L’euro à 1,20 dollar : une force trompeuse pour l’Europe

L’euro vaut désormais près de 1,20 dollar, son plus haut niveau depuis 2021. Cette flambée intrigue : pourquoi la monnaie européenne grimpe-t-elle, qu’est-ce que cela signifie dans la vie quotidienne, et pourquoi ce n’est pas forcément une bonne nouvelle pour les Européens ?

Ade Costume Droit
By Adélaïde Motte Published on 18 septembre 2025 11h45
Euro 120 Dollar Force Trompeuse Europe
L’euro à 1,20 dollar : une force trompeuse pour l’Europe - © Economie Matin
1,20 dollar1 euro vaut désormais 1,20 dollar

Depuis le 16 septembre 2025, l’euro connaît une envolée remarquable sur le marché des changes, atteignant près de 1,19 USD et se rapprochant du seuil psychologique de 1,20 USD. Cette progression, saluée comme un signe de force, n’est pas forcément une bonne nouvelle pour l’Europe. Derrière ce mouvement se cache un dollar en repli, conséquence directe des décisions de la Réserve fédérale américaine et des pressions exercées par Donald Trump. Comprendre pourquoi l’euro monte, et ce que cela change dans la vie quotidienne, permet d’éclairer les enjeux d’une monnaie forte dans une économie mondialisée.

Pourquoi l’euro grimpe face au dollar

La semaine dernière, la Fed a abaissé ses taux directeurs de 0,25 %, une première depuis neuf mois. Les États-Unis veulent relancer leur économie en rendant l’argent moins cher. Mais quand les taux américains baissent, les placements en dollars deviennent moins attractifs pour les investisseurs. Résultat : ils se tournent vers d’autres devises, comme l’euro, qui monte mécaniquement. Les marchés anticipent d’ailleurs deux nouvelles baisses de taux d’ici la fin de l’année, ce qui accentue encore la faiblesse du dollar.

Ce mouvement n’est pas qu’économique, il est aussi politique. Depuis son retour à la Maison-Blanche, Donald Trump critique sans relâche un dollar qu’il juge « trop fort » et qui, selon lui, « détruit l’industrie américaine ». Il pousse la Fed à agir plus vite pour affaiblir la monnaie américaine et donner de l’air aux exportateurs. Ce discours influence les marchés, qui anticipent un dollar durablement plus faible.

Ce choix monétaire contraste avec la politique de la Banque centrale européenne (BCE), qui, après avoir desserré sa politique ces derniers mois, adopte une attitude attentiste. L’écart de stratégie favorise mécaniquement l’euro, qui apparaît plus rémunérateur pour les investisseurs. Ainsi, le différentiel de politique monétaire devient l’un des moteurs principaux de l’ascension actuelle de la monnaie unique.

Des importations moins chères pour les Européens

Pour le consommateur, un euro qui vaut 1,20 dollar signifie plus de pouvoir d’achat sur les produits importés. Les biens libellés en dollars — électronique, vêtements, pétrole ou matières premières — coûtent mécaniquement moins cher. Acheter un smartphone américain ou payer une facture d’énergie indexée sur le dollar revient moins cher en euros. De même, pour les entreprises européennes qui importent des composants, la facture s’allège. À court terme, cet effet constitue un frein bienvenu à l’inflation, encore sensible dans la zone euro.

Par exemple, une PME française qui achète ses pièces électroniques aux États-Unis débourse aujourd’hui 5 % à 10 % de moins qu’il y a un an pour le même volume. Ce gain contribue à maintenir les prix de vente stables et à protéger le consommateur final. Les produits américains sont donc plus attractifs, ce qui permet d'améliorer la compétitivité des entreprises américaines. Or, c'est exactement ce que recherche Donald Trump.

Une menace pour les exportateurs européens

En revanche, un euro fort réduit la compétitivité des exportateurs. Les produits européens deviennent plus chers en dollars, ce qui peut dissuader des clients américains ou asiatiques. Les secteurs sensibles comme l’automobile, la chimie ou l’aéronautique risquent d’en pâtir. Pour une entreprise allemande vendant des machines aux États-Unis, chaque dixième de point au-dessus de 1,15 dollar représente une baisse de marge ou une perte de contrats.

Les petites entreprises, moins armées pour se couvrir contre les variations de change, sont les plus exposées. Certaines doivent choisir entre rogner leurs marges ou perdre des parts de marché. Ce paradoxe illustre bien que la vigueur de l’euro n’est pas toujours une bonne nouvelle pour l’économie européenne. Ainsi, l'euro fort peut avantager les consommateurs européens, mais pas les producteurs. Inversement, un dollar faible avantage les producteurs Américains, pas les consommateurs. Or, la politique libérale de Donald Trump voit avant tout les citoyens comme des producteurs.

L’impact concret pour les citoyens et les PME

Au-delà des indicateurs financiers, la hausse de l’euro modifie le quotidien. Les voyages aux États-Unis deviennent moins coûteux, les hôtels et restaurants étant facturés en dollars. Les achats en ligne sur des plateformes américaines affichent des prix plus abordables. À l’inverse, certains produits européens pourraient voir leurs prix grimper, car les entreprises exportatrices cherchent à compenser leurs pertes à l’étranger. Pour un ménage français, la balance est donc contrastée : gain sur l’import, mais risque de hausse indirecte sur certains biens locaux.

Pour les PME, l’adaptation est cruciale. Celles tournées vers l’importation de matières premières en dollars bénéficient d’un répit bienvenu. Mais celles dépendant des exportations hors zone euro doivent revoir leurs stratégies. Certaines choisissent de diversifier leurs marchés vers l’Afrique ou l’Amérique latine, où la concurrence en prix est moins intense. D’autres tentent de se couvrir par des contrats financiers de change, coûteux mais nécessaires. L’euro à 1,20 dollar agit donc comme un révélateur : il distingue les modèles économiques résilients des plus fragiles.

Jusqu’où l’euro peut-il aller ?

Les analystes s’accordent sur le caractère symbolique du seuil de 1,20 dollar. Selon Rabobank et MUFG, l’euro pourrait atteindre 1,25 USD si la Fed poursuit ses baisses de taux et si les tensions politiques américaines persistent. Mais ce seuil reste incertain : « Les résistances techniques autour de 1,1830 à 1,1900 sont fortes », avertit PoundSterlingLive. Les marchés surveillent de près les annonces à venir de Jerome Powell, président de la Fed, dont chaque mot peut faire basculer la tendance.

Au-delà de 1,20 dollar, l’euro pourrait se transformer en handicap. Les exportations européennes, déjà fragilisées par la concurrence asiatique, perdraient encore en compétitivité. Les États membres les plus dépendants de leurs ventes à l’étranger, comme l’Allemagne ou l’Italie, subiraient un ralentissement de la croissance. Pour la BCE, maintenir l’équilibre entre stabilité monétaire et compétitivité deviendra un exercice délicat. L’euro fort incarne donc un paradoxe : source de soulagement immédiat pour les consommateurs, mais risque structurel pour les exportateurs et pour l’emploi.

Ade Costume Droit

Diplômée en géopolitique, Adélaïde a travaillé comme chargée d'études dans un think-tank avant de rejoindre Economie Matin en 2023.

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