L’eau potable ne coule pas de source (1/3)

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Par Alain Boinet Modifié le 2 août 2012 à 6h11

Kaboul, Afghanistan, l'urgence de l'eau potable ! La capitale afghane ne cesse de s'étendre sous l'effet du retour des réfugiés, de déplacés de l'intérieur qui viennent y chercher sécurité et subsistance et d'une forte démographie. Sur une population estimée à environ 4,5 millions d'habitants aujourd'hui, la moitié vit dans des districts périphériques qui ne disposent encore aujourd'hui d'aucun plan d'aménagement. en effet, le plan d'urbanisme visant à améliorer les infrastructures publiques de distribution d'eau d'ici 2015, ne couvre que la moitié de la population. On y vit comme à la campagne mais en pleine zone urbaine.

Depuis 2005, l'ONG humanitaire, SOLIDARITES INTERNATIONAL, active en Afghanistan depuis 1980, réalise notamment des programmes d'accès à l'eau potable et à l'assainissement à Kaboul. Pourtant fin 2001, l'ONG qui avait déjà réalisé d'importantes infrastructures débutées en 1994 et interrompues en juillet 1998 par l'expulsion des ONG humanitaires de Kaboul par les talibans, avait décidé de ne pas les reprendre considérant que la capitale afghane bénéficierait de l'attention de la communauté internationale qui débarquait alors en masse dans un pays longtemps abandonné. Nous préférions alors nous concentrer sur des programmes en zone rurale éloignée et toujours oubliée, où nous sommes toujours présents. C'est en 2004-2005 que des ingénieurs afghans de la municipalité de Kaboul, qui avaient travaillé avec nous auparavant, sont venus nous chercher pour nous demander de revenir dans ces quartiers ou l'eau potable faisait cruellement défaut et où l'eau insalubre consommée provoquait une forte mortalité chez les enfants.

C'est ainsi que depuis 2005, nous avons réalisé 6 grands programmes d'accès à l'eau potable et à l'assainissement destinés à 210 000 habitants de la capitale afghane. Nous le faisons avec des techniques simples de forages équipés de pompes à main et nous installons des latrines. Avec la population et nos équipes afghanes nous organisons des comités de gestion de l'eau et de ramassage des déchets. Nous le faisons donc en dehors de tout plan d'urbanisme, avec l'accord implicite la municipalité, mais sans pouvoir néanmoins nous engager dans des programmes plus ambitieux de réseaux d'adduction d'eau puisqu'il n'y a aucun plan ni autorisation le permettant. C'est dire la contradiction dans laquelle nous sommes ! Et nous ne sommes pas au bout de nos peines ! Sous l'effet de la guerre et de la pauvreté, il y a aujourd'hui à Kaboul une quarantaine de « KIS » ou « Kaboul informal settlement », c'est-à-dire des camps de fortune non autorisés par les autorités où s'entassent déjà une vingtaine de milliers d'afghans dans le dénuement le plus criant ! Cing enfants sont morts de froid dans ces camps cet hiver. SOLIDARITES INTERNATIONAL, et d'autres ONG, réalisent des programmes d'urgence au cœur de la capitale afghane avec l'interdiction d'y construire des ouvrages permanents d'accès à l'eau et à l'assainissement, des centres de santé ou des écoles, malgré les risques sanitaires majeurs que cela représente. Et tout cela à deux pas de centres commerciaux flambant neufs dont on ne sait pas comment ils sont financés dans un des pays parmi les plus pauvres du monde ! Les pronostics sont préoccupants quand on estime que ces camps pourraient accueillir près de 100 000 déshérités à l'avenir. Et cela, rappelons-le, 11 ans après une intervention massive de la communauté internationale.

Quant aux chiffres de référence dans ce domaine, ils sont pour le moins controversés. Pour les nations unies 2, 48 % de la population totale aurait accès à l'eau potable. Pour le gouvernement afghan 3, il y aurait seulement 27 % de la population afghane à en bénéficier ! Voilà un cas intéressant à questionner. Les statistiques des nations unies considèrent que les canaux d'irrigation appelés Karezes ou Qanat (réseau d'eau souterrain) sont des points d'eau améliorés supposés délivrer de l'eau potable, alors que l'enquête du gouvernement afghan préfère adopter une définition plus stricte. ceux qui ont voyagé en Afghanistan et qui ont bu l'eau des karezes et contractés diarrhée et hépatite ne peuvent que souscrire au point de vue afghan. nous reviendrons plus loin sur la question décisive des chiffres de référence internationale. En Afghanistan, un enfant sur quatre meurt avant l'âge de 5 ans et 23 % des décès de ces enfants sont attribuables à l'eau contaminée le plus souvent de diarrhée responsable chaque année par ailleurs de la mort de 1,5 million d'enfants dans le monde !

Avec l'aimable autorisation de l'auteur. Article initialement publié dans la revue Géoeconomie
Défis Humanitaires - Alain Boinet

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Alain Boinet est engagé depuis 31 ans dans l’action humanitaire. Il est le fondateur et le directeur général de Solidarités International, association humanitaire active dans une vingtaine de pays avec environ 2000 membres mettant en œuvre 160 programmes destinés à 3,7 millions de personnes en danger en  répondant à leurs besoins vitaux en matière d’accès à l’eau potable, à l’assainissement et à l’hygiène, dans le domaine de  sécurité alimentaire. Il a reçu à Barcelone en 1988 le Prix de l’action humanitaire du Festival Européen de la Solidarité. En 2004 et 2005, il a été président du Conseil d’Orientation à l’Action Humanitaire d’Urgence (COAHU) auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes. Membre du comité exécutif du Partenariat Français sur l’Eau et du Conseil National préparant le 6ème Forum Mondial de l’Eau à Marseille en mars 2012. Il est également membre du Comité de prospective scientifique de la Fondation maison des sciences de l’homme à l’EHESS.  

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