Clearview AI aurait collecté illégalement les photos et vidéos des Européens

NOYB, l’organisation fondée par Max Schrems, a déposé une plainte pénale en Autriche contre Clearview AI. Le géant américain de la reconnaissance faciale est accusé de collecter illégalement des milliards d’images d’Européens.

Paolo Garoscio
By Paolo Garoscio Published on 29 octobre 2025 6h52
Differences Entre Videoprotection Et Telesurveillance
Clearview AI aurait collecté illégalement les photos et vidéos des Européens - © Economie Matin
90 MILLIONS €Clearview AI a déjà écopé de plus de 90 millions d'euros d'amendes.

Le 28 octobre 2025, l’association européenne NOYB a annoncé avoir déposé une plainte pénale contre Clearview AI auprès du parquet autrichien. L’entreprise américaine, spécialisée dans la reconnaissance faciale, est soupçonnée d’avoir aspiré sans consentement les photos et vidéos de citoyens européens depuis des plateformes publiques pour nourrir sa gigantesque base de données biométriques.

Clearview AI : un géant de la reconnaissance faciale dans le viseur de NOYB

Clearview AI, société basée à New York, revendique une base contenant plus de 60 milliards de photos collectées sur Internet, selon Reuters. Ces images, extraites de sites web, de réseaux sociaux ou de vidéos en ligne, sont utilisées pour entraîner des algorithmes capables d’identifier une personne en quelques secondes. Pour NOYB, ce système viole frontalement le droit européen sur la reconnaissance faciale et la protection des données.

Selon l’ONG, Clearview AI « semble ignorer les droits fondamentaux européens et crache littéralement au visage des autorités », a déclaré Max Schrems, son fondateur, relayé par The Record. Malgré plusieurs sanctions administratives prononcées par des autorités européennes, l’entreprise continuerait de fonctionner, sans se conformer au RGPD. La France, la Grèce, l’Italie et les Pays-Bas ont infligé au total près de 100 millions d’euros d’amendes pour traitements illégaux de données biométriques.

Reconnaissance faciale : des pratiques jugées contraires au droit européen

En droit européen, la reconnaissance faciale relève du traitement de données biométriques, considéré comme une catégorie « particulièrement sensible » par le Règlement général sur la protection des données (RGPD). L’article 9 du texte interdit leur utilisation, sauf exceptions strictement encadrées. Or, selon NOYB, Clearview AI ne possède aucune base légale valable : ni consentement explicite des personnes concernées, ni motif d’intérêt public reconnu.

Les autorités de protection des données d’Autriche et d’Italie avaient déjà estimé en 2023 que la société violait plusieurs articles du RGPD, notamment ceux relatifs à la licéité, à la transparence et à la minimisation des données. L’entreprise aurait également omis d’informer les citoyens européens de la collecte et de l’utilisation de leurs visages, en violation du principe de transparence.

Pour NOYB, ces infractions réitérées justifient désormais une réponse pénale. L’organisation s’appuie sur l’article 84 du RGPD et sur le § 63 du Data Protection Act autrichien, qui permettent d’engager la responsabilité personnelle des dirigeants d’entreprises étrangères. « Les autorités européennes n’ont pas encore trouvé le moyen de faire appliquer leurs sanctions contre cette société américaine, ce qui permet à Clearview AI d’échapper de fait à la loi », a précisé NOYB dans un communiqué.

Une affaire emblématique pour la régulation de l’intelligence artificielle

La reconnaissance faciale, technologie d’intelligence artificielle parmi les plus controversées, cristallise depuis des années les inquiétudes des régulateurs. Elle illustre la tension entre innovation technologique et protection de la vie privée. Selon CyberInsider, Clearview AI n’a pas seulement ignoré les décisions européennes : elle aurait continué à commercialiser sa base d’images biométriques à des forces de l’ordre et à des entreprises privées, malgré les injonctions.

Cette stratégie défiante fragilise la crédibilité du cadre européen. Les amendes cumulées dépasseraient 90,5 millions d’euros, mais aucune n’aurait été effectivement recouvrée. L’absence d’établissement de Clearview AI dans l’Union complique toute exécution forcée. Pour Max Schrems, il s’agit d’un « échec systémique de l’application du RGPD », nécessitant un changement de paradigme juridique.

Si la plainte autrichienne aboutit, elle pourrait ouvrir la voie à des poursuites pénales transfrontalières et marquer une première en Europe contre une société d’intelligence artificielle non-européenne. Les dirigeants de Clearview AI encourraient des sanctions pénales, voire des peines de prison, en cas de condamnation. Une telle décision ferait jurisprudence et renforcerait la portée extraterritoriale du RGPD face aux géants américains de la technologie.

Cette affaire pourrait redéfinir les rapports de force entre innovation et réglementation. L’Union européenne a déjà amorcé un tournant avec son futur AI Act, qui classera la reconnaissance faciale parmi les usages à haut risque. Mais tant que les mécanismes d’exécution resteront limités face aux entreprises extra-européennes, la protection effective des données personnelles demeurera fragile.

Paolo Garoscio

Rédacteur en chef adjoint. Après son Master de Philosophie, il s'est tourné vers la communication et le journalisme. Il rejoint l'équipe d'EconomieMatin en 2013.   Suivez-le sur Twitter : @PaoloGaroscio

No comment on «Clearview AI aurait collecté illégalement les photos et vidéos des Européens»

Leave a comment

* Required fields