Valls-Taubira : le duel de l’été décrypté par un pro de la communication

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Par Stéphane André Publié le 5 septembre 2013 à 4h31

« Le Monde » du 14 août : titre « Manuel Valls saborde la réforme Taubira ». En accroche : « Récidive, peine plancher, probation : les sujets de contentieux entre les deux ministres éclatent au grand jour ». A l'intérieur de l'article une Phrase en exergue : « Les divergences sont telles que le ministre de l'intérieur demande à l'Elysée d'arbitrer ».

Dans un autre article, le même jour : « Manuel Valls y est résolument hostile [à la réforme], Jean Marc Ayrault hésite, et François Hollande ne semble pas pressé d'ouvrir un front politiquement risqué à la veille des élections municipales de 2014. Manuel Valls s'est senti les mains libres pour engager franchement les hostilités sur le texte du Ministère de la justice, sans avoir l'élégance d'en prévenir Christiane Taubira. ».... «sa lettre à l'Elysée est sévère ».

Le journal indique qu'il rencontre la ministre de la justice à deux reprises après avoir envoyé cette lettre, le 29 et le 31 juillet, et qu'il ne lui en dit pas un mot. Le duel a commencé.

« Le Monde » du 15 août : « Le premier ministre tente d'apaiser les tensions entre Monsieur Valls et Madame Taubira » titre le journal.

A l'intérieur de l'article : « Pour le président socialiste [Jean Jacques Urvoas] de la commission des lois de l'Assemblée Nationale « la forme est détestable : ce courrier n'avait pas vocation à être rendu public. Mais sur le fond ce débat est sain et compliqué »... « La seule question qu'on doit se poser, c'est : est-ce que la situation aujourd'hui est satisfaisante ? Si l'on pense que non, il y a bien une légitimité à faire une nouvelle loi pénale. » La question sera au cœur des journées parlementaires du PS, ou les deux ministres viendront s'exprimer ». En attendant, un à zéro pour Taubira.

« Le Monde » du 18 et 19 août : Le journal titre l'article de cette citation : « Il faut supprimer les peines planchers ». Et en accroche sous le titre : « Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois du sénat, veut que le gouvernement présente le projet de loi Taubira au Parlement avant les municipales ».

A l'intérieur de l'article qui reproduit une interview de Jean Pierre Sueur, sa dernière phrase est citée en exergue en très gros caractères en plein milieu de l'article : « Mieux vaut dire la vérité et en tirer les conséquences, comme le fait courageusement la garde des sceaux »

La dernière question posée au président de la commission des lois du sénat : « Estimez-vous, comme le Ministre de l'Intérieur, que la conférence de consensus sur la prévention de la récidive [en janvier 2013 elle a servi de base au projet de réforme pénale du Ministère de la Justice] est « un socle de légitimité fragile » ?

La réponse : « La conférence de consensus organisée par Christiane Taubira, est une démarche sans précédent dans notre pays et, contrairement à ce qui a été dit, toutes les approches y ont eu leurs place. ». Elle se termine par la phrase citée en exergue. Deux à zéro pour Taubira.

« Le Monde » du 22 août : Titre de l'article : « L'omniprésent Manuel Valls commence à irriter son camp »

A l'intérieur : « les positions choc de M.Valls [...] commencent à agacer jusqu'au sein du gouvernement ». Il en avait ajouté une sur le regroupement familiale au cours du séminaire gouvernemental du 19 août. Une photo le montre seul, le visage fermé, tournant le dos à deux ministres qui conversent ensemble. Trois à zéro pour Taubira.

« Aujourd'hui en France » du 23 août : Titre : « Taubira se chauffe chez les écolos ». Et en accroche : « Invitée des journées d'été d'Europe-Ecologie-les Verts, hier à Marseille, la garde des sceaux, très applaudie, a défendu sa réforme pénale. Elle a taclé Manuel Valls ». Une photo la montre à la tribune, un bras levé, dans une belle posture d'oratrice. Une phrase de son discours est en exergue sur le fond de la photo : « [Il ne faut pas] céder aux airs martiaux et à la virilité intimidante ». Quatre à zéro pour Taubira.

« Aujourd'hui en France » du 25 août : Titre : « Valls joue les bons camarades ». En accroche : « Omniprésent tout l'été, le ministre de l'intérieur est cette fois rentré dans le rang lors de l'université d'été du PS. Hier, c'est Christiane Taubira, sa rivale, qui en a été la vedette. »

En dessous de cet article un second a pour titre : « Taubira accueillie en rock star ». On lit à l'intérieur : « Pas une seule fois elle ne cite Manuel Valls. Quelques minutes plus tôt, le ministre de l'intérieur s'est pourtant fendu d'un message d'amitié à son égard. ». Score final : cinq à zéro pour Taubira. Valls est battu et lui fait allégeance.

Taubira est une oratrice. Elle parle sans note et sans hésitation. Droite, le visage détendu, elle regarde son public et construit avec lui son discours. Elle fédère autour d'elle en leader, sans contraindre personne. Valls n'est pas un orateur. Quand il n'a pas de notes, il hésite en prenant de faux airs affectés pour donner le change. Il ne regarde pas son public et se tient raide comme un passe-lacet. Son visage est de pierre. C'est un chef. Il ne fédère (peut-on dire « fédère » ?) autour de lui que ceux sur lesquels il a un pouvoir de nuisance. Pour l'instant, il n'en a encore sur personne en dehors de son ministère.

Nous ne prenons pas ici position sur le fond du débat car ça n'est pas notre rôle. Seule nous intéresse la cause de l'Art Oratoire. Ce duel entre deux ministres nous en semble une bonne défense et illustration.

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Stéphane André est diplômé ESSEC et maîtrise de psycho clinique. Possédant une formation de comédien, il est metteur en scène de théâtre lyrique. Il est l'auteur du livre "Le Secret des Orateurs", Édition Stratégie et enseigne l'art oratoire en anglais.

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