Les coraux d’eau chaude viennent de franchir un point de bascule irréversible, selon un rapport signé par 160 scientifiques de 23 pays. Cette alerte marque le premier basculement majeur du système terrestre, symbole d’une planète qui glisse vers une nouvelle ère climatique.
Un point de bascule planétaire atteint : les coraux en danger

Publié le 13 octobre 2025, le rapport Global Tipping Points révèle que les coraux tropicaux ont désormais basculé dans une phase de dépérissement généralisé. Cette annonce constitue la première preuve tangible qu’un point de bascule climatique global a été franchi. À mesure que le réchauffement atteint +1,4 °C par rapport à l’ère préindustrielle, les récifs, piliers de la biodiversité marine, s’effondrent sous l’effet des vagues de chaleur et de l’acidification des océans.
Les coraux, première victime d’un point de bascule global
Les coraux tropicaux, longtemps considérés comme des sentinelles du climat, subissent une crise sans précédent. Le rapport coordonné par l’Université d’Exeter et le Stockholm Resilience Centre conclut que « les récifs coralliens d’eau chaude ont franchi un point de basculement irréversible ». Cette bascule, survenue entre 1,0 °C et 1,5 °C de réchauffement, s’est matérialisée par un blanchissement massif observé sur plus de 84 % des récifs mondiaux, d’après Reuters. Le professeur Tim Lenton, auteur principal du rapport, avertit, dans des propos rapportés par BFMTV, : « Malheureusement, nous sommes désormais quasi certains que nous avons franchi un de ces points de basculement pour les récifs coralliens tropicaux d’eaux chaudes ».
Même si la température moyenne mondiale était stabilisée à 1,5 °C, la probabilité que ces coraux retrouvent leur équilibre écologique est jugée « supérieure à 99 % » selon EurekAlert. La perte est désormais irréversible à l’échelle humaine. Ces données confirment que les océans ont absorbé une part disproportionnée de la chaleur due aux activités humaines. Le phénomène de blanchissement, qui se traduit par la perte des algues symbiotiques nourrissant les coraux, s’est amplifié depuis 2023. Les deux dernières années ont été marquées par une succession de vagues de chaleur marines sans équivalent depuis le début des mesures satellitaires.
Un signal d’alarme planétaire pour l’économie et la biodiversité
Le point de bascule atteint par les coraux n’est pas qu’un symbole écologique : il annonce des répercussions économiques majeures. Les récifs soutiennent environ un quart de la biodiversité marine et dépendent de plus de 500 millions de personnes pour leur subsistance, selon le Stockholm Resilience Centre. En perdant ces écosystèmes, les communautés côtières du Pacifique, des Caraïbes et de l’océan Indien voient s’effondrer à la fois leurs pêcheries, leur tourisme et leur protection naturelle contre les tempêtes. Dans le cas du Great Barrier Reef, les chiffres sont vertigineux : entre août 2024 et mai 2025, 48 % des récifs étudiés ont perdu du couvert corallien, d’après l’Institute of Marine Science. Sur certaines zones, les pertes régionales atteignent 33 %, le taux le plus élevé depuis trente-neuf ans. Les conséquences se traduisent déjà par une chute du revenu touristique et par un affaiblissement des chaînes alimentaires locales.
Ce basculement s’inscrit dans une série de transformations interconnectées : fonte accélérée des glaces du Groenland, ralentissement de la circulation océanique atlantique (AMOC), perturbations de l’Amazonie et dégel du permafrost sibérien. Ces points de bascule, évalués à une vingtaine par les chercheurs, risquent d’entrer en cascade. La perte des coraux pourrait amplifier d’autres déséquilibres climatiques en réduisant la capacité de l’océan à stocker le carbone. « Les points de bascule concernant la biosphère se rapprochent plus vite qu’on ne le pensait », rappellent les auteurs du rapport dans Reporterre. Pour Tim Lenton, il n’est plus temps de parler d’hypothèses : « Nous ne pouvons plus parler des points de bascule comme d’un risque futur. »
Un changement de paradigme pour la gouvernance mondiale du climat
Les scientifiques insistent sur l’urgence d’une réponse politique à la hauteur du choc écologique. Le rapport, co-signé par 160 chercheurs issus de 23 pays, appelle à reconsidérer les stratégies de gouvernance climatique avant la COP30 prévue au Brésil. Les points de bascule, une fois franchis, ne peuvent être « désactivés » par des mesures graduelles. Ils exigent des interventions rapides, massives et coordonnées. « Cela exige une action immédiate et sans précédent », martèle Tim Lenton dans Le Monde. Selon lui, le coût de l’inaction dépasse désormais celui de la transition : retarder l’abandon des énergies fossiles multipliera les effets systémiques du dérèglement climatique.
À mesure que les coraux meurent, les littoraux s’exposent à une érosion accrue, les pêcheries déclinent et les populations les plus pauvres subissent de plein fouet l’instabilité écologique. Les chercheurs du Stockholm Resilience Centre soulignent que les récifs tropicaux fonctionnaient comme des amortisseurs du système océanique. Leur effondrement entraîne une perte de résilience planétaire : « Les récifs coralliens tropicaux ont franchi leur point de bascule et subissent un dépérissement sans précédent », a indiqué la déclaration finale du comité Global Tipping Points.
Le système Terre a entamé une mutation imprévisible dont les conséquences sociales et économiques sont encore impossibles à estimer. Les institutions financières et les gouvernements sont désormais confrontés à un dilemme : maintenir les objectifs de croissance dans un monde écologiquement instable, ou redéfinir la valeur économique autour de la durabilité. L’économie bleue, centrée sur la pêche, l’aquaculture et le tourisme côtier, représente près de 2 500 milliards de dollars par an selon la Banque mondiale. Or, une part substantielle de cette valeur dépend des coraux, dont la disparition pourrait réduire de moitié la productivité de certaines zones tropicales.
Face à cette bascule, les auteurs du rapport appellent à une coordination internationale urgente : réduction drastique des émissions avant 2030, investissements massifs dans la restauration marine et renforcement des zones protégées. Mais la restauration ne suffira pas, une fois franchi, un point de bascule ne revient pas en arrière. Les coraux, premiers témoins de cette irréversibilité, deviennent le symbole d’un monde qui doit repenser son rapport à la stabilité climatique.
