L’exploitation commerciale de l’image des enfants de mois de seize ans sur les plateformes en ligne

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Par Marion Faupin et Mélanie Erber Publié le 29 novembre 2020 à 8h19
Youtube Pub Video
1 EUROPour 1000 vues, sur Youtube, le créateur de la vidéo encaisse en moyenne 1 euro.

Enfants stars des réseaux sociaux, une nouvelle loi pionnière en la matière vient encadrer juridiquement la mise en scène des mineurs de moins de seize ans sur les plateformes de vidéos en ligne.

Ce sont des activités banales de la vie quotidienne des enfants, petit-déjeuner, sortie au parc, session cuisine ou découverte de nouveaux jouets, sauf que ces activités sont filmées, bien souvent par leurs parents, et diffusées sur les plateformes en ligne telles que YouTube ou Instagram. Il y a Kobe, le bébé cuisinier, 2,5 millions d'abonnés sur Instagram(1), Swan et Néo, les frères fans de jeux vidéo totalisant 5,2 millions d'abonnés sur leur chaine YouTube(2) ou encore Ryan et ses tests de jouets dont la chaîne YouTube « Ryan's World » culmine à 27,1 millions d'abonnés(3).

En sortant de la sphère privée familiale pour une exposition mondiale, la diffusion de ces vidéos, pouvant atteindre des millions de vues, n'est pas sans risques pour leurs protagonistes et les dérives de telles pratiques sont nombreuses.

Les atteintes physiques et psychologiques des enfants contraints de suivre le rythme des tournages nécessaire à la diffusion régulière de vidéos mais aussi la célébrité engendrée par ces activités sont de premiers sujets d'inquiétudes. Par ailleurs, ces vidéos peuvent générer des revenus conséquents sous différentes formes, principalement liés à la publicité ou aux contrats commerciaux conclus entre les marques et les jeunes influenceurs. L'encadrement de la perception de ces revenus au bénéfice des enfants est un second enjeu.

En 2018, des associations dont l'Observatoire de la parentalité et de l'éducation numérique(4) avaient alerté le gouvernement et l’opinion sur ces activités ne relevant plus du loisir mais constituant un réel travail pour les enfants pointant un vide juridique sur le sujet. Contrairement aux enfants travaillant dans le secteur du divertissement et du mannequinat bénéficiant d'un statut protecteur prévu par le Code du travail, les jeunes influenceurs ne disposaient pas de cadre juridique.

Avec un souci de mettre en place un statut protecteur faisant prévaloir « l'intérêt supérieur de l'enfant », principe fondamental garanti par l'article 3 de la Convention internationale des droits de l'enfant, le député Bruno Studer a déposé le 17 décembre 2019 à l'Assemblée Nationale la proposition de loi visant à encadrer l'exploitation commerciale de l'image d'enfants de moins de seize ans sur les plateformes en ligne.(5)

La crise sanitaire du covid-19 a contribué à un usage accru d'internet et des réseaux sociaux par les utilisateurs en période de confinement ce qui a justifié d'autant plus le travail parlementaire qui a suivi vers l'adoption d'une telle loi protectrice des droits de l'enfant. Promulguée le 19 octobre 2020, la loi entrera en vigueur le 20 avril 2021.

Les articles 1 et 3 posent le cadre juridique applicable à ces activités lorsque les vidéos publiées le sont dans le cadre d'un travail ou quand elles interviennent dans le cadre d'un loisir. Les articles 2 et 4 concernent les plateformes qui devront retirer les vidéos litigieuses après saisine de l'autorité judiciaire et établir des chartes visant à informer parents et enfants sur les risques liés à la diffusion de vidéos sur internet. L'article 6 vise le droit à l'effacement des données à caractère personnel ouvert aux mineurs dont l'image est diffusée sur les plateformes.

L'article 1er de la loi vise à encadrer la relation de travail établie entre un enfant et un professionnel dont l'activité consiste à réaliser des enregistrements audiovisuels pour être diffusés à titre lucratif sur une plateforme de partage de vidéos. Pour cela, le législateur a étendu à cette activité le régime actuellement applicable aux enfants employés par les industries du spectacle, de la publicité et de la mode.

C'est à titre exceptionnel que les mineurs peuvent participer à certains secteurs d'activités car, faut-il le rappeler, le travail des enfants est interdit sauf dérogations prévues par le Code du travail. Il est vrai que l'activité des enfants Youtubeurs est proche de celles des enfants engagés sur les plateaux de cinéma, dans des spectacles ou sur des campagnes publicitaires en tant que mannequins. C'est pourquoi il est apparu légitime d'appliquer des protections analogues aux enfants mis en scène dans des vidéos partagées en ligne sur les plateformes à titre lucratif.

Lorsque l'activité de l'enfant relèvera d'une relation de travail comprenant une prestation, en particulier les répétitions et prises de vues, une rémunération et un lien de subordination concrétisé par les consignes et la scénarisation dictées par l'employeur alors ce régime s'appliquera.

Une autorisation administrative préalable à l'engagement ou à la production d'un enfant de moins de seize ans sur un service de médias audiovisuels à la demande (SMAD) ou une plateforme de partage de vidéos devra être demandée par les professionnels employeurs que sont les réalisateurs, producteurs ou annonceurs. Les conditions d'emploi devront être compatibles avec la scolarisation de l'enfant et la sauvegarde de sa santé.

A la délivrance de l'autorisation, l'autorité administrative, à savoir la direction de départementale de la cohésion sociale, transmettra aux représentants légaux une information relative à la protection des droits de l'enfant dans le cadre de la réalisation de ces vidéos, qui porte notamment sur les modalités de réalisation de ces vidéos, sur les conséquences sur la vie privée de l'enfant de la diffusion de son image sur une plateforme de partage de vidéos. Les enfants ainsi exposés sont les cibles privilégiées de cyberharcèlement voire de pédopornographie. Cette information porte également sur les obligations financières incombant aux représentants légaux.

L'emploi d'un mineur de plus de treize ans est subordonné à son avis favorable écrit.

Pour faciliter les démarches des employeurs produisant et diffusant régulièrement des vidéos, un agrément pour une durée déterminée renouvelable peut être délivré à la place de l'autorisation préalable, comme c'est le cas pour les agences de mannequins.

Le professionnel qui ne respecterait pas cette procédure d'autorisation préalable risque une sanction pénale de cinq ans d'emprisonnement et 75.000 euros d'amende.

Comment est traitée la rémunération attachée à la diffusion de ces vidéos?

Les sources de revenus sont multiples pour la diffusion de vidéos sur les plateformes. Ces revenus peuvent prendre la forme de revenus publicitaires, encarts superposés à l'image, placement de produits ou encore contrats commerciaux qu'il s'agisse de vente de produits dérivés ou de redevance de contrats de licence. Il n'est pas rare que des dépôts de marque soient effectués au nom des enfants influenceurs et de leurs chaînes. La marque française "Swan et Néo" est par exemple enregistrée à l'INPI.

Les revenus devront être versés à la Caisse des dépôts et des consignations qui en assurera la gestion jusqu'à la majorité de l'enfant ou son émancipation. Une part de la rémunération perçue par l'enfant peut être laissée à la disposition de ses représentants légaux. Des prélèvements peuvent être autorisés en cas d'urgence et à titre exceptionnel.

Dans un second cas, la loi crée un cadre juridique protecteur pour l'activité des enfants de moins de seize ans qui participent à des vidéos partagées sur des plateformes mais qui, ne relevant pas d'une relation de travail, n'est pas soumise aux procédures d'autorisation ou d'agrément précitées.

L'article 3 de la loi crée une obligation de déclaration de la diffusion de telles vidéos lorsque la durée cumulée des contenus ou leur nombre dépassent, sur une période donnée, un seuil qui sera déterminé par décret ou lorsque la diffusion des contenus engendre des revenus directs ou indirects supérieurs à un seuil qui sera fixé par décret.

Il s'agit par exemple des chaînes dites "familiales" où les parents filment leurs enfants sans toutefois relever de relations habituelles de travail mais dépassant le simple loisir.

Des recommandations quant aux horaires, à la durée, aux conditions de réalisation des vidéos, aux risques associés à la diffusion de ces vidéos seront envoyées aux représentants légaux par l'autorité administrative compétente. Les obligations financières attachées aux revenus perçus et dépassant un seuil qui sera fixé par décret suivent les règles fixées pour la rémunération issue d'une relation de travail précitées.

Pour cette catégorie, la responsabilité des annonceurs est renforcée puisque ceux qui effectueront un placement de produit via ces vidéos devront demander à la personne responsable de la diffusion si elle est soumise à l'obligation déclarative et le cas échéant devra verser la somme due en contrepartie du placement de produit à la Caisse des dépôts et consignations qui la gèrera jusqu'à la majorité de l'enfant ou son émancipation.

Quelles sont les obligations à la charge des plateformes de vidéos en ligne?

L'efficacité de la loi repose sur la coopération des plateformes à plusieurs niveaux dont les objectifs sont fixés aux articles 2 et 4.

Si l'autorité administrative constate qu'une vidéo est diffusée sans que les procédures d'autorisation, d'agrément ou de déclaration n'aient été effectuées, elle pourra saisir le juge des référés suivant une procédure de retrait de contenus prévue dans un nouvel article 6-2 inséré à la loi pour la confiance dans l'économie numérique du 21 juin 2004 pour enjoindre les plateformes à supprimer la vidéo litigieuse.

Ces dernières devront adopter des chartes ayant deux principaux objectifs, informer les utilisateurs de ces plateformes ainsi que les mineurs et mettre en place les outils de signalement de contenus ainsi que les mesures visant à empêcher le traitement à des fins commerciales, des données à caractère personnel de mineurs. L'outil classique de la charte de bonnes pratiques permet de responsabiliser les plateformes qui devraient corrélativement être davantage contrôlées. Ces chartes seront rédigées avec l'appui des associations de protection de l'enfance.

Une information sur le cadre législatif et réglementaire attaché à la diffusion de l'image des enfants mais aussi sur les conséquences sur leur privée et les risques psychologiques et juridiques et sur les moyens pour protéger leurs droits, leur dignité et leur intégrité morale et physique sera requise.

Sur le volet signalement, les utilisateurs seront informés des outils à leur disposition pour notifier des contenus qui porteraient atteinte à la dignité ou à l'intégrité morale ou physique des mineurs. Là encore les associations de protection de l'enfance seront en liens avec les plateformes pour améliorer la détection de ces situations. Les plateformes devront également prendre des mesures afin d'empêcher le démarchage, le profilage et la publicité basée sur le ciblage comportemental des données à caractère personnel des mineurs.

A l’article 6 de la loi, le législateur ouvre aux mineurs le droit à l'effacement des données à caractère personnel prévu par la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés. Les mineurs dont l'image est diffusée sur une plateforme peuvent directement demander l'effacement des vidéos diffusées sans que le consentement des titulaires de l'autorité parentale ne soit requis.

Le droit à l’effacement « droit à l’oubli » s’exerce dans les conditions prévues à l’article 17 du règlement (UE) 2016/679 du 27 avril 2016. Sur demande du mineur, la plateforme en tant que responsable du traitement est tenue d’effacer dans les meilleurs délais les données à caractère personnel qui ont été collectées dans le cadre de l’offre de services de la société de l’information lorsque la personne concernée était mineure au moment de la collecte.

En cas de non-exécution de l’effacement des données à caractère personnel ou en cas d’absence de réponse du responsable du traitement dans un délai d’un mois à compter de la demande, la personne concernée peut saisir la Commission nationale de l’informatique et des libertés.

Le Conseil supérieur de l'audiovisuel sera mis à contribution afin d'accompagner les plateformes de vidéos en ligne dans leur mise en place de chartes et devra produire un bilan périodique à ce sujet.

Jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi au printemps 2021, les plateformes devront affiner leurs outils de communication et de signalement afin protéger l'image des mineurs lesquels, ou leurs parents ne mesurent pas nécessairement la portée et les risques de la diffusion de vidéos en ligne.

Mélanie Erber – Avocat associé et Marion Faupin – Avocat / Coblence avocats

1 https://www.instagram.com/kobe_yn/?hl=fr

2 https://www.youtube.com/channel/UCzYC9ss2P77Ry2LzIDL5Xsw

3 https://www.youtube.com/channel/UChGJGhZ9SOOHvBB0Y4DOO_w

4 https://www.open-asso.org/

5 https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/dossiers/exploitation_commerciale_image_enfants?etape=15-AN1-DEPOT

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Marion Faupin Avocat - Coblence avocats Marion Faupin exerce en droit de la propriété intellectuelle et des nouvelles technologies. Elle a notamment développé une expérience significative dans les litiges de contrefaçon, de protection de la vie privée en ligne, d’e-reputation et généralement de lutte contre la fraude en ligne. Enfin, elle intervient sur les questions liées au RGPD et à la protection des données personnelles.     Mélanie Erber Avocat associé – Coblence avocats Mélanie Erber est Avocat associé au sein du cabinet Coblence avocats. Elle conseille ses clients tant en conseil qu’en pré-contentieux ou contentieux sur des problématiques de droit de la propriété intellectuelle de droit de l'informatique et des nouvelles technologies et de droit de la concurrence et de la distribution.  

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