Non, la Blockchain n’est pas « LE » gouffre énergétique

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Par Rebecca Decoster Modifié le 27 décembre 2018 à 6h29
Blockchain Finance Participative Evolution Secteur
3 millionsLa production et le stockage des bitcoins représentent aujourd'hui la consommation de 3 millions de foyers américains.

Alors que la question climatique sur notre planète constitue un sujet brûlant depuis plusieurs années, beaucoup d’acteurs majeurs de la société jugent, aujourd’hui, l’utilisation des cryptomonnaies et, par conséquent, de la technologie Blockchain, comme étant « l’un des plus grands maux écologiques du XXIe siècle ». Il est temps de remettre les choses dans leur contexte.

Allez sur votre moteur de recherche préféré et tapez : « l’impact de la Blockchain sur l’écologie ». Vous tomberez alors sur une accumulation d’articles dont le fond est le même : la Blockchain et les cryptomonnaies signeront notre fin ! Mais dans quelle mesure cette affirmation se vérifie-t-elle ?

La Blockchain, une technologie énergivore

La Blockchain est réputée très énergivore de par son protocole de minage appelé « Proof of Work ». Ce mécanisme ajuste la difficulté des problèmes à résoudre en fonction de la puissance de calcul du réseau. En clair, plus il y a de mineurs voulant obtenir des bitcoins, plus résoudre le problème d’un bloc est complexe, plus les besoins de matériels énergivores et d’énergie se font sentir.

Il a d’ailleurs été estimé que la production et le stockage des bitcoins représentent aujourd’hui la consommation de près de 3 millions de foyers américains. Et ce n’est que le début. L’utilisation de ces cryptomonnaies étant en perpétuelle évolution, il va de soi que l’énergie utilisée pour « miner » ne va faire que s'accroître. Donc oui, regardons les choses en face : la Blockchain d’aujourd’hui n’améliore pas la santé de notre belle planète bleue ! Mais affirmer qu’elle est “LE” gouffre énergétique du XXIe siècle fait oublier les autres sources de consommation extrême d’énergie. À commencer par notre monnaie.

La création de monnaie à l’origine de rejets toxiques

En effet, il faut savoir que la production de l’euro est indexée sur le cours de l’or. Avec la raréfaction des derniers filons mondiaux, le tarif de l’or va encore augmenter, sans oublier que son processus d’extraction est loin d’être labellisé BIO. Petite séance de chimie pour mieux comprendre. 1 kg d’or extrait génère : 2,3 millions de litres d’eau, près d’une tonne d’oxyde de soufre (responsable des pluies acides), 2000 tonnes de déchets miniers soit 4000 tonnes de CO2, ainsi que 27 grammes de mercure et 22 grammes d’arsenic dans l’atmosphère. Sans compter le transport, le stockage, la sécurité, puis la fabrication de nos monnaies, les produits utilisés, le papier… Bref, rien de très écolo.

De plus, la recette étant la même depuis des décennies, les moyens d’améliorer son extraction sont minces. Seuls quelques pays, comme la Colombie, se sont lancés dans la création et l’application de label du type « Label Oro Verde » qui promeut des exploitations d’or sans mercure, ni cyanure, mais ces actions restent des exceptions. Prenez la mesure des chiffres ! En 2017, 3150 tonnes d’or ont été extraites dans le monde, soit des doses élevées de mercure, de CO? et d’arsenic lâchés dans l’atmosphère…

La pollution numérique, le mal de notre temps

N’oublions pas également l’impact de notre économie numérique sur la planète. Aujourd’hui, envoyer ou recevoir un email, le stocker, ou même faire des recherches sur internet polluent. C’est ce que l’on appelle « la pollution numérique ». Selon l’ADEME (Agence De l'Environnement et de la Maîtrise de l'Énergie), le numérique représentera en 2020 près de 4% des émissions de gaz à effets de serre en Europe. L’impact sera alors plus important que celui du transport aérien qui représente entre 2% et 3% des émissions. Autrement dit : les emails d’une entreprise de 100 personnes provoquent l’émission de pas moins de 13,6 tonnes de CO? par an, soit environ 14 allers-retours Paris/ New-York !

Blockchain et éco-responsabilité : un duo pas si antinomique

Alors quand nous entendons parler des aberrations écologiques que sont la Blockchain et les cryptomonnaies, remettons un peu les éléments en perspective. Car même si elles sont effectivement énergivores, elles sont aussi aux prémices de leur potentiel et donc de leur capacité à devenir écoresponsables. D’ailleurs, des méthodes alternatives moins polluantes existent déjà, à l’image de celles du « Proof of Stake » ou bien du « Proof of Make ». Donc plutôt que de pointer du doigt ces pratiques, ne serait-il pas plus judicieux de d’abord mieux les encadrer ?

A ce propos, un rapport d’informations de l’Assemblée Nationale sur les Blockchains, paru le 12 décembre 2018, tend à relativiser leur impact écologique. En effet, celui-ci met en exergue que la plupart des Blockchains qui se développent aujourd’hui sont privées. Elles ne réclament donc pas de consommation d’énergie démesurée. Ce rapport explique également que les Blockchains publiques auront tendance à se concurrencer, voire à se regrouper. Ce phénomène modère la vision inquiétante de l’explosion des leurs besoins énergétiques puisque peu d’entre elles devraient alors parvenir à la phase de maturité. Elles pourront aussi proposer de réels services, voire se substituer à d’autres, rendant ainsi leur consommation d’énergie acceptable car davantage proportionnée à leur utilité.

Pour finir, nombreux sont les mineurs qui, dans un souci de rentabilité économique, freinent de potentiels excès. C’est aussi pour cette raison que beaucoup de fermes de minages se développent dans les pays au climat tempéré en utilisant principalement l’énergie hydraulique.

Bref, la Blockchain et les cryptomonnaies ne sont pas plus énergivores que certains produits de notre consommation actuelle, et qui sait, un jour peut-être, ces ordinateurs qui servent à miner, serviront aussi pour nous chauffer !

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Rebecca Decoster est responsable communication chez Utocat.

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