Le voeu de vérité et les cotisations sociales

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Par Jacques Bichot Publié le 13 janvier 2019 à 11h30
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Le vœu de vérité adressé aux Français par le Président de la République devrait déboucher sur des changements importants, car nos institutions sont en grande partie basées sur des idées radicalement fausses, ou inadaptées aux problèmes à résoudre. Après avoir examiné le cas des retraites par répartition et celui de quelques indicateurs statistiques, abordons aujourd’hui la division des cotisations sociales en une part salariale et une part patronale.

Un conte de fées

Chaque salarié, en France, constate sur sa feuille de paie que son salaire brut sert de base de calcul à des cotisations sociales dites « salariales » et à des contributions (CSG et CRDS) qui sont soustraites à ce salaire brut pour calculer le salaire net, dont le montant est viré sur son compte en banque. Il y voit aussi des cotisations dites « patronales » ; celles-ci s’ajoutent au salaire brut pour former le salaire « super-brut », principale composante du coût de son travail pour l’employeur. Des subtilités supplémentaires peuvent intervenir au niveau fiscal, certaines contributions ou fractions de contributions faisant partie du montant soumis à l’impôt sur le revenu (IR), à la différence de la plus grosse masse de ces prélèvements, de façon à booster légèrement l’IR.

Il est communément admis que la rémunération du salarié est son salaire brut, indiqué dans son contrat de travail. Les cotisations salariales sont ipso facto considérées comme étant payées par le salarié, et les cotisations patronales comme étant payées par l’employeur. Prétendre que la rémunération du salarié se limite à son salaire brut permet de considérer les cotisations patronales comme des « charges » venant alourdir le coût du travail. Tout un discours, provenant non seulement du patronat mais aussi, hélas, de certains économistes, prône l’allègement de ces « charges » pour diminuer le coût du travail sans toucher à la rémunération des travailleurs.

Ces discours dissimulent la réalité, à savoir que la rémunération du salarié est son salaire super-brut, parce que les cotisations patronales servent, comme les cotisations salariales, à payer la couverture sociale du salarié, qui est le plus souvent la dépense la plus importante de son budget, avant même les frais relatifs au logement ou à la nourriture.

Présenter les cotisations patronales comme ne faisant pas partie de la rémunération salariale peut se justifier juridiquement du fait que le contrat de travail porte seulement sur le salaire brut. Mais quand le droit s’écarte de la réalité économique, c’est que le législateur a mal fait son travail, car la loi n’a pas le pouvoir de transformer la nature des choses. De fait, le droit social et le droit du travail ressemblent, sur ce point, à un conte de fées. Une fée peut transformer un crapaud en prince charmant, et vice-versa : c’est une fiction littéraire. La loi peut de même décider que les cotisations dites patronales ne font pas partie de la rémunération du salarié, mais il s’agit alors d’une fiction juridique.

Il n’existe aucune différence économique fondamentale entre les cotisations patronales et les cotisations salariales. Les unes et les autres constituent des prélèvements obligatoires qui financent l’assurance maladie des salariés et de leur famille, les pensions des anciens travailleurs, les prestations familiales, et les indemnités de chômage. Toutes font partie de la rémunération des salariés, et toutes sont versées directement, par l’employeur, à l’URSSAF, à l’ARRCO-AGIRC et à Pôle-emploi, de même que l’impôt sur le revenu va dorénavant être versé au Trésor public sans que l’argent transite par le compte en banque du travailleur.

Pourquoi le législateur a-t-il conservé les cotisations patronales ?

Pour comprendre cette architecture juridique digne des dessins de châteaux qui illustrent les contes de fées, il faut emprunter une machine à remonter le temps, revenir à l’époque féodale. Il existait alors des corporations, une pour chaque corps de métier, et beaucoup de ces corporations avaient mis en place des mécanismes de soutien de leurs membres et des familles de leurs membres en cas de coup dur. Parfois la corporation amassait pour cela un petit trésor, non pas de guerre, mais de bienfaisance ; parfois, c’était après l’accident ou le début de la maladie que l’on se cotisait pour venir en aide aux victimes. Les artisans ou commerçants qui avaient des « compagnons » sous leurs ordres mettaient un point d’honneur à contribuer davantage que ces compagnons et les petites mains qui les assistaient.

La révolution industrielle rendit désuet ce système de protection, et ne le remplaça pas immédiatement. Des patrons se rendirent compte de cette lacune, et cherchèrent à y remédier en participant à la création et au fonctionnement de sociétés de secours mutuel. Considérant que cela faciliterait le financement de ces organismes et améliorerait leur propre image aux yeux de leurs employés, ils leur apportèrent eux-mêmes les plus grosses sommes. Mais le « paternalisme » de l’époque se voulait éducatif : les salariés devaient cotiser. La montée en puissance des cotisations patronales conjointement à celle des cotisations ouvrières a probablement remplacé une partie des augmentations de salaire net que les maîtres de forge et les patrons de l’industrie textile auraient pu accorder, tout en leur procurant une image de bienfaiteurs.

Le paternalisme du XIXème siècle a ainsi mis en place un système astucieux, bénéficiant aux travailleurs et à leurs familles, améliorant l’image de marque des patrons « sociaux », et leur permettant de garder en partie la main sur les institutions de protection sociale qu’ils créaient ou contribuaient à créer pour remplacer les anciens systèmes caritatifs. Le propos que l’on prête à Bismarck lors de la mise en place des premières assurances sociales publiques, à la fin du XIXème siècle, transpose probablement ce qui fut l’idée directrice du patronat social : « Messieurs les démocrates joueront vainement de la flute lorsque le peuple verra que le Prince s’occupe de son bien-être ». Remplaçons « prince » par « patron », et nous avons le ressort principal de l’organisation des premières ébauches de protection sociale dans le courant du XIXème siècle.

Au siècle suivant, lorsque les différents Etats, y compris l’Etat français, voulurent mettre en place une protection sociale nationale, ils partirent de ce qui existait, et ils conservèrent les cotisations patronales, notamment pour avoir l’appui du patronat, qui tenait à conserver un rôle majeur dans la gestion de ces caisses de secours et organismes similaires.

A l’époque actuelle, le conservatisme aidant, une fraction importante du patronat trouve toujours un intérêt à désigner des administrateurs dans les caisses de sécurité sociale, et à ce qu’il existe des cotisations dites patronales. En effet, la fixation par les pouvoirs publics des taux de ces cotisations donne l’occasion de marchandages, destinés à modérer les augmentations de salaires et, surtout, à obtenir des remplacements de cotisations patronales par des dispositifs fiscaux. Les représentants patronaux ont un merveilleux os à ronger : ils peuvent se plaindre amèrement de ces cotisations qui, selon eux, accroissent le coût du travail de façon insupportable, et sapent ipso facto la compétitivité des entreprises. Ils estiment – probablement à tort – que la suppression des cotisations patronales ferait disparaître tout ou partie de leurs places dans les conseils des différentes caisses.

Pourquoi et comment passer à des cotisations purement salariales

La suppression des cotisations patronales est nécessaire pour qu’il soit clair que chaque Français disposant de revenus achète sa protection sociale par ses cotisations. Il faut vivifier la notion d’assurances sociales. Chaque Français doit pouvoir se dire : « je paie pour bénéficier d’un ensemble complet de garanties ; si je suis à mon aise, je paie un prix plus élevé pour que ceux qui, dans mon pays, tirent le diable par la queue, aient eux aussi une protection d’excellente qualité tout en versant beaucoup moins ; et si j’ai des fins de mois difficiles, la modestie de mes cotisations n’aura pas pour effet de me priver des soins sophistiqués dont je pourrais avoir besoin. »

Le passage au « tout cotisations salariales » est également nécessaire pour que les Français comprennent ce que leur coûte réellement la protection sociale dont ils bénéficient. Actuellement, Mr Durand et Mme Dupont n’ont pas idée de ce qu’ils dépensent en tant qu’assurés sociaux, puisque les cotisations patronales sont censées être payées par l’entreprise, pour ne pas dire « par mon salaud de patron ». La mentalité « c’est autant de pris sur l’ennemi » est une conséquence dramatique du mensonge institutionnel que représente l’existence même de cotisations patronales. Les citoyens ne deviendront pleinement responsables que le jour où le législateur aura décidé de remplacer le conte de fées actuel par la pure et simple vérité : le paiement total des cotisations sociales par l’assuré social.

Pour être pleinement efficace, la restauration de la vérité devrait comporter l’abandon du paiement des cotisations par retenue à la source. La loi doit faire preuve de pédagogie : si le compte en banque de chaque travailleur est crédité de sa vraie rémunération, à savoir le salaire super-brut, puis débité de presque la moitié de cette somme pour payer notre couverture sociale, alors chacun se rendra compte de la réalité. Les revendications n’iront plus dans le sens de budgets toujours plus élevés, mais dans celui d’une amélioration des soins et autres contenus de la protection sociale à budget constant, grâce à des gains de productivité.

Pour l’enjeu vérité, la retenue à la source de l’impôt sur le revenu est évidemment désastreuse, comme celle des cotisations sociales : elle montre à quel point nos dirigeants actuels se soucient peu de la compréhension par les citoyens de ce qui leur est demandé pour bénéficier de services publics de qualité. Dans une véritable démocratie, Mr Dupont et Mme Durand doivent être informés de manière très concrète et tangible, sur leur relevé de compte en banque, de ce qui leur a été prélevé, que ce soit pour l’impôt ou pour la sécurité sociale. Un vœu de vérité qui ne s’accompagne d’aucune mesure rendant perceptibles les vérités de la vie d’assuré social et de citoyen, mais qui tout au contraire sert de garniture purement décorative à des mesures allant dans le sens diamétralement opposé, fait partie de ces « paroles verbales » dont nous sommes hélas abreuvés.

Le jour où la décision en sera prise, aller enfin dans le sens de la vérité en matière de cotisations sociales ne sera pas très difficile : la transformation des cotisations patronales en augmentation des cotisations salariales requiert simplement une loi de quelques lignes, accompagnée évidemment de décrets d’application plus complexes. Le plus délicat sera d’empêcher les membres de la technostructure qui se complaisent à tout compliquer de reprendre la main sous prétexte qu’eux seuls connaissent toutes les arcanes du système. Une équipe politique et administrative solide et compétente devrait y parvenir, quitte à mettre au placard un certain nombre de personnes qui ont plus de goût pour la complication, pour l’augmentation des frais de fonctionnement et pour le déguisement juridique de la vérité que pour la simplicité des institutions, la modestie des dépenses destinées à les gérer et le réalisme économique des institutions de la République.

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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