Les violences économiques faites aux femmes restent largement invisibles dans le débat public. Pourtant, près d’une Française sur quatre y serait confrontée.
Violences conjugales : près d’un quart des femmes déclarent une emprise financière

Selon un sondage Ifop dévoilé le 24 novembre 2025 par Franceinfo, 24% des femmes en France déclarent avoir déjà subi une privation ou un contrôle financier au sein du couple.
Une prévalence en hausse : les violences économiques gagnent du terrain
Le dernier sondage de l’Ifop met en lumière un phénomène massif : près d’une femme sur quatre affirme avoir déjà été privée de moyens financiers ou soumise à un contrôle économique exercé par un conjoint ou un ex-conjoint. Ce taux atteint désormais 24%, contre environ 23% un an plus tôt, ce qui signale une progression réelle et non une simple variation statistique. Autrement dit, la violence économique s’étend, ou du moins se révèle davantage.
L’étude montre aussi que ces situations ne sont jamais abstraites. Elles se traduisent par un contrôle concret sur les revenus, les dépenses ou les décisions professionnelles. Dans l’enquête, 12% des répondantes expliquent que leurs achats étaient surveillés ou validés par leur conjoint, et 10% affirment avoir vu leur argent utilisé sans leur accord. Ces chiffres rappellent à quel point l’emprise financière peut prendre des formes banalisées, présentes dans le quotidien avant d’apparaître comme de véritables violences.
Cette progression d’un point en un an est d’autant plus significative que les comportements décrits concernent souvent des couples récents, notamment dans la tranche 25-39 ans. L’Ifop note que l’emprise financière se développe dans un contexte économique plus tendu, où l’argent devient un outil de pouvoir et non plus seulement un sujet domestique.
Les mécanismes de l’emprise financière : un engrenage en trois temps
L’Ifop met en lumière une mécanique progressive, quasi identique d’un cas à l’autre. L’emprise financière s’installe lentement, souvent sous couvert d’organisation du budget.
1. Première phase : la restriction “présentée comme normale”
Elle apparaît sous forme de décisions unilatérales :
- « je garde la carte, c’est plus simple »,
- « on va contrôler les dépenses pour éviter les excès »,
- « montre-moi les tickets, c’est juste pour suivre les comptes ».
Dans de nombreux couples, ces attitudes passent inaperçues. Elles peuvent même sembler raisonnables.
Pourtant, c’est souvent la porte d’entrée de la violence économique.
2. Deuxième phase : la privation
Lorsque la restriction ne suffit plus, certains partenaires basculent vers des mesures plus intrusives :
- refus d’autoriser l’achat de produits essentiels,
- interdiction d’effectuer des dépenses personnelles,
- blocage de la carte bancaire,
- remise en question d’un poste, d’un salaire ou d’une promotion.
À ce stade, la victime commence à adapter sa vie économique à la volonté de l’autre. L’autonomie disparaît.
3. Troisième phase : la captation
Il s’agit du niveau le plus grave, et le sondage Ifop en donne la mesure :
- 12% des femmes interrogées disent avoir subi un contrôle strict de leurs dépenses,
- 10% déclarent avoir déjà vu leur argent détourné, prélevé ou utilisé sans leur accord.
La captation transforme la dépendance économique en enfermement. Dans certains cas rapportés, les revenus professionnels ou les allocations familiales étaient entièrement absorbés par le conjoint, laissant la victime sans marge de manœuvre.
Des conséquences durables : partir devient matériellement impossible
L’un des enseignements les plus lourds du sondage est le lien direct entre violence économique et impossibilité de quitter la relation. Sans autonomie financière, la séparation devient un obstacle presque insurmontable. L’absence d’épargne empêche de payer une caution, le contrôle du compte interdit toute initiative, l’emprise professionnelle limite la capacité à retrouver un emploi stable. Beaucoup de femmes se retrouvent dans une situation où “partir” n’est plus seulement une décision personnelle mais un défi matériel qu’elles ne peuvent plus relever.
Cette dépendance financière constitue un facteur aggravant d’autres formes de violences. L’Ifop souligne que les violences économiques s’accompagnent très souvent d’emprise psychologique ou de violences verbales et physiques. La privation financière n’est donc pas un phénomène isolé : elle est la colonne vertébrale de l’ensemble des violences conjugales. Dans de nombreux cas, c’est précisément l’impossibilité financière de partir qui permet à l’autre forme de violence de s’installer durablement.
Une prise de conscience tardive, mais indispensable
Si la mesure progresse, la lutte contre les violences économiques reste en retard. Le cadre juridique ne reconnaît pas encore cette forme d’emprise comme une catégorie à part entière. Les victimes, souvent démunies, peinent à qualifier ce qu’elles vivent. Les professionnels — police, justice, banques — manquent encore de repères pour identifier la violence financière comme une violence conjugale à part entière.
Des initiatives institutionnelles émergent toutefois pour redonner de l’autonomie aux victimes. Certains établissements bancaires mettent en place des protocoles d’accompagnement pour rouvrir rapidement un compte ou isoler des revenus. C’est notamment le cas de La Banque Postale, qui a généralisé l’ouverture d’un compte sous 24 heures pour les femmes victimes de violences. Une mesure pensée pour redonner immédiatement un espace financier personnel, indispensable pour sortir de l’emprise. Cette initiative, encore trop peu connue, constitue l’un des premiers pas concrets vers une prise en charge financière adaptée.
