Chaque décennie apporte son lot de défis économiques, mais certains restent étonnamment discrets malgré leur ampleur. C’est le cas de la transmission des très petites entreprises, un sujet dont dépend pourtant une part essentielle de nos emplois, de notre tissu local et de nos savoir-faire.
Le tsunami silencieux des transmissions de TPE : pourquoi la France n’est pas prête

D’ici 2030, près de 310 000 TPE devront être transmises en France, selon une étude Bpifrance de 2025. Pourtant, seulement 40 % des dirigeants déclarent s’y préparer. Le paradoxe est frappant : nous faisons face à un choc annoncé, mais qui demeure largement invisible. Si la France n’est pas prête, c’est avant tout parce que la majorité des dirigeants ne le sont pas. Le sujet reste tabou, vécu comme intime, et encore trop peu encadré.
Le problème est d’autant plus préoccupant que notre économie repose sur un socle particulièrement vulnérable. Les TPE représentent 95 % des entreprises françaises et concentrent près de 3 millions d’emplois (INSEE, 2023). Elles irriguent des secteurs clés, artisanat, commerce, restauration, services, qui font vivre nos territoires. Pourtant, lorsque l’un de ces dirigeants part à la retraite sans successeur, c’est souvent une activité locale qui disparaît, un savoir-faire qui s’éteint, un emploi qui se perd. La France n’est pas prête car elle dépend d’un tissu économique fragile, qui ne bénéficie d’aucun véritable filet de sécurité. Il n’existe ni politique publique d’envergure, ni observatoire national dédié à la transmission des petites entreprises, ni stratégie territoriale coordonnée. Nous laissons un enjeu collectif reposer sur les seules épaules de dirigeants isolés.
Le nœud du problème est bien connu : l’absence chronique d’anticipation. Plus d’un dirigeant sur deux n’a entamé aucune démarche de transmission (Bpifrance, 2025). Les raisons sont multiples. Certains repoussent le sujet par crainte d’aborder la question de leur succession. D’autres manquent d’informations, ou ne savent pas par où commencer. Beaucoup découvrent la réalité du processus au moment où ils souhaitent partir, et se heurtent alors à des délais incompressibles, des besoins de mise à niveau, ou des contraintes administratives qu’ils n’avaient pas anticipées. La France n’a pas développé de véritable culture de la transmission. Les dirigeants s’y retrouvent trop seuls, trop tard, et parfois dans l’urgence.
On oublie souvent qu’une transmission n’est pas une simple vente. C’est un parcours complexe, qui peut mobiliser jusqu’à 2 000 heures de travail cumulées entre dirigeants et experts. Diagnostic de l’entreprise, clarification du projet, mise à niveau opérationnelle, audit, valorisation, recherche de repreneur, montage financier, négociation, transition… Chaque étape nécessite du temps, du recul et des compétences spécifiques. Sans anticipations, ces étapes se superposent et deviennent un mur infranchissable. La France n’est pas prête car la complexité du processus décourage, faute d’accompagnement structuré, accessible et coordonné. Il n’existe pas d’interlocuteur unique, les expertises sont éclatées, et les dirigeants doivent composer seuls avec une chronologie exigeante.
Cette solitude dans la conduite du processus pèse lourd : elle prive les dirigeants du recul nécessaire pour arbitrer, prioriser, décider au bon moment. Pris dans la gestion quotidienne, beaucoup avancent à vue, faute d’un accompagnement capable de structurer les étapes et de les guider dans les choix clés. Sans ce soutien, la transmission cesse d’être un projet piloté pour devenir un fardeau de plus sur leurs épaules.
Pour que la France soit prête, il faut changer d’échelle. Anticiper, accompagner, informer : ces trois leviers doivent devenir des priorités. La transmission des TPE ne peut plus être un sujet individuel traité au cas par cas ; elle doit devenir un enjeu stratégique. Nous avons collectivement intérêt à sécuriser le passage de relais entre générations d’entrepreneurs. Pour éviter une crise silencieuse, la France doit faire de la transmission un véritable sujet économique national.
