Smartphones, fibre et overdose : radiographie de la France numérique

Connexion, fibre, cloud, réseaux sociaux, IA… La France avance à toute vitesse dans le numérique. Mais derrière les chiffres flatteurs, les fractures se creusent et les usages inquiètent. Que disent vraiment les données du dernier baromètre Arcep ?

Paolo Garoscio
By Paolo Garoscio Published on 9 avril 2025 8h59
Numérique, climat, IA : voici la génération Bêta
Numérique, climat, IA : voici la génération Bêta - © Economie Matin
32%32 % des abonnés mobiles disposant d’un forfait mensuel supérieur à 100 Go

Le 19 mars 2025, l’Arcep, en partenariat avec l’Arcom, le Conseil général de l’économie et l’ANCT, a publié l’édition annuelle du Baromètre du numérique, fruit d’une vaste enquête menée par le Crédoc auprès de 4 066 personnes. L’étude met en lumière l’omniprésence croissante du numérique dans la société française : des équipements toujours plus nombreux, une connectivité accrue, mais aussi des pratiques marquées par la saturation, l’inquiétude, et de profondes inégalités selon l’âge et les usages. Décryptage.

Un numérique omniprésent dans les foyers... et dans les esprits

En 2024, 91 % des Français de 12 ans et plus possèdent un smartphone. Le numérique est partout : ordinateurs (89 %), objets connectés (40 %), enceintes vocales (33 %). La France se transforme en ruche technologique, avec 9,6 écrans par foyer, dont 7,8 activement utilisés. L'accès à Internet est presque universel : 94 % des Français sont connectés, et 84 % l’utilisent chaque jour. La fibre optique s’impose : 75 % des abonnés fixes y ont désormais accès, avec un net rattrapage dans les communes de moins de 20 000 habitants.

L'équipement croît, mais la fréquence d'usage aussi. La messagerie instantanée est utilisée par 85 % de la population, et 78 % passent des appels via des applications mobiles. Même les achats en ligne repartent à la hausse : 77 % des Français achètent désormais sur internet, contre 72 % l’an passé.

Usage intensif, fatigue mentale : les limites d’une société hyperconnectée

« Une personne passe en moyenne un quart de son temps éveillé sur les écrans pour un usage personnel » (Communiqué de presse, Arcep, 19 mars 2025). Derrière cette statistique glaçante se cache un malaise plus profond. Selon le baromètre, 72 % des Français passent plus de 2 heures par jour devant leurs écrans, et 25 % dépassent les 5 heures. Résultat ? 42 % estiment y passer « trop de temps », 19 % « beaucoup trop ».

Le constat est encore plus alarmant chez les jeunes : 62 % des 18-24 ans qui utilisent les écrans plus de trois heures par jour jugent ce temps excessif. Une sensibilité générationnelle qui souligne une forme d’addiction consciente. Le lien avec les réseaux sociaux est direct : 59 % des utilisateurs fréquents de ces plateformes estiment leur exposition excessive. « À temps d’écran égal, les utilisateurs réguliers des réseaux sociaux sont deux à trois fois plus à estimer y consacrer trop de temps » (Arcep, 2025).

Fractures d’usages : le numérique ne connecte pas tout le monde pareil

L’appropriation du numérique n’est pas homogène. Si les 18-24 ans dominent dans l’usage des réseaux sociaux, du cloud ou de l’IA, les personnes éloignées du numérique (notamment les plus âgées ou les populations précaires) restent à la traîne. Les freins les plus fréquents ? Un manque de maîtrise des outils, des interfaces mal conçues, des craintes de sécurité ou de perte de données personnelles.

Le baromètre révèle que 44 % des Français rencontrent des difficultés dans leurs usages numériques, notamment pour les démarches administratives en ligne. Et un Français sur deux souhaiterait bénéficier d’un accompagnement physique et gratuit pour s’y retrouver. Une demande qui rappelle que le numérique n’est pas neutre, et que son déploiement accéléré laisse sur le bord de la route une partie de la population.

Hyperconnexion mobile : surconsommation masquée et forfaits pléthoriques

Entre 32 % des abonnés mobiles disposant d’un forfait mensuel supérieur à 100 Go, et une consommation moyenne plafonnant à 16,5 Go, le contraste est saisissant. Les opérateurs gonflent les plafonds, mais deux tiers des clients ne les utilisent jamais. Pire, 35 % des abonnés ayant changé de forfait n’en avaient pas besoin.

L’effet pervers ? Une illusion d’abondance qui masque une empreinte carbone croissante, mal perçue par le grand public : 60 % des abonnés ignorent encore que leur opérateur est tenu de les informer de l’impact environnemental de leurs données. Et parmi ceux qui le savent, seuls 14 % se disent incités à modérer leur consommation.

L’IA, nouvel eldorado... ou nouvelle angoisse ?

L’intelligence artificielle s’impose, mais laisse perplexe. 71 % des Français ont déjà utilisé un outil d’IA, et 26 % affirment leur faire confiance, contre 74 % qui restent sceptiques. L’usage est massivement porté par les 18-24 ans, tandis que les générations plus âgées résistent ou s’en méfient.

Symbole de cette fracture générationnelle : l’usage scolaire de l’IA chez les adolescents (12-17 ans) a plus que triplé en un an, sans que l’école ni les parents ne semblent réellement outillés pour l’encadrer.

Le DMA, une révolution réglementaire encore timide

Le Digital Markets Act, entré en vigueur en mars 2024, oblige les systèmes d’exploitation à proposer des alternatives aux logiciels préinstallés. Résultat ? 31 % des utilisateurs de smartphones ont été informés de cette possibilité, et 26 % d’entre eux ont effectivement changé de navigateur. Une avancée, certes, mais encore marginale à l’échelle nationale.

Le poids des géants du numérique reste donc écrasant, malgré les tentatives de régulation. Et pendant que l’Europe légifère, les Français continuent de cliquer, scroller, poster – parfois jusqu’à l’épuisement.

La France du numérique : une société connectée, mais fragmentée

Le baromètre du numérique 2025 ne célèbre pas une victoire technologique. Il dresse un constat nuancé, voire inquiétant : oui, les Français sont connectés. Oui, les infrastructures progressent. Mais la fatigue numérique gagne du terrain, les inégalités persistent, et l’usage ne rime pas toujours avec maîtrise.

Paolo Garoscio

Rédacteur en chef adjoint. Après son Master de Philosophie, il s'est tourné vers la communication et le journalisme. Il rejoint l'équipe d'EconomieMatin en 2013.   Suivez-le sur Twitter : @PaoloGaroscio

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