L’eau potable ne coule pas de source (3/3)

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Par Alain Boinet Modifié le 6 août 2012 à 6h58

L'eau insalubre tue plus que les guerres et le SIDA et pourtant, nous n'avons pas l'impression que cette cause majeure de mortalité mobilise la communauté internationale à la hauteur de ces enjeux de santé publique et d'espérance de vie. Que l'on en juge. Selon, une étude de l'OMS, il n'y aurait chaque année pas moins de 3,6 millions de morts dus à l'eau non potable et à l'absence d'assainissement et d'hygiène, dont 90 % d'enfants et adolescents de moins de 14 ans. Précisons ici que si les maladies cardio-vasculaires ou cérébro-vasculaires sont bien les premières causes de mortalité dans le monde, il convient de préciser que les causes de morbidité sont dues à l'âge, alors que dans le cas des maladies hydriques, cette morbidité cible principalement les enfants. Il est utile également d'introduire la notion d'années perdues pondérées ou « dalys » (disability-Adjusted Life Year). En conséquence cette mortalité liée à l'eau non potable représente 136 millions d'années de vie de perdue.C'est dans ce contexte qu'il faut comprendre pourquoi nous parlons des maladies hydriques à SOLIDARITES INTERNATIONAL comme la première cause de mortalité en début de vie.

Les chiffres de référence des Nations Inies sont-ils justes en matière d'accès à l'eau potable ? Les Nations Unies affirment habituellement que 884 millions de personnes dans le monde ne sont toujours pas alimentées par des points d'eau améliorés, sous entendu délivrant de l'eau potable. Elles précisent que 87 % de la population mondiale utilise des points d'eau améliorés, soit une progression de 10 % en 18 ans, de 1990 à 2008. Et il est vrai que l'accès à l'eau potable progresse dans le monde et contribue de la sorte à faire baisser la mortalité des enfants. Dans le langage de l'ONU, une source d'eau améliorée est une source protégée des animaux qui ne peuvent venir s'abreuver et qu'ils ne risquent donc pas de polluer. Implicitement, cela signifie qu'une source d'eau non améliorée délivre de l'eau non potable et qu'une source d'eau améliorée apporte une eau potable à ses utilisateurs. Or ceci n'est pas le cas.

Une étude récente de Gérard Payen, conseiller pour l'eau du secrétaire général des Nations Unies (UNSGAB), atteste que les chiffres relatifs au nombre de personnes n'ayant pas accès à l'eau potable sont sous-estimés. Dans cette étude, l'auteur se base sur l'étude RADWQ présentée par OMS-UNICEF à Stockholm le 24 août 2011, pour en tirer les leçons. Sur 2,03 milliards d'êtres humains ayant accès à une source d'eau dite améliorée (borne-fontaine, forage, puits et sources protégés des animaux), des études menées dans 6 pays 12 ont montré que l'eau n'était pas conforme à la norme de l'OMS sur le seul paramètre « coliformes fécaux ». Une extrapolation conduit à estimer qu'un milliard de personnes utilise de l'eau « améliorée » dangereuse pour leur santé. Poursuivant dans cette logique, l'auteur applique la même méthode aux personnes disposant d'un robinet à domicile ou à proximité, soit 3,84 milliards. Qu'il s'agisse de l'interruption inattendue de l'alimentation, du transport et du stockage de l'eau, il estime qu'un milliard de personnes, soit environ 25 %, qui n'ont de l'eau que de qualité incertaine au moins une partie de l'année. Et si l'on applique ces critères de transport et stockage aux bornes fontaines, forages et puits, il estime que 1,6 milliard de personnes ont accès à une eau « douteuse ».

En conséquence ce serait 1,9 milliard de personnes qui boiraient de l'eau dangereuse auxquelles il faut ajouter 1,6 milliard d'autres qui consommeraient de l'eau douteuse. « L'ensemble eau dangereuse et eau douteuse est estimée à 3,5 milliards de personnes soit la moitié de l'humanité ». Et d'ajouter que si les Nations Unies ont reconnu en 2010 l'accès à l'eau potable comme un droit de l'homme, d'autres critères ont été également retenus. L'eau doit être simultanément accessible, disponible, acceptable, de coût abordable et l'accès doit être équitable. Ces critères ont un impact certain sur le nombre de personnes ayant ou n'ayant pas accès à de l'eau potable. Les Nations Unies déclarent : « Au rythme actuel, le monde devrait dépasser la cible fixée pour les objectifs de Développement du millénaire, à savoir réduire de moitié la proportion de la population qui n'a pas d'accès durable à de l'eau potable. »

Mais comment cela est-il possible à calculer et à démontrer précisément dès lors que les chiffres de référence sont sous estimés et que l'appareil statistique est très insuffisant ? Il faudrait donc aussi revoir ces évaluations. Reconnaissons cependant que l'OMS et l'UNICEF, qui sont très investies dans ce domaine et qui font beaucoup pour l'accès à l'eau potable et à l'assainissement, ont commencé à prendre en compte ces réalités et posent désormais la question du défi pour mesurer la qualité de l'eau. De même, la Rapporteuse spéciale des Nations Inies sur le droit à l'eau potable, Catarina de Albuquerque, a déclaré plusieurs fois que 2 à 3 milliards de personnes pourraient ne pas avoir accès à l'eau potable.

Avec l'aimable autorisation de l'auteur. Article initialement publié dans la revue Géoeconomie
Défis Humanitaires - Alain Boinet

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Alain Boinet est engagé depuis 31 ans dans l’action humanitaire. Il est le fondateur et le directeur général de Solidarités International, association humanitaire active dans une vingtaine de pays avec environ 2000 membres mettant en œuvre 160 programmes destinés à 3,7 millions de personnes en danger en  répondant à leurs besoins vitaux en matière d’accès à l’eau potable, à l’assainissement et à l’hygiène, dans le domaine de  sécurité alimentaire. Il a reçu à Barcelone en 1988 le Prix de l’action humanitaire du Festival Européen de la Solidarité. En 2004 et 2005, il a été président du Conseil d’Orientation à l’Action Humanitaire d’Urgence (COAHU) auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes. Membre du comité exécutif du Partenariat Français sur l’Eau et du Conseil National préparant le 6ème Forum Mondial de l’Eau à Marseille en mars 2012. Il est également membre du Comité de prospective scientifique de la Fondation maison des sciences de l’homme à l’EHESS.  

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