La décision de Donald Trump de jeter aux orties l’accord nucléaire iranien, repousse encore plus loin la perspective d’un eldorado iranien.
La signature de l'accord sur le nucléaire iranien en juillet 2015 avait suscité le fol espoir pour les entreprises étrangères de la conquête d’un marché de 80 millions d’âmes et la reprise d’une économie exsangue. Or, près de trois ans après la levée partielle des sanctions et la restitution par les Etats-Unis de 150 milliards de dollars au pouvoir iranien, l’état de l’économie reste catastrophique. Après les révoltes du début de l’année dans de nombreuses villes du pays contre la cherté de la vie et la décision américaine récente de rétablir les sanctions contre Téhéran, on attend le pire pour le régime théocratique.
Avec l’accord de 2015 sur le nucléaire, on avait espéré que Téhéran lance les tant attendues réformes économiques, que les « Gardiens de la révolution » (pasdaran) lâchent leur emprise sur l'économie, que l'Iran devienne un pays respectable et abandonne son programme de missile balistique et ses ingérences déstabilisatrices au Moyen-Orient. Ces attentes ont malheureusement été déçues.
Pour certains, c’est le contexte international et l’attentisme autour de la décision de Donald Trump qui a conduit aux problèmes de l’Iran. Selon eux, l’absence d’investissements étrangers a privé l’économie iranienne des ressources nécessaires pour sa reprise. Pour d’autres, ce sont les vices structurels de l’économie, la corruption endémique qui gangrène l’Etat et les gaspillages des ressources du pays dans la guerre en Syrie et pour financer les milices supplétives régionales des pasdaran qui expliquent le capharnaüm iranien.
Le régime des mollahs n’a véritablement pas manqué de ressources durant ses 39 ans de règne sur la destinée des Iraniens. On estime à 900 milliards de dollars les revenus pétroliers des quatre dernières décennies. C’est ce ressentiment largement partagé par l’Iranien ordinaire au sujet de l’immense gabegie provoqué par les religieux au pouvoir qui explique peut-être la profusion de satisfactions exprimées sur les réseaux en Iran après la décision américaine de couper les ressources financières du régime. « Lâchez la Syrie, occupez-vous de nous », avait été un slogan largement repris lors des révoltes populaires de janvier qui ont embrasé quelque 140 villes et illustré la frustration des Iraniens contre un régime plus occupé à étendre son influence néfaste dans la région et développer ses programmes nucléaire et balistique dispendieux que de s’occuper des maux du pays.
Marasme économique
Avec un taux de chômage à 12,7% (27% chez les jeunes) et une inflation à deux chiffres, selon le FMI, on estime à 25 millions le nombre de personnes vivant sous le seuil de la pauvreté. Quelque 700 000 d’Iraniens font faillite personnelle chaque année en raison de charges médicales insurmontables. Le marché de la vente des organes du corps humains est florissant dans un pays où la précarité fait des ravages inédits dans son histoire contemporaine. Fortement dépendante de la rente pétrolière (80% des exportations), les 2,5 millions de barils-jour exportés n’apportent aux Iraniens qu’un revenu de 6 000 dollars par tête, ce qui est le revenu moyen de pays africains les plus pauvres. Autour de 3,5% en 2017, la croissance de l’économie iranienne, dont le secteur privé ne représente que 20%, devrait baisser davantage dans la conjoncture actuelle.
Or, plus que les décisions de Donald Trump, c’est la crise bancaire qui constitue la plus grande menace économique pour le pays, estiment les analystes. Pendant des années, les quelque 40 grands établissements financiers du pays ont été utilisées comme des véhicules pour financer les activités des Gardiens de la révolution (pasdaran), offrant des taux de dépôt atteignant les 22% en 2014 pour attirer l'argent des contribuables. La banque centrale iranienne établit le montant total des créances douteuses à 26,6 milliards de dollars, c'est-à-dire environ 11% du total des prêts bancaires accordés. Mais elle est incapable de faire récupérer les dettes colossales non-remboursées parce que les créanciers ne sont autres que les entreprises, sociétés ou établissements liés directement ou indirectement au pouvoir et des individus puissants parmi les pasdaran et les mollahs influents.
Par ailleurs, la fragilité du système s’est récemment illustrée par l’effondrement de la valeur de la devise iranienne. En pleine impasse des relations avec les États-Unis, la valeur du rial enregistre une baisse historique et a perdu environ 38% de sa valeur face au dollar en six mois (en dix ans, le rial a perdu 450% de sa valeur). Le manque d'accès à l'argent et les difficultés à transférer des fonds à l'étranger ont durement frappé les établissements financiers du régime. Les autorités ont blâmé les ennemis régionaux pour avoir manipulé la pression sur le rial.
Un régime en sursis
Les analystes sont pessimistes quant aux capacités de Téhéran à surmonter les multiples crises auxquelles il est confronté. La crise économique risque d’exacerber la crise politique. La « révolte de la misère » en janvier 2018 a sonné comme un avertissement sérieux pour les mollahs. Depuis, les appels pour l’abolition du « principe de la tutelle du Guide suprême » sur le pays, qui constitue à la fois le fondement de la théocratie et la cause de son déclin, se font de plus en plus pressant.
Or, une réforme du système s’étant avérée jusqu’ici impossible, une grande majorité de la population aspire désormais à un changement de régime. Tant à l’intérieur du pays, dans les manifestations récurrentes des salariés impayés, des personnes spoliées, des paysans dépossédés… qu’à l’extérieur, chez les cinq millions d’expatriés iraniens dont les rangs ne cessent d’augmenter, les appels à un changement démocratique se font entendre avec une résonance grandissante. Si la répression brutale dans le pays ne permet pas l’articulation de ces revendications, les opposants réunis autour du Conseil national de la Résistance iranienne (CNRI), font échos aux aspirations de leur compatriotes de l’intérieur.
Si le régime veut sortir du marasme dans lequel il s’est engouffré et éviter des sanctions paralysantes, il doit se conformer aux attentes de la communauté internationale et de la population iranienne. Il devra aussi répondre aux « préoccupations largement partagées liées au programme balistique de l’Iran et à ses activités régionales déstabilisatrices, en particulier en Syrie, en Irak et au Yémen », ont déclaré Emmanuel Macron,Theresa May et Angela Merkel, dans une déclaration conjointe le 8 mai suite à la décision de Donald Trump. Téhéran devra également respecter les libertés démocratiques de la population, libérer les prisonniers politiques, cesser les pendaisons pratiquées à grande échelle et relâcher l’emprise des pasdaran sur l’économie. Dans le cas contraire, c’est l’inéluctable vague des révoltes conduisant à son renversement qui l’attendent.