L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a vu, le 16 avril, ses États membres adopter par consensus un accord qualifié d’historique, consacré à la préparation et la lutte contre les pandémies. Ce texte, fruit de plus de trois années de négociations tendues, intervient cinq ans après l’émergence de la COVID-19. Il représente une avancée dans la gouvernance sanitaire mondiale. Mais derrière les applaudissements, des absences retentissantes et des concessions périlleuses interrogent la portée réelle de ce compromis.
L’OMS trouve un accord pour les futures pandémies… sans Washington

Un accord sur les pandémies sans les États-Unis
« Ce soir marque une étape importante dans notre voyage commun vers un monde plus sûr », a déclaré Tedros Adhanom Ghebreyesus, directeur général de l’OMS, dans la nuit du 15 au 16 avril, après la validation du texte à 1h58 au siège genevois de l’organisation. Une nuit blanche pour les délégations, concluant un processus de négociation entamé dès 2021, souvent paralysé par les dissensions sur les responsabilités, les droits de propriété intellectuelle et l’équité d’accès aux ressources sanitaires.
Mais, sous l’administration Trump, les États-Unis ont claqué la porte de l’OMS, privant l’accord de la puissance du principal bailleur de fonds humanitaire mondial. Selon Le Monde, le président républicain a justifié cette décision par le rejet de tout encadrement multilatéral des politiques sanitaires nationales. Un retrait qui affaiblit déjà la légitimité du texte dans certaines sphères diplomatiques.
Le transfert de technologies : talon d’Achille ou avancée concrète ?
Parmi les points les plus disputés figure le transfert de technologies sanitaires, notamment la fabrication de vaccins, traitements et tests diagnostiques. En 2020, les pays à revenu faible ou intermédiaire avaient assisté, impuissants, à l’accaparement par les puissances riches des précieuses doses vaccinales anti-COVID. Le souvenir de cette injustice a dominé les débats. Un compromis minimaliste a fini par émerger. Les transferts seront opérés uniquement « d’un commun accord », c’est-à-dire sans obligation légale.
Une concession majeure aux pays dotés d’une puissante industrie pharmaceutique, dont plusieurs s’étaient farouchement opposés à toute forme de contrainte. Un délégué européen, cité par Franceinfo, a confirmé que ce sujet avait bloqué les pourparlers jusqu’aux dernières heures. « C’est un accord historique pour la sécurité sanitaire, l’équité et la solidarité internationale », a néanmoins salué Anne-Claire Amprou, ambassadrice française pour la santé mondiale et coprésidente des négociations
La création d'un nouveau système d'accès aux agents pathogènes
Le texte institue un Système d’accès aux agents pathogènes et de partage des avantages (Pathogen Access and Benefit Sharing, ou PABS). Une architecture nouvelle qui prévoit que les États ayant identifié un agent pathogène, virus ou bactérie, doivent partager sans délai les données et échantillons biologiques. En retour, ils bénéficieront d’un accès prioritaire aux contre-mesures médicales développées à partir de ces éléments.
Ce mécanisme est censé éviter le scénario cauchemardesque d’un pays découvrant une menace virale sans que la communauté internationale ne puisse y répondre rapidement. Mais les modalités restent floues, et les obligations juridiques faibles. Le document officiel A/INB/9/3 Rev.1 évoque une gouvernance « volontaire », une architecture logistique encore à bâtir, et une coordination confiée à l’OMS.
Solidarité ou poudre aux yeux ?
L’accord promeut une vision ambitieuse d’un réseau mondial de chaînes d’approvisionnement et de logistique. Il prévoit également que 20 % des outils sanitaires développés (vaccins, tests, traitements) soient mis à disposition des pays à revenu faible ou intermédiaire via un système de réserves et de dons coordonné par l’OMS. Mais ce chiffre, aussi symbolique soit-il, reste non contraignant.
L’OMS, dans ses documents préparatoires, admet qu’il faudra « un engagement politique renouvelé » pour passer de la parole aux actes. En clair, rien n’est joué, tout dépendra de la bonne volonté des États signataires. Le directeur général de l’OMS a martelé un avertissement sévère : « Le coût de l’inaction est bien plus élevé. Le virus est le pire ennemi, il pourrait être pire qu’une guerre ». Une phrase lourde de sens dans un contexte géopolitique marqué par la montée des replis souverainistes.
Les absents ont toujours tort ?
La non-participation des États-Unis interroge. Première puissance mondiale, géant de la biotechnologie, Washington n'a pas souhaité participer à cet accord. Pourquoi ? Parce que l’administration Trump a estimé qu’aucun texte international ne devait interférer avec sa politique sanitaire intérieure, qualifiant même les négociations de « perte de souveraineté ».
Pour beaucoup, cette absence s’apparente à une brèche stratégique. Helen Clark, coprésidente du groupe indépendant sur les pandémies, avertit, dans des propos rapportés par Le Monde : « À une époque où le multilatéralisme est menacé, les États membres de l’OMS se sont unis pour dire que nous vaincrons la prochaine menace de pandémie de la seule manière possible : en travaillant ensemble ».
Ce texte, qualifié à tort de « traité », n’a pas encore force obligatoire. Il s’agit d’un projet d’accord, qui sera formellement soumis à l’Assemblée mondiale de la santé en mai 2025. Et même en cas d’adoption, sa mise en œuvre dépendra de la ratification par les parlements nationaux.
