Un patron à tout prix ?

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Par Frédéric Latrobe Modifié le 3 septembre 2012 à 7h24

Confrontée à une crise durable sur le plan économique et profonde sur le plan social, notre société interroge ses symboles. Il en est un dont le nouveau gouvernement s’est saisi - le Président de la République en tête - pour illustrer l’alternance et incarner la « décence », c’est celui de l’argent. A l’initiative sur la réduction du salaire de l’exécutif, la limitation des rémunérations des dirigeants d’entreprises publiques ou la prochaine taxation à 75% des très hauts revenus, le gouvernement alimentent des débats qui devraient rebondir à l’occasion du projet de loi annoncé pour l’automne concernant notamment le rôle des salariés dans les comités de rémunération des entreprises.

Dans une société moderne qui ne sait plus s’il lui faut fustiger ou consacrer le gain, longtemps considéré comme l’alpha et l’omega de la réussite, le sujet qui pointe au-delà du principe d’exemplarité est bien celui du « juste prix » du mérite et du talent. Nul ne peut y échapper, et notamment pas les décideurs économiques, car ce sujet s’impose à la lumière d’une transparence nouvelle, choisie ou imposée mais toujours alimentée par des médias omniprésents sur cette question. Alignement sur des pratiques anglo-saxonnes ou vraie évolution « à la française », de ce constat découlent en tout cas de nouveaux enjeux pour les entreprises et leurs dirigeants : le « signe extérieur de richesse » est devenu, crise oblige, objet de communication, marqueur du débat public et point de cristallisation de l’opinion.

Hors cas particulier, trois valeurs de marché encadrent aujourd’hui les hautes rémunérations des dirigeants économiques. Une valeur contractuelle tout d’abord, établie par la concurrence et la compétition. Incarnation parmi d’autres du « people business », les chefs d’entreprise font valoir leurs compétences sur un marché mondialisé des dirigeants qui dépasse les frontières de l’entreprise France et ses grilles domestiques de rémunération. Une valeur d’image ensuite, estimée et ajustée à la réputation. Plus que des représentants de leur entreprise, les dirigeants en sont devenus les vitrines, porteurs d’une réputation qui va bien au-delà de leur offre de biens ou de services. Au rythme de l’engagement de plus en plus marqué des entreprises dans la société, du développement durable à la responsabilité sociale et environnementale, l’exigence de réputation du dirigeant lui-même s’est trouvée renforcée et a fini de rendre incontournable la construction cohérente de son image de marque personnelle.

Mais le principal changement structurel vient de l’émergence d’une troisième valeur de marché qui s’impose aujourd’hui sans contrepoids dans un environnement de crise : la valeur « morale ». Elle est liée au niveau d’acceptabilité d’une rémunération par l’opinion publique, c’est-à-dire par le citoyen-consommateur-salarié pour qui le « juste prix » est devenu, logiquement et par principe, discutable.

Et si ces trois valeurs étaient finalement les nouvelles règles tacites de valorisation du talent économique ? En tout cas, elles pèsent déjà sur l’évaluation « en place publique » d’un dirigeant, à l’entrée comme à la sortie, avec une difficulté : les deux premières lui appartiennent quand la dernière lui échappe. Or, c’est justement cette valeur « morale » et éthique qui se pose aujourd’hui comme le premier critère d’appréciation. C’est pour cette raison que les entreprises doivent se la réapproprier en adaptant leur communication. Cette nouvelle grille de « lecture morale », subjective et fluctuante, sera vraisemblablement renforcée par la prochaine loi, mais elle se traduit déjà par l’affirmation récurrente, dans les mots, de critères de performance et d’éthique qui dépassent la communication financière jusqu’à devenir un attribut de communication globale, car c’est l’image de l’entreprise qui est ainsi évaluée.

Si la société a besoin de se réconcilier avec la réussite, l’enjeu de communication pour les entreprises est alors non pas de réhabiliter l’argent, le gain et le « juste prix » d’une rémunération, mais le « juste profit » qui devra à son tour réconcilier le talent avec le poids de la responsabilité et la nécessité de la solidarité. La croissance future de la France est au cœur de la réponse à cet enjeu. Les entreprises, moteurs de cette croissance, doivent donc y apporter leur contribution en trouvant les « mots justes » pour le dire, ceux d’une nouvelle création de valeur sociale, sociétale, environnementale et culturelle.

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Ancien chef du service politique à BFM Radio, Frédéric Latrobe est aujourd'hui directeur associé chez Tilder, un des leaders du conseil en communication pour les Directions Générales des grandes entreprises.

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