Les ruptures conventionnelles seront bien moins intéressantes après cette réforme

Le mécanisme des ruptures conventionnelles, censé faciliter la fin des contrats de travail à l’amiable, est aujourd’hui accusé de dérives. Le gouvernement dénonce des abus, chiffre le coût pour l’assurance chômage à plusieurs milliards et prépare un tour de vis budgétaire, quitte à réduire l’attractivité du dispositif.

Ade Costume Droit
By Adélaïde Motte Published on 15 septembre 2025 11h31
Ruptures Conventionnelles Bien Moins Interessantes Apres Cette Reforme
Les ruptures conventionnelles seront bien moins intéressantes après cette réforme - © Economie Matin

Depuis leur création en 2008, les ruptures conventionnelles se sont imposées comme un mode de séparation entre salariés et employeurs, distinct de la démission et du licenciement. En 2024, plus de 514 000 accords ont été signés en France, un niveau record. Ce succès a cependant un revers : il entraîne des dépenses massives pour l’assurance chômage et, selon le ministère du Travail, favorise des pratiques abusives. Alors que le budget 2026 est en préparation, l’exécutif envisage un durcissement du régime pour limiter la charge qui pèse sur le contribuable.

Les ruptures conventionnelles, un dispositif apprécié des salariés

La rupture conventionnelle se définit comme une séparation à l’amiable entre employeur et salarié. Contrairement à la démission, qui ne donne droit à aucune indemnité chômage, elle ouvre automatiquement l’accès aux allocations, sous réserve que le salarié remplisse les critères d’activité. Le salarié perçoit également une indemnité spécifique, au minimum équivalente à celle d’un licenciement.

Le mécanisme, encadré par la loi et soumis à l’homologation de la Direccte, séduit car il permet d’éviter les conflits. Là où les licenciements imposent un motif précis et exposent l’entreprise à des recours judiciaires, les rupture conventionnelles simplifient la procédure. Elles évitent l’incertitude d’un contentieux tout en garantissant au salarié une compensation financière et une couverture chômage. Pour beaucoup, c’est un compromis plus avantageux qu’une démission, qui ne permettrait pas d’accéder à France Travail.

Une explosion des signatures et un coût croissant pour l’assurance chômage

Depuis dix ans, le nombre de ruptures conventionnelles ne cesse de croître. En 2015, on en comptait environ 315 000 ; en 2024, ce chiffre atteignait 514 627, soit près de 200 000 de plus en moins d’une décennie. Selon les statistiques de la Dares, cette progression reflète l’installation durable de ce mode de séparation dans le paysage du travail français.

L’impact financier est considérable. En 2024, 333 724 salariés ont perçu des allocations chômage à la suite de ruptures conventionnelles, soit environ deux tiers des signataires. Ce flux d’allocataires a représenté près de 10 milliards d’euros de dépenses pour l’assurance chômage, l’équivalent de 25 % du total des allocations versées. Ces ordres de grandeur montrent que ce dispositif pèse désormais lourdement dans les comptes publics, au même niveau que certaines politiques de soutien à l’emploi.

Des dérives pointées par le gouvernement et les experts

Si le succès de la formule est indéniable, les autorités dénoncent désormais des pratiques contraires à l’esprit initial du texte. La ministre du Travail, Astrid Panosyan-Bouvet, a fustigé « beaucoup d’abus » dans l’usage du dispositif. Plusieurs types de dérives sont régulièrement évoqués.

D’une part, les démissions déguisées. Le salarié qui souhaite quitter son poste peut négocier une rupture conventionnelle et accéder à France Travail, là où une démission volontaire ne lui aurait ouvert aucun droit. Cette pratique détourne l’objectif initial, qui était de permettre une séparation équilibrée lorsque ni l’employeur ni le salarié ne souhaitent poursuivre le contrat. Ainsi, certains employés demandent des ruptures conventionnelles pour faire le tour du monde ou remettre en état une maison de vacances. Que ces abus représentent ou non une majorité de cas, un meilleur contrôle permettrait de les éviter.

D’autre part, des licenciements arrangés sont conclus sous forme de ruptures conventionnelles. L’entreprise évite ainsi la procédure plus contraignante du licenciement, qui suppose un motif valable et un risque prud’homal. Les juristes rappellent que ces accords évitent aussi aux employeurs de s’exposer à des dommages et intérêts en cas de contestation. Comme l’a observé l’avocate Cécile Pays, « on manque de données chiffrées sur le volume de ruptures conventionnelles qui conduisent vraiment à une indemnisation par France Travail », ce qui laisse planer un doute sur l’ampleur réelle de ces pratiques.

Enfin, le système de contrôle est jugé insuffisant. L’administration se borne à homologuer les accords, sans examiner en profondeur les motivations des parties. Cela permet à certains salariés de quitter volontairement leur emploi tout en bénéficiant de prestations financées par la collectivité, une situation difficile à justifier alors que l’assurance chômage est structurellement déficitaire.

Les pistes de réforme et les enjeux budgétaires

Le gouvernement a décidé d’agir. Dans le cadre du budget 2026, plusieurs scénarios sont étudiés pour rendre les ruptures conventionnelles moins attractives et limiter les abus. Parmi les mesures envisagées figure l’instauration d’un délai de carence plus long avant le versement des allocations. L’objectif est de décourager les salariés tentés de quitter leur emploi sans projet professionnel immédiat.

D’autres pistes concernent le montant des indemnités. Une modulation pourrait être introduite afin de réduire le coût pour l’assurance chômage. Des conditions plus strictes d’accès sont également évoquées, par exemple une exigence accrue d’ancienneté ou la nécessité de justifier de démarches actives de recherche d’emploi avant l’ouverture des droits. Le gouvernement envisage enfin de renforcer les contrôles et les sanctions pour les entreprises qui recourraient à la rupture conventionnelle pour éviter un licenciement formel.

Pour l’État, l’enjeu dépasse la simple régulation du marché du travail. Avec une dépense de 10 milliards d’euros en 2024, le dispositif représente un quart des allocations chômage. Dans un contexte où la réduction du déficit public est devenue prioritaire, les ruptures conventionnelles apparaissent comme un levier budgétaire évident.

Ade Costume Droit

Diplômée en géopolitique, Adélaïde a travaillé comme chargée d'études dans un think-tank avant de rejoindre Economie Matin en 2023.

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