Les apparences sont souvent trompeuses. Derrière la guerre commerciale que livre au grand jour Donald Trump depuis son “Liberation Day”, début avril, c’est une autre guerre qui se livre à bas bruit. Selon l’entrepreneur et analyste Alexandre Stachtchenko, le président américain souhaite affaiblir le dollar pour réindustrialiser son pays et alléger sa dette colossale.
Ceci n’est pas une guerre commerciale

Jerome Powell s’inquiète. Dans un rapport du 23 avril, le président de la Réserve Fédérale (FED) lance un avertissement et un rappel : « Les guerres commerciales provoquent à la fois une hausse de l’inflation et un ralentissement de la croissance économique. » La politique commerciale du président Trump ne semble pas rassurer le garant de la crédibilité de la devise américaine et monnaie de réserve internationale. Voilà qui interroge.
Depuis la fin du système de Bretton Woods en 1971, qui liait le dollar à l'or, la domination mondiale de la monnaie américaine a reposé sur un paradoxe difficile à gérer pour les États-Unis. Pour maintenir le dollar comme devise de réserve mondiale, les États-Unis doivent en fournir au monde entier, principalement via leurs importations, en maintenant des déficits commerciaux. Pour Trump, qui place la réindustrialisation au cœur de sa politique économique, ce coût est devenu insoutenable.
Trump livre une guerre à sa propre monnaie
Dans ce contexte, le président Américain cherche probablement à provoquer une dépréciation contrôlée du dollar, afin de favoriser ses exportations, et par conséquent la relocalisation des activités industrielles aux États-Unis. Une forme de droit de douane universel, sans avoir besoin de négocier. Une dépréciation du dollar permettrait aussi de diminuer significativement la valeur réelle de la dette publique américaine.
De ce point de vue, la lecture des événements actuels change : l'imposition de droits de douane élevés sert à établir une position de force dans les négociations d’une guerre monétaire qui ne dit pas son nom. En échange d'un allègement des barrières tarifaires, les partenaires commerciaux pourraient être contraints de réduire leur position en dollars, ou de rééchelonner les échéances de leurs titres de dette. La dépréciation que cela causerait résoudrait partiellement la contradiction évoquée précédemment, en favorisant la compétitivité des exportations américaines sans abandonner formellement le statut de monnaie de réserve du dollar.
Les stablecoins, nouveau pilier de domination financière
Cependant, le pari est risqué : une dépréciation rapide du dollar risquerait de provoquer une instabilité majeure sur les marchés. Pour l’éviter, Trump a besoin de perpétuer une demande de fond, pérenne, pour le billet vert. Et la Chine, grand rival désigné, ne peut ni ne veut plus remplir ce rôle. Pour compenser, il s’appuie en partie sur les stablecoins, des cryptomonnaies liées à la valeur du dollar.
Ces derniers sont d’abord un outil puissant pour exporter le dollar, notamment auprès des particuliers et entreprises non-bancarisés. Et surtout, leurs émetteurs ont besoin d’acheter de la dette américaine : en 2025, le plus important, Tether, en possède pour 120 milliards de dollars, devenant ainsi le septième plus important acquéreur dans le monde, devant l’Allemagne.
Bitcoin, parade à l’hégémonie du dollar pour les BRICS ?
Depuis des années, cette tentative de coup de force monétaire se profilait à l’horizon, et les BRICS cherchaient activement une solution pour contrer la domination de la monnaie américaine. Substitution du dollar par le yuan ? Retour à l'or ? Ou... Bitcoin ?
La société d'investissement Van Eck confirmait récemment ce que beaucoup savaient déjà : la Russie et la Chine utilisent déjà Bitcoin pour le commerce. Plus besoin de SWIFT, le système de règlement interbancaire. Plus besoin des banques tout court d'ailleurs. Et plus d'application intempestive du droit américain.
Une idylle pour ces régimes autoritaires ? Un dilemme plutôt : ouvrir les vannes à Bitcoin, c'est aussi permettre la financiarisation des dissidents, lanceurs d'alertes et autres minorités opprimées.
La nouvelle norme : dévaluations compétitives et taux d’inflation plus élevés ?
En attendant la démocratisation de Bitcoin, cette situation complexe pourrait engendrer une nouvelle norme économique internationale, caractérisée par des guerres de dévaluation compétitives et une inflation structurellement plus élevée. Certains économistes influents, comme Paul Krugman, avaient déjà commencé à remettre en cause l'objectif traditionnel d'inflation à 2 %, suggérant une cible plus élevée. Le célèbre investisseur américain Ray Dalio s'alarmait récemment du point de bascule où le monde se trouve : un véritable changement dans l'ordre monétaire.
Conscients des divers scénarios possibles, les États-Unis se préparent activement à toutes les éventualités, y compris à une adoption plus large du bitcoin comme réserve de valeur, en constituant des réserves stratégiques de bitcoins et en attirant les principales activités de minage sur leur territoire.
D’autant que le bitcoin plaît à Trump, et pas uniquement pour des raisons bassement pécuniaires : dans une conférence de presse tenue à la Maison Blanche fin juin, il admettait apprécier celui-ci car il “enlève de la pression au dollar, ce qui est une excellente chose pour notre pays.”. De quoi étayer la thèse d’un affaiblissement contrôlé et souhaité du dollar américain, voire pour les plus audacieux, d’un soutien implicite de Trump au bitcoin comme monnaie de réserve mondiale.
Quand l’Europe s’éveillera-t-elle ?
En Europe, les diverses élites politiques et économiques se frottent cyniquement les mains. Certains, comme récemment l’ancien ministre Le Maire, y voient l'occasion d’appeler à l'accélération du lancement de l'euro numérique, fausse solution à un problème de souveraineté bien réel. Présenté comme une alternative potentielle, cette monnaie numérique de banque centrale est en réalité un spasme bureaucratique comme l'Europe sait si bien en produire.
Qui se souvient d’INSTEX ? Lancé en 2019 en grande pompe, ce dispositif qui devait permettre de poursuivre le commerce avec l’Iran en contournant le dollar, a traité une seule transaction avant d'être arrêté en 2023, non sans avoir coûté au contribuable des millions d'euros. L'usage de Bitcoin résolvait pourtant parfaitement le problème sans coûter un centime d'argent public.
Une Europe dollarisée ?
Ironie du sort, après avoir étranglé l'innovation, perçue comme une menace, ostracisé Bitcoin au point d'avoir discuté de son interdiction, l'Europe assiste, impuissante, à sa propre dollarisation, ultime étape d'une américanisation des cœurs et des têtes. Dans les journaux, les startups annoncent lever des millions de dollars. Sur les places de marché en ligne, on paie en stablecoin... dollar.
Face à cette guerre monétaire silencieuse mais déterminante, l'Europe décide de surenchérir dans le contrôle et l'inflation, alors qu'elle ne dispose pas des armes macroéconomiques : démographie, outil industriel, approvisionnement en énergie, etc. Le deal finalement récemment accepté avec les Etats-Unis récemment sonne comme un aveu terrible de vassalité pour le vieux continent. Avec Bitcoin, elle pourrait proposer un autre modèle monétaire, adapté à la nouvelle réalité de la multilatéralité d’un monde multipolaire.
