Bouygues : racheter SFR pour le céder à l’étranger ?

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Par Jérôme Tullier Modifié le 29 novembre 2022 à 10h11

Prévue de longue date, la fusion SFR – Numericable pourrait être officielle dès cette semaine. Les deux entreprises mettraient en commun leurs expertises respectives dans le mobile et la fibre optique. Mais Bouygues souhaite enrayer ce rapprochement. L’opérateur, en difficulté, tente le tout pour le tout, quitte à critiquer Numericable sur ses intérêts à l’étranger. Une manœuvre assez malvenue de la part d’une multinationale, rompue à l’art de la cession d’actifs partout dans le monde.

Le rachat de SFR par Numericable devrait constituer l’une des opérations majeures de l’année 2014 et surtout une petite révolution sur le marché des télécoms et de la fourniture d’accès à Internet. Sur le papier, les deux parties comme les consommateurs ont intérêt à ce que la fusion se réalise. SFR souffre de la concurrence d’Orange et de Free sur le marché du mobile et a du mal à survivre face à la surenchère de forfaits bon marché, galvanisée par l’arrivée de la 4G. Quant à Numericable, le câblo-opérateur, en avance sur la concurrence pour ce qui concerne la fibre optique, souhaite renforcer ses positions sur l’ADSL et diversifier son offre sur le mobile.

Par ailleurs, une telle fusion servirait la politique française des télécoms. De fait, Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif, a répété sa volonté de ne pas voir l’un des quatre opérateurs français disparaître. L’arrivée de Free en janvier 2012 a permis l’émergence d’une offre élargie et d’une baisse substantielle des prix pour les usagers. Avec Numericable, la pérennité de SFR serait assurée. Et vice versa. Numericable, qui participe naturellement au déploiement de la fibre optique sur le territoire français, en concordance avec la politique nationale de lutte contre la fracture numérique, aurait les moyens d’accélérer son action. A l’heure actuelle, l’entreprise dirigée par Patrick Drahi prévoit le raccordement de 9 millions de prises d’ici 2017. Grâce à une fusion avec SFR, le fournisseur d’accès à Internet aurait les moyens de porter ce nombre à 12 millions.

Mais bien entendu Numericable n’est pas le seul à s’intéresser à SFR. C’est le cas de Bouygues, opérateur également à la peine face à la concurrence de Free et Orange. Martin Bouygues lorgne donc sur SFR, pensant pouvoir se relancer grâce à une fusion et la disparition d’une partie de la compétition. Le groupe industriel présent dans les domaines de la construction, de l’énergie, des transports, des médias et donc des télécoms a jusqu’au mercredi 5 mars pour formuler son offre à SFR, qui cherche habilement à faire monter les enchères. Extrêmement en retard dans la formulation de l’offre – Numericable planifiant son montage financier depuis des mois – et en contradiction avec la politique française des télécoms, Bouygues n’a donc guère d’autre option que de chercher à décrédibiliser le projet de Numericable.

Car du point de vue du droit de la concurrence, une offre émanant de Bouygues poserait de sérieux problèmes. Le simple examen par le régulateur serait susceptible de prendre des mois, sans aucune assurance de validation, bien au contraire. Durant ce temps de latence, les deux opérateurs auraient amplement le temps de voir leurs situations se dégrader et se rapprocher de la faillite. Et dans tous les scénarii envisagés, les 10 000 salariés de SFR seraient en danger. Les deux entreprises appartiennent au même secteur et sont en concurrence sur les mêmes segments. Bouygues s’en défend naturellement, mais les « synergies » promises au Gouvernement ont logiquement été comprises comme une « casse sociale » probable.

Acculé, Martin Bouygues a lancé les grandes manœuvres pour influer sur la décision de SFR. Tout est bon pour éviter un rapprochement avec Xavier Niel envers qui il voue une haine sans borne. Y compris d’accuser Numericable de prévoir de délocaliser les emplois français ou de vendre les actifs à l’étranger. Un procès d’intention fallacieux et vain alors que Patrick Drahi a réitéré, mardi 4 mars, son engagement pour non pas réduire, mais accroître le nombre de salariés. D’autant que Bouygues, multinationale présente dans 80 pays, est l’un des champions français des ventes d’activités stratégiques à l’étranger. L’entreprise a ainsi cédé Bouygues Telecom Caraïbes à Digicel en 2005, une société américano-irlandaise. De la même manière, en 2002, Bouygues avait vendu à l’Italien ENI Bouygues Offshore, filiale spécialisée dans la construction de plateformes pétrolières et gazières, pour 1 milliard d’euros. Mieux, grâce à une alliance, officielle depuis hier avec l’Espagnol Telefonica, qui lorgne déjà sur l’opérateur allemand E-Plus, Bouygues dispose désormais d’un acquéreur en cas de rachat de SFR.

L’épilogue de cette courte, mais néanmoins intense, saga économique et financière doit intervenir ce soir, date butoir fixée par SFR pour déposer ses offres de rachat. Les gesticulations de Bouygues seront très certainement inefficaces tant son dossier apparaît faible et irréalisable en comparaison avec celui de Numericable. La tentative de copinage avec le Gouvernement ou encore les accusations de vente d’actifs à l’étranger programmée par Numericable risquent de ne pas faire long feu.

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Jérôme Tullier est détenteur d’un Master 2 en Économie des Marchés et des organisations obtenu à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) de Toulouse. Il s’est ainsi intéressé à l’économie, l’économétrie, l’économie industrielle, la politique de la concurrence, la régulation et l’économie des réseaux. Il est aujourd’hui chargé de missions dans un cabinet réputé de conseil en stratégie concurrentielle et d’innovation.

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