Interdiction du tabac en terrasse : un risque direct pour les marges des restaurateurs

Depuis le 1er juillet 2025, l’interdiction du tabac dans plusieurs espaces publics extérieurs bouleverse l’équilibre financier de nombreux établissements. Si les terrasses des restaurants ne sont pas formellement incluses dans ce nouveau périmètre, la confusion réglementaire et les décisions locales provoquent une instabilité économique inquiétante pour les professionnels du secteur.

By Alix de Bonnières Published on 21 août 2025 12h23
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Interdiction du tabac en terrasse : un risque direct pour les marges des restaurateurs - © Economie Matin
135Vous encourez 135 euros d'amende si vous fumer sur la plage.

Un décret flou, des pertes financières bien réelles

Le décret publié fin juin 2025 a élargi l’interdiction de fumer à une multitude d’espaces ouverts : plages surveillées, abords des bibliothèques, parcs, abris-bus ou encore installations sportives. Toutefois, les terrasses des cafés et restaurants en sont théoriquement exclues. Pourtant, la situation sur le terrain raconte une autre histoire.

Dans certaines communes, les autorités locales appliquent la mesure de manière étendue, semant le doute parmi les restaurateurs. « Nos adhérents ne savent plus quoi dire aux clients, ni comment éviter les amendes », dénonce l’Union des Métiers et des Industries de l’Hôtellerie (UMIH), qui réclame de toute urgence une concertation avec le ministère du Travail.

Au-delà du flou juridique, c’est le manque à gagner qui inquiète. Selon le Groupement des hôtelleries et restaurations (GHR), les terrasses représentent en moyenne 30 % du chiffre d’affaires des établissements de restauration, comme le rapportait Tendance Hôtellerie le 19 septembre 2024. « Se priver des fumeurs […] aurait de lourdes conséquences », avertit Catherine Quérard, présidente du GHR.

Les effets se font déjà sentir dans certaines zones touristiques. En période estivale, la terrasse devient un levier de rentabilité indispensable, notamment dans les stations balnéaires où les consommateurs passent plus de temps à l’extérieur. Or, l'incertitude réglementaire fait fuir une partie de la clientèle fumeuse, réduisant la rotation des tables et l’allongement du ticket moyen.

Entre attentes sociétales et pressions sur les marges

Le contraste entre la logique économique et les attentes sociétales ne cesse de se creuser. Une étude YouGov commandée pour Le HuffPost révèle que 68 % des Français sont favorables à l’interdiction de fumer sur les terrasses, un chiffre qui grimpe à 79 % chez les 18‑24 ans selon TF1 Info. Dans un contexte où les restaurateurs doivent s’adapter à des consommateurs plus soucieux de leur environnement, le tabac devient un marqueur de tension commerciale.

Cette pression sociale est soutenue par les associations de santé publique. L’Alliance contre le tabac alerte sur l’incohérence du décret, estimant que les terrasses « véritables aquariums à fumée et à fumeurs » auraient dû figurer parmi les zones interdites (Le Monde, 31 mai 2025). D’après l’association, le tabagisme tue 75 000 personnes par an et coûte 156 milliards d’euros à la collectivité.

Face à cet argumentaire sanitaire, les professionnels du secteur insistent sur le besoin de gradation. Pour eux, la clientèle est multiple, et la perte d’un segment – en l’occurrence, les fumeurs réguliers – peut fragiliser l’équilibre global d’un établissement. En particulier dans les zones rurales ou les petits centres urbains, où la densité de passage est moindre et où la fidélité du client compte double.

Vers une adaptation forcée du modèle économique ?

La contrainte réglementaire pourrait aussi accélérer la transformation du modèle économique des cafés-restaurants. Certains commencent déjà à reconfigurer leurs espaces extérieurs pour éviter les zones litigieuses. D’autres réfléchissent à développer des zones « non-fumeurs » mieux délimitées, dans l’espoir d’absorber la pression tout en conservant leur clientèle tabagique.

Pour les syndicats, cette adaptation ne peut se faire sans accompagnement. « Le dialogue plutôt que l’imposition, la co‑construction plutôt que la surprise réglementaire », martèle l’UMIH dans sa lettre à la ministre Catherine Vautrin (24 Matins, 20 août 2025). En l’absence de directives claires, les risques de contentieux et de sanctions administratives pourraient exploser, grevant encore davantage les finances des petits établissements.

À cela s’ajoute une réalité technique : d’après l’association DNF, 68 % des terrasses couvertes ou semi-couvertes inspectées à Paris ne respectaient pas la réglementation en vigueur (DNF, 30 mai 2025). Si les contrôles devaient se généraliser, les coûts de mise aux normes s’ajouteraient aux pertes de chiffre d’affaires déjà constatées.

Mais certains voient dans ce tournant une opportunité. Pour DNF, la terrasse sans tabac est même un argument commercial. « Une terrasse sans tabac, c’est une bulle de bien-être. C’est un choix commercial gagnant, une posture alignée sur les attentes de la société », affirme l’association dans son rapport (30 mai 2025).

Reste que cette bascule nécessitera du temps, des moyens, et surtout un cadre clair. Pour l’instant, les restaurateurs doivent naviguer à vue, entre exigences contradictoires et arbitrages délicats. Et espérer que le nuage de fumée réglementaire se dissipe avant que la facture économique ne devienne irréversible.

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