L’Europe taxe les engrais, le prix du pain va flamber en France

À partir de 2026, la mise en œuvre complète du MACF, le mécanisme européen d’ajustement carbone aux frontières, va renchérir le prix des engrais importés. Or, ces fertilisants sont au cœur de l’agriculture française. Derrière l’objectif climatique affiché, cette taxe risque surtout de provoquer une hausse des coûts agricoles et, par ricochet, une augmentation du prix du pain et des produits alimentaires.

Anton Kunin
By Anton Kunin Published on 16 décembre 2025 8h07
L’Europe taxe les engrais, le prix du pain va flamber en France
L’Europe taxe les engrais, le prix du pain va flamber en France - © Economie Matin
30%La taxe MACF devrait renchérir les engrais de 10% à 30%.

Agriculture : le MACF, une taxe carbone aux frontières qui frappe les engrais

Adopté dans le cadre du paquet climatique européen « Fit for 55 », le MACF entre progressivement en vigueur depuis octobre 2023, avec une application financière complète prévue au 1ᵉʳ janvier 2026. Ce mécanisme vise à faire payer aux importations le même coût carbone que celui supporté par les industriels européens. Le MACF concerne notamment les engrais, un intrant stratégique pour l’agriculture française, fortement dépendante des importations.

Le MACF repose sur une idée simple, et pourtant lourde de conséquences. D’une part, l’Union européenne impose déjà un prix du carbone aux industriels via le marché ETS. D’autre part, elle considère que les produits importés doivent supporter un coût équivalent pour éviter les « fuites de carbone ». Ainsi, le MACF oblige les importateurs d’engrais à acheter des certificats carbone correspondant aux émissions générées lors de leur production, selon des règles définies par la Commission européenne.

Cependant, si le principe peut sembler cohérent sur le papier, son application aux engrais pose problème. En effet, l’agriculture européenne, et française en particulier, importe une large part de ses fertilisants azotés. Or, ces engrais sont produits à l’étranger avec des procédés souvent plus émetteurs de carbone. Dès lors, le MACF renchérit mécaniquement leur coût à l’entrée sur le marché européen. Selon La France Agricole, cette taxe carbone aux frontières s’appliquera pleinement aux engrais dès 2026, sans mécanisme de compensation directe pour les agriculteurs.

Par ailleurs, les ajustements proposés par la Commission européenne restent limités. Les aménagements envisagés sont jugés insuffisants par la profession, car ils ne neutralisent pas l’impact financier du MACF sur les prix des fertilisants. Autrement dit, la taxe carbone aux frontières, pensée pour l’industrie, se répercute directement sur l’agriculture, sans filet de sécurité clair.

Une hausse des coûts agricoles qui menace la compétitivité

L’effet du MACF sur les engrais ne se limite pas à un débat technique. Il se traduit déjà par des projections chiffrées préoccupantes. Selon La France Agricole, douze organisations agricoles européennes estiment que la mise en œuvre complète du MACF pourrait entraîner une hausse du prix des engrais comprise entre 10% et 30%. Cette augmentation pèserait lourdement sur les exploitations, alors que les fertilisants représentent une part essentielle des charges en grandes cultures.

La Coordination rurale chiffre l’impact plus précisément. L’organisation estime que le MACF pourrait provoquer une hausse d’environ 12% du prix des engrais azotés, alors que ces intrants représentent jusqu’à 30% du coût de production dans certaines exploitations céréalières. Cette combinaison crée un « effet ciseaux », selon l’expression employée par les syndicats agricoles, entre des charges en hausse et des prix agricoles qui, eux, restent soumis à une forte volatilité.

De plus, des simulations sectorielles évoquées par Entraid avancent des surcoûts compris entre 50 et 150 euros par tonne d’engrais, selon les produits concernés. Ces chiffres, rapportés par la presse agricole, illustrent l’ampleur du choc potentiel. Dans ce contexte, le MACF risque de fragiliser la compétitivité des exploitations françaises face à des concurrents extra-européens, qui n’ont pas à supporter ces coûts supplémentaires sur leurs propres marchés.
Ainsi, loin de protéger l’agriculture européenne, la taxe carbone aux frontières pourrait accentuer les déséquilibres existants. Les agriculteurs français redoutent une perte de compétitivité durable, sans garantie que les recettes du MACF soient réinvesties dans la transition agricole.

Du champ à la baguette : le risque d’un renchérissement alimentaire

Les conséquences du MACF sur les engrais ne s’arrêtent pas aux exploitations. Elles concernent l’ensemble de la chaîne alimentaire. En effet, lorsque les coûts de production augmentent durablement, ils finissent par se répercuter sur les prix payés par les transformateurs, puis par les consommateurs. La France Agricole rapporte ainsi que plusieurs organisations agricoles alertent sur une transmission inévitable de la hausse des prix des engrais vers les denrées alimentaires.

Le cas du pain est particulièrement emblématique. Le blé, fortement dépendant des engrais azotés, constitue la base de la filière céréalière française. Toute augmentation des coûts de fertilisation affecte donc directement le prix de revient de la tonne de blé. À terme, cela peut se traduire par une hausse du prix de la farine, puis de la baguette.

En outre, cette situation soulève une contradiction politique. D’un côté, l’Union européenne affirme vouloir préserver le pouvoir d’achat et soutenir la souveraineté alimentaire. De l’autre, le MACF applique une taxe carbone aux frontières sur des intrants essentiels, sans garantir que les agriculteurs puissent absorber le choc. Selon Agromatin, le MACF constitue certes un tournant stratégique pour les engrais importés, mais il crée aussi une forte incertitude pour les filières agricoles.

Ainsi, le débat autour du MACF dépasse largement la question climatique. Il interroge la cohérence des politiques européennes entre transition écologique, compétitivité agricole et prix alimentaires. Sans mécanisme correcteur robuste, la taxe carbone aux frontières pourrait créer plus de tensions qu’elle n’apporte de solutions, en fragilisant un maillon essentiel : l’agriculture.

Anton Kunin

Après son Master de journalisme, Anton Kunin a rejoint l'équipe d'ÉconomieMatin, où il écrit sur des sujets liés à la consommation, la banque, l'immobilier, l'e-commerce et les transports.

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