véritable démocratie : la démocratie directe, dont beaucoup avaient rêvé, mais à laquelle ils avaient renoncé, la croyant impossible à mettre en œuvre. Il nous montre comment elle serait accessible, mais nous prévient qu'elle ne le sera jamais qu'à des citoyens responsables.  

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