Les compromis entre la Grèce et l’Europe

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Par Nicolas Tarnaud Modifié le 15 juillet 2015 à 10h15
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3,5%La dette grecque ne représente que 3,5% de la dette publique totale de la zone euro

Des attentes différentes

Un compromis a été signé entre Alexis Tsipras et l’Europe, lundi 12 juillet concernant les aides que la Grèce va recevoir en échange de mesures que le gouvernement devra mettre en place. Alexis Tsipras doit attendre le vote du Parlement grec avant de les valider officiellement. Ces mesures sont loin des promesses faites par le chef du gouvernement grec depuis les élections de janvier dernier. Une nouvelle crise politique peut éclater à tout moment en Grèce. L’opposition et la gauche radicale peuvent profiter de ces tensions et tenter d’influencer Alexis Tsipras dans ses choix de stratégie. Certains membres pourraient quitter le gouvernement actuel. Si le parlement grec votait un « non » ferme aux dernières propositions européennes, un nouveau Grexit serait alors de nouveau d’actualité. La démocratie grecque a été fragilisée par ses partenaires européens et des réactions populaires fortes et durables pourraient voir le jour.

Le différentiel entre le gouvernement grec et la Troïka a toujours été important malgré leurs nombreuses rencontres. Depuis l’arrivée d’Alexis Tsipras le 25 janvier 2015 à la tête de la Grèce, la population a pu mesurer l’importance de la crise économique et financière que le nouveau gouvernement devait gérer, malgré les 5 années d’austérité vécue antérieurement. Les négociations relatives à la dette publique avec les créanciers vont prendre du temps. La gestion de la crise entre les parties n’a probablement pas été aussi efficiente qu’elle aurait dû l’être. La crise grecque a nécessité ainsi la mise en place de six sommets européens et de douze rencontres des ministres des finances européens depuis le 25 janvier 2015. Les acteurs économiques ont sous-estimé à la fois la difficulté du dossier et le poids de l’Allemagne dans le jeu des négociations. L’Allemagne, suivie par les pays européens du nord, allait jouer un rôle central. Elle a montré à quel point elle défendait l’orthodoxie financière dans la gestion du dossier grec.

Les mots clefs suivants résument parfaitement l’attitude de l’Allemagne dans ces négociations : leadership, inflexibilité, rigidité, réforme, mesure, tandis que la Grèce se concentrait plutôt sur les thèmes suivants : réforme, annulation, report, dette, financement.

La crise grecque est loin d’être achevée. Elle a montré ouvertement l’articulation forte entre les deux sphères : économique et politique. L’argumentation économique est devenue secondaire durant ces derniers jours. Le débat politique s’est invité directement ou indirectement à chaque négociation. Des négociations qui nous ont rappelées que nous vivions dans un monde endetté avec lui-même : « le marché de la dette mondial ». La dette des gouvernements, des ménages, des entreprises, et des institutions financières a représenté 200 000 milliards de dollars, soit 286% du PIB mondial. Les fondamentaux de l’économie actuelle ne permettent pas d’en diminuer le montant. Celle-ci va continuer d’augmenter dans de nombreux pays.

Une Europe endettée

La crise grecque a fait apparaître qu’un pays en forte récession, pouvait faire faillite très rapidement même s’il se situait dans la zone euro. Cette crise a aussi montré l’importance du marché de la dette en Europe et dans le monde. Un pays endetté pouvait se retrouver dépendant des créanciers étrangers et fragilisé politiquement.

N’oublions pas que la dette grecque ne représente que 3,5% de la dette publique totale de la zone euro. Toute chose étant égale par ailleurs, la dette publique par rapport au PIB des pays de l’Union Européenne a continué d’augmenter entre 2011 et 2014. La dette publique des 28 pays de l’Union Européenne, dans laquelle se trouvent dix-neuf membres de la zone euro, a augmenté de 6 points du PIB. Cela représente une hausse de 1 400 milliards d’euros pour les pays de l’Union Européenne et de 800 milliards pour les pays de la zone euro. Durant cette même période, la dette allemande a augmenté de 68 milliards d’euros et la dette italienne de 227 milliards d’euros. Cette crise a montré qu’il était impossible d’appartenir à la zone euro sans respecter ses contraintes politiques et budgétaires.

La dette grecque

Le nouveau plan va continuer d’augmenter la dette grecque actuelle. Alexis Tsipras a réussi à ouvrir des négociations sur un reprofilage de la dette. Une suppression partielle des 320 milliards d’euros de la dette grecque n’a pas été prévue. En rééchelonnant les dettes, on va lisser les mensualités et augmenter le coût total de la dette. Le ratio dette/ PIB de 180% aujourd’hui, risque d’être dépassé rapidement. La poursuite des rythmes d’austérité budgétaires ne va pas permettre le retour de la croissance en Grèce. L’austérité budgétaire imposée par la Troïka a entrainé la chute du PIB grec de 25% depuis 2008. Sans croissance économique durable, la Grèce sera dans l’impossibilité d’investir et de rembourser ses créanciers. Tant que les mesures seront liées à l’austérité, elles seront contre-productives pour la croissance et l’avenir de la Grèce. Ce dernier ne pourra pas dégager d’excédents primaires suffisants afin de rembourser ses créanciers et, au final, se désendetter. Si la dette grecque n’est pas restructurée rapidement, elle restera à un niveau jugé insoutenable. Plus les Européens hésitent à apporter leur aide financière à la Grèce et plus la dette totale risque d’être lourde.

La voix des privatisations

À la suite du compromis signé le 13 juillet 2015, entre Alexis Tsipras et l’Europe, Athènes va devoir créer un fonds de privatisation de 50 milliards d’euros. Ces 50 milliards nous paraissent surréalistes. En effet, nous ne voyons pas comment la Grèce pourrait obtenir plus de 30 milliards d’euros des produits de cession (ce montant est celui de la valeur des actifs privatisables). La mise en place de ce fonds doit permettre de ne pas vendre à n’importe qui et à n’importe quel prix les actifs retenus. Les privatisations ne se font pas dans les meilleures conditions lorsqu’un pays se trouve dans une situation économique et politique aussi importante que celle traversée par la Grèce aujourd’hui. Ce fonds serait géré par les autorités grecques sous le contrôle des institutions européennes. Le produit de ces privatisations ira aux investissements et au service de la dette. Les principales privatisations actuelles concernent la compagnie de chemin de fer, le port du Pirée et celui de Thessalonique. De nombreuses marinas avec de vastes constructions résidentielles et commerciales font partie du programme. Le produit de cession permettra de diminuer de 12,5 milliards d’euros la dette et d’investir 12,5 milliards d’euros pour relancer la croissance. Quid du rendement futur de ces actifs vendus ? En conservant et en améliorant la gestion de ces actifs, l’augmentation de leurs rentabilités permettrait d’assurer des revenus futurs et récurrents dont la Grèce aura besoin.

L’Europe d’aujourd’hui et de demain

La crise grecque nous a confirmé que l’euro n’était pas seulement une devise internationale, mais qu’elle induisait également une politique économique basée sur une certaine orthodoxie financière. La possibilité de la sortie de la zone euro, autrefois inimaginable, devient désormais possible. Cette possibilité peut se concrétiser à tout moment. Même si le Grexit est écarté ce 14 juillet, il peut néanmoins se produire dans une semaine, dans un mois ou dans un an. Une telle sortie de la zone euro devrait être accompagnée par les fonds structurels et par le soutien des banques afin d’éviter que toute la population grecque ne bascule dans la pauvreté.

L’Europe d’aujourd’hui semble plus divisée que jamais. Cette division fait ressortir deux courants politiques marqués : ceux qui approuvent la stratégie européenne de l’Allemagne et ceux qui défendent une plus grande souplesse dans la gouvernance européenne. La crise grecque doit nous amener à présent à nous poser certaines questions afin d’améliorer l’Europe d’aujourd’hui et de demain. Si nous ne réfléchissons pas à une autre configuration de la zone euro, la prochaine crise pourrait s’avérer bien plus violente et imprévisible que celle que nous vivons aujourd’hui avec la Grèce. Le rôle de la banque centrale européenne doit-il évoluer ? Dans quelle direction cette évolution doit-elle aller ? Les banques centrales étrangères détiennent une partie de leurs réserves en euros. Vont-elles les conserver ? Vont-elles les diminuer dans leurs stocks de devises étrangères ?

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Nicolas Tarnaud, FRICS, économiste, professeur à Financia Business School, chercheur associé au Larefi Université Bordeaux IV.

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