« La crise financière française de 1789-1799 » extrait

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Par Andrew Dickson White Publié le 16 février 2014 à 8h30
"On voyait donc maintenant l'idée qui s'était développée aussi facilement à l'extérieur du système de la monnaie fiduciaire, prendre possession de la nation – l'idée selon laquelle les besoins ordinaires du gouvernement peuvent être légitimement satisfaits dans leur ensemble au moyen de la monnaie papier – que l'on pouvait se dispenser d'impôts. On décréta au final que la machine à imprimer les assignats était la ressource mise à la disposition du gouvernement, et l'augmentation du volume de la monnaie papier devint chaque jour plus consternante.
Beaucoup seront assurément surpris d'apprendre que, malgré tous ces éléments montrant à l'évidence l'excédent de monnaie en circulation, rien ne calmait l'idée générale de pénurie qui prévalait. Elle faisait régulièrement surface après chaque émission, quelle qu'en soit la quantité.
Tout étudiant intelligent en histoire financière sait que cette opinion apparaît toujours après des émissions de ce type – presque comme une obligation – pour respecter une sorte de loi naturelle. La pénurie, ou plutôt l'insuffisance de monnaie, réapparaît dès que les prix sont ajustés au nouveau volume, et on assiste à une petite reprise des affaires avec l'habituelle augmentation du crédit.
En août 1793, Cambon publia un nouveau rapport. Il est impossible de le lire sans être saisi par son mélange d'ingéniosité et de folie. Son plan final pour gérer la dette publique a survécu à toutes les révolutions depuis, mais sa position par rapport à la monnaie gonflée a été mise en échec. À l'inverse de Du Pont qui démontrait qu'au final, l'augmentation sauvage de monnaie papier menait directement à la ruine, Cambon conduisait la majorité dans les grandes assemblées et les clubs avec une audace absolue, l'audace du désespoir.
En soutenant les assignats, le zèle devint sa religion. La Convention nationale qui succéda à l'Assemblée législative émit en 1793 plus de 3000 millions d'assignats et, sur cette quantité, plus de 1200 millions furent mis en circulation. Mais Cambon continuait d'affirmer régulièrement que la garantie de la monnaie assignat était sans faille.
Le point culminant de son zèle fut atteint lorsqu'il prit en considération dans le capital du Trésor national les indemnités que, déclara-t-il, la France était sûre de recevoir après ses futures victoires sur les pays alliés contre lesquels elle menait alors une guerre désespérée. Au niveau du patriotisme, c'était sublime, au niveau des finances, c'était mortel.
Tout fut tenté. De manière très minutieuse, il conçut un régime de financement qui, relié à son système d'émissions, était effectivement ce qui pourrait aujourd'hui s'appeler un « programme d'interconvertibilité ». À des degrés divers de persuasion ou de force, la guillotine apparaissant en toile de fond, les détenteurs d'assignats étaient sommés de les convertir en preuves de dette nationale, générant un intérêt de 5 %, sous-entendant qu'en cas de besoin, il était possible d'émettre encore davantage de papier. En vain. Les tableaux officiels d'amortissement montrent que les assignats ont continué à chuter.

Un emprunt forcé retirant de la circulation un milliard d'assignats enraya cette chute mais pendant un temps seulement. Le « programme d'interconvertibilité » entre devise et obligations échoua aussi lamentablement que le « programme d'interconvertibilité » entre devise et terre avant lui.
La loi qui confisquait la propriété de tous les Français qui avaient quitté la France après le 14 juillet 1789 sans revenir ensuite s'avéra être un moyen plus efficace. Elle apporta davantage de terres à hypothéquer pour la garantie de la monnaie papier.
Tout ce chapitre consacré à la folie financière est parfois cité en référence comme s'il résultait de l'action directe d'hommes complètement inexpérimentés en matière financière. C'est une grave erreur. Que ces intrigants et ces rêveurs fous ont joué un rôle de premier plan dans la mise en place du système de monnaie fiduciaire est vrai.
Que la spéculation et les financiers intéressés n'ont fait qu'aggraver les choses est également vrai. Mais les hommes en charge de la finance française pendant le règne de la Terreur et qui se sont livrés à ces essais qui nous semblent si monstrueux afin de se sauver et leur pays en même temps du flux qui emportait tout vers la ruine financière étaient universellement reconnus parmi les financiers les plus habiles et honnêtes en Europe.
Cambon surtout comptait et compte aujourd'hui comme étant le spécialiste le plus important de tous les temps. Les résultats désastreux du courage et des compétences dont il fit preuve dans ses tentatives pour résister au déluge de monnaie papier montre combien les maîtres de la finance les plus expérimentés sont impuissants pour endiguer la marée du désastre de la monnaie fiduciaire une fois qu'elle est clairement en route. Et combien toutes les promulgations qu'ils peuvent concevoir sont inutiles face aux lois de la nature.

Mois après mois, année après année, de nouvelles émissions eurent lieu. Pendant ce temps-là, tout ce qui était possible fut fait pour maintenir la valeur du papier. Les autorités de la ville de Metz firent le serment solennel que les assignats devaient avoir le même prix, qu'il s'agisse de papier ou d'espèces, d'acheter ou de vendre, et plusieurs autres corps officiels dans le pays suivirent cet exemple.
Obéissant à ceux qui croyaient, avec les femmes du marché à Paris, comme elles le spécifiaient dans leur célèbre pétition, que « les lois devraient être adoptées pour que la monnaie papier soit aussi sûre que l'or », Couthon en août 1793 avait proposé et soutenu une loi qui punissait toute personne qui vendrait des assignats à un prix inférieur à leur valeur nominale d'une peine d'emprisonnement aux fers de 20 ans.
Plus tard, il soutint une loi qui punissait de la peine de mort les Français qui feraient des investissements dans les pays étrangers.
Mais à la surprise de la grande majorité du peuple français, après que le mouvement de peur momentané soit passé, on découvrit que la valeur des assignats n'avait pas augmenté de façon permanente à la suite de ces mesures. Au contraire, cette monnaie « fiduciaire » persistait à suivre les lois naturelles de la finance et, quand de nouvelles émissions étaient réalisées, leur valeur diminuait.
L'aide la plus prodigue de la nature ne servait pas non plus. La monnaie papier du pays semblait posséder un pouvoir magique pour transformer la prospérité en adversité et l'abondance en famine. L'année 1794 fut exceptionnellement fructueuse et pourtant, avec l'automne, la pénurie de provisions fit son apparition et en hiver, ce fut la misère.
La raison en est toute simple. Les enchaînements dans toute cette histoire sont parfaitement logiques.
D'abord, l'Assemblée avait gonflé la monnaie et augmenté énormément les prix. Ensuite, elle avait dû établir un prix maximum arbitraire pour les produits alimentaires. Mais ce prix, aussi élevé qu'il ait pu paraître, tomba bientôt en dessous de la valeur réelle des produits. Nombreux furent les paysans qui du coup produisaient moins ou s'abstenaient d'apporter ce qu'ils avaient sur le marché.
Extraits du livre "La crise financière 1789-1799" écrit par Andrew Dickson White paru aux éditions Le jardin des livres.

Reproduits ici grâce à l'aimable autorisation de l'auteur et des Editions Le jardin des livres.

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Andrew Dickson White (1832-1918), diplomate américain, a signé ici un livre extraordinaire car il raconte comment les révolutionnaires se sont lancés dans l'usage intense de la planches à billets et comment ils se sont heurtés au bon sens des Français qui se sont précipités sur les pièces d'or et d'argent lorsque les Assignats ont commencé à perdre de leur valeur et que le prix du pain a commencé à s'envoler. Ce fut un Weimar avantl'heure.

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