Les trente glorieuses de Lejaby

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Par Claire Gallois Publié le 2 mars 2014 à 7h00

Le 17 janvier 2013, la Maison Lejaby inaugure à Paris, rue Royale, l’espace Salon de couture, prêt à recevoir les plus riches clientes de la planète.

Ce sont les danseuses du Lido qui défileront pour présenter la nouvelle collection ultra- raffinée de lingerie très haut de gamme, réalisée à partir de matières exclusivement françaises – soie de Lyon ou dentelle de Calais. Chaque modèle portera la mention « made in France » et le prénom de l’ouvrière qui l’a confectionné. Une collection baptisée Renaissance. À juste titre : un an auparavant, presque jour pour jour, la liquidation de l’entreprise symbolisait le naufrage de l’industrie française. Nous sommes en pleine campagne présidentielle, il n’y a pas encore de redresseur productif en marinière pour prêcher la bonne solution, à savoir, l’expérience de Florange nous l’a démontré, celle qui n’aboutit jamais. Mais lorsqu’on ferme leur usine d’Yssingeaux, les 93 petites mains salariées se révoltent. Ce sont elles qui deviennent le symbole du « made in France » en refusant le plan social.

Elles revendiquent que leur « savoir- faire » est aussi un « savoir- vivre ». Le nouveau propriétaire de Lejaby, Alain Prost, ex- directeur de La Perla, qui a racheté l’entreprise pour un euro symbolique, licencie la moitié des effectifs. Les petites mains tiennent conseil à l’usine, elles chantent ensemble « aujourd’hui on est toutes là, on se bat pour nos emplois » (sur l’air célèbre des Restos du coeur).

Muriel Perrin, chef d’entreprise, aussitôt très sensibilisée à leur cause, et Nicole Mendez, ex- déléguée de Lejaby, ont une idée : lancer Les Atelières à Villeurbanne, lieu où seront préservés l’art et le made in France de Lejaby. Qui se porte volontaire ? Silence de mort. Christiane, 22 emplois en CDD sur 28 ans : « Assise parmi mes copines licenciées, j’ai cru que j’étais à la veillée funèbre de mes parents. Celles qui ne croyaient pas au projet quittaient la pièce sans un mot, sans un regard, certaines les larmes aux yeux. » Jacqueline, 20 ans de maison, est peut-être la première à se manifester : elle ne veut pas être obligée de devenir femme de ménage ou auxiliaire de vie, elle prend le risque. Nicole a 1 500 euros d’économies, gardées pour épargner à sa fille ses frais d’enterrement. Elle les met dans le pot commun. « Ma mort devra attendre un bout de temps ! »

Ensemble, elles lancent un appel aux dons sur Facebook. Des milliers de Français leur répondent : 80 000 euros. Accompagnés de messages touchants : « Je ne suis pas bien riche, mais si vous avez encore besoin de 10 euros, téléphonez- moi. » Elles sont une trentaine à vouloir convaincre Alain Prost de leur excellence en matière de « made in France ». Coût du travail oblige : une pièce de lingerie Lejaby fabriquée en Tunisie revient à 8, 14 ou 15 euros en France. Il faut dire que, pour un soutien- gorge de haut luxe, il y a 75 techniques de couture différentes. Alain Prost leur en accorde la production. Il devient le champion tricolore de la lingerie féminine. Elles le disent elles- mêmes, « c’était un projet un peu fou, comme vouloir monter l’Himalaya en tongs ».

En 2012, Lejaby a réalisé 24 millions d’euros de chiffre d’affaires, 100 % made in France. D’autres sites ont participé à ce renouveau, Yssingeaux, Rillieux- la- Pape, Bourg- en- Bresse, et d’autres ouvrières, tout aussi courageuses, ont dû se reconvertir dans le travail de la maroquinerie, la découpe du cuir. Mais l’élan est venu de ces femmes admirables prêtes à tous les courages pour préserver leur art – classées, par ailleurs, dans « les personnalités préférées des Français » par RTL. Prix de ce merveilleux savoir- faire ? 9,31 euros de l’heure. Plus de Ticket restaurant, plus de prime de transport. Il faut souligner que, hormis une caution d’Oséo pour garantir un prêt bancaire, M. Prost assure n’avoir bénéficié d’aucune aide publique.

Alors, l’État, tu te bouges ? Le choc de la compétitivité, il n’est pas là peut- être ?

Extraits du livre "Moi Président : chroniques d'une crise de confiance" écrit par Claire Gallios paru aux éditions Stock. Prix : 18 euros.

Reproduits ici grâce à l'aimable autorisation de l'auteur et des Editions Stock.

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Claire Gallois est romancière, essayiste et critique littéraire. Elle est notamment l’auteur de À mon seul désir (1965), Une fille cousue de fil blanc (1970), L’Homme de peine (1989) et Les Heures dangereuses (1992). En 1998, elle publie L’Honneur du chômeur, où elle donne la parole aux exclus de notre société. Depuis janvier 2013, elle tient des chroniques sur le site lepoint.fr. Commencées fin 2012, ces chroniques sont placées sous une nouvelle ère politique, celle du « Moi Président », selon la fameuse anaphore de François Hollande prononcée lors du débat présidentiel. Le recueil de ses chroniques se retrouvent dans son dernier ouvrage "Moi Président" paru aux éditions Stock en février 2014.  

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