Les nuages apportent de nouveaux indices pour prédire le changement climatique

Alors que la plupart des gens n’y prêtent pas attention, les masses de vapeur d’eau condensée qui flottent dans l’atmosphère jouent un rôle important dans le réchauffement climatique.

Cropped Favicon Economi Matin.jpg
Par Horizon Publié le 7 avril 2023 à 5h54
Nuages Rechauffement Climatique Science Recherche
2,3 MILLIARDS €Le coût de l'adaptation au réchauffement climatique en France serait de 2,3 milliards d'euros par an.

Afin de pouvoir mieux nous préparer à ce qui nous attend, nous devons impérativement prévoir jusqu’à quel point le climat de la Terre va se réchauffer. Pour cela, nous devons étudier une des principales sources d’incertitude dans les prévisions du réchauffement climatique: les nuages.

Certains nuages contribuent au refroidissement en réfléchissant une partie de l’énergie solaire dans l’espace. D’autres contribuent au réchauffement en jouant le rôle de couverture et en piégeant une partie de l’énergie présente à la surface de la Terre, amplifiant ainsi l’effet de serre.

Les pièces du puzzle

«Les nuages interagissent très fortement avec le climat», a déclaré le Dr Sandrine Bony, climatologue et directrice de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) à Paris.

Ils influencent la structure de l’atmosphère, affectant tous ses aspects, de la température et de l’humidité jusqu’aux circulations atmosphériques.

De son côté, le climat a une influence sur les types de nuages qui se forment, et où, selon Mme Bony, auteure principale du rapport d’évaluation lauréat du prix Nobel de la paix en 2007 produit par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat des Nations Unies.

Les processus et boucles de rétroaction susceptibles d’affecter le changement climatique sont si nombreux qu’il est utile de décomposer le problème en sous-parties.

«À chaque fois que nous parvenons à mieux comprendre l’un des éléments, nous diminuons l’incertitude de l’ensemble du problème», a déclaré Mme Bony, coordinatrice du projet EUREC4A, financé par l’UE, et qui a pris fin l’an dernier. 

Il y a quelques années, Mme Bony et ses confrères ont découvert que les petits nuages cotonneux que l’on trouve dans les régions où soufflent les alizés sont à l’origine de certains des niveaux d’incertitude les plus élevés associés aux modèles climatiques. On appelle ces nuages des «cumulus d’alizés».

Petits et assez peu spectaculaires, les cumulus d’alizés sont nombreux et très répandus sous les tropiques, selon Mme Bony. Du fait qu’ils sont si nombreux, ce qu’ils deviennent peut avoir un impact considérable sur le climat.

Le projet EUREC4A a utilisé des drones, des avions et des satellites pour observer les cumulus d’alizés et leurs interactions avec l’atmosphère au-dessus de l’ouest de l’océan Atlantique, près de la Barbade.

De nombreux modèles supposent que la structure et le nombre de ces nuages changeront de manière importante à mesure que la température mondiale se réchauffera, entraînant de possibles boucles de rétroaction qui auront pour effet d’amplifier ou d’atténuer le changement climatique. Les modèles qui prévoient une forte diminution de ces nuages à mesure que les températures augmenteront ont tendance à prédire un réchauffement climatique plus important.

La bonne nouvelle

Mais Mme Bony et ses collègues ont découvert que les cumulus d’alizés changent beaucoup moins que prévu à mesure que l’atmosphère se réchauffe.

«Dans un certain sens, c’est une bonne nouvelle car un processus dont nous pensions qu’il pourrait être responsable d’une forte amplification du réchauffement climatique ne semble pas exister», a-t-elle déclaré.

Plus important encore, cela signifie que les climatologues peuvent désormais utiliser des modèles qui représentent plus précisément le comportement de ces nuages pour prévoir l’impact du changement climatique.

L’impact moindre de cet élément d’incertitude dans les prévisions de l’ampleur du réchauffement mondial aidera à prévoir avec une meilleure précision des effets locaux tels que les vagues de chaleur survenant en Europe, d’après Mme Bony.

«L’augmentation de la fréquence des vagues de chaleur dépend beaucoup de l’ampleur du réchauffement climatique», a-t-elle déclaré. «Et l’ampleur du réchauffement climatique dépend beaucoup de la réponse des nuages.»

L’eau et la glace

Parallèlement, Trude Storelvmo, professeure et spécialiste de l’atmosphère à l’Université d’Oslo, en Norvège, a examiné les processus intérieurs à un autre type de nuage, les nuages en phase mixte, afin d’aider à améliorer les modèles climatiques.

Elle est fascinée par la façon dont les processus intérieurs aux nuages, et qui se produisent à l’échelle micrométrique, peuvent avoir une influence si importante sur les processus atmosphériques et climatiques du monde entier.

Les nuages en phase mixte contiennent à la fois de l’eau liquide et de la glace et sont responsables de la majorité des précipitations de la planète. Ces dernières années, il est devenu clair qu’ils jouent également un rôle important dans le changement climatique.

Mme Storelvmo a coordonné le projet MC2 d’une durée de cinq ans et financé par l’UE, qui a pris fin le mois dernier, et a découvert de nouvelles informations sur la façon dont les nuages en phase mixte réagissent à des températures plus élevées. Les résultats mettent en évidence l’urgence d’évoluer vers une société à faibles émissions de carbone.

Plus les nuages en phase mixte contiennent d’eau liquide, plus ils sont réfléchissants. Et en réfléchissant davantage le rayonnement du soleil à distance de la Terre, ils refroidissent l’atmosphère.

«Lorsque l’atmosphère se réchauffe, ces nuages ont tendance à contenir moins de glace et à devenir plus liquides», a expliqué Mme Storelvmo. «Ensuite, les nuages deviennent aussi plus réfléchissants et ont un effet refroidissant plus important.»

Réveil brutal

Il y a quelques années, Mme Storelvmo et ses collègues ont toutefois découvert que la plupart des modèles climatiques mondiaux surestiment cet effet. Le projet MC2 a fait voler des ballons dans des nuages en phase mixte et a utilisé des données de détection obtenues par satellite pour sonder leur structure et leur composition.

Les chercheurs ont découvert que les modèles climatiques actuels ont tendance à rendre le mélange d’eau et de glace présent dans les nuages en phase mixte plus uniforme et moins complexe qu’en réalité. Ceci entraîne une surestimation de la quantité de glace présente dans les nuages.

Selon Mme Storelvmo, ces modèles de nuages ayant davantage de glace à perdre, lorsque les simulations les réchauffent, le changement de réflectivité est plus important que dans les véritables nuages. Cela signifie que les modèles surestiment l’effet d’atténuation qu’ont les nuages en phase mixte sur le changement climatique.

Lorsque l’équipe a intégré des données de nuages plus réalistes dans des modèles climatiques puis simulé un réchauffement, elle a fait une autre découverte importante: l’augmentation de la réflectivité des nuages en phase mixte s’affaiblit avec le réchauffement.

Si avec un réchauffement modéré, l’effet d’atténuation sur les températures plus élevées est assez fort, ce n’est plus le cas à mesure que le réchauffement s’intensifie.

Il arrive un moment où la glace présente dans le nuage a entièrement fondu et où l’effet de refroidissement s’affaiblit avant de disparaître complètement. Le moment exact où commence ce phénomène devra faire l’objet de recherches futures.

Toutefois, selon Mme Storelvmo, ces résultats confirment qu’il est urgent de réduire les émissions de gaz à effet de serre.

«Nos résultats suggèrent que si nous laissons simplement les émissions de gaz à effet de serre se poursuivre, le réchauffement ne sera pas seulement linéaire et progressif: arrivé à un certain point, il pourrait s’accélérer rapidement», a-t-elle déclaré. «Nous devons à tout prix faire en sorte d’éviter d’atteindre ce point.»

Au fur et à mesure que de nouvelles découvertes telles que celles-ci sur les nuages seront intégrées aux modèles, les prévisions climatiques utilisées par les décideurs gagneront en précision.

Les recherches réalisées dans le cadre de cet article ont été financées par le Conseil européen de la recherche (CER). Cet article a été publié initialement dans Horizon, le magazine de l’UE dédié à la recherche et à l’innovation. 

Plus d’infos

Cropped Favicon Economi Matin.jpg

Horizon, le magazine de l’UE dédié à la recherche et à l’innovation.

Suivez-nous sur Google News Economie Matin - Soutenez-nous en nous ajoutant à vos favoris Google Actualités.

Aucun commentaire à «Les nuages apportent de nouveaux indices pour prédire le changement climatique»

Laisser un commentaire

* Champs requis