Au-delà de la forme – notamment s’agissant de son adoption –, sur le fond le projet de loi Travail vise à « restaurer la confiance en étant au plus près du terrain ».
Or sur le terrain, le constat est clair : le contentieux prud’homal de l’indemnisation n’est pas satisfaisant et est source d’une grande défiance. La dernière version du projet de loi a finalement abouti à un barème d’indemnisation indicatif, mais tout espoir n’est pas perdu. Les critères retenus pour l’indemnisation devront permettre de réintroduire un réel débat probatoire devant le juge, pour une plus grande sécurité juridique.
La règle de droit est claire : l’indemnisation du salarié en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse est automatique. Le salarié licencié abusivement subi nécessairement un préjudice qui doit être réparé.
Mais l’application de cette règle a conduit à des effets pernicieux sur la pratique contentieuse de l’indemnisation. Et pour cause, ce principe a contribué à encourager le silence des juges non seulement quant au préjudice indemnisé mais encore quant aux éléments le justifiant. Le contentieux prud’homal aboutit ainsi à ce que, contrairement au droit commun de la responsabilité, le salarié n’a pas vraiment la charge de la preuve du préjudice subi : une indemnisation est accordée sans pour autant que de réels éléments de preuve du préjudice réparé n’aient besoin d’être apportés, débattus et retenus. Ces pratiques judiciaires mènent à des indemnisations imprévisibles, extrêmement variables d’une juridiction à l’autre, voir extrêmes dans leur montant, sans que le préjudice ne soit véritablement débattu ni même établi. Elles alimentent l’insécurité juridique et nourrissent la défiance envers la juridiction prud’homale tant dénoncées.
Pourtant, les préjudices indemnisables peuvent être définis. Deux préjudices sont d’abord distingués : le préjudice matériel et le préjudice moral. Le préjudice matériel, principalement financier, est caractérisé par la perte de salaire, essentiellement appréciée par la situation de chômage et l’employabilité du salarié, par référence à son ancienneté, son âge, son salaire, sa formation et son expérience professionnelle. L’indemnisation du préjudice moral quant à lui, repose principalement sur les critères de l’âge, de l’ancienneté, et de l’état de santé du salarié. La faute de l’employeur, tenant aux circonstances vexatoires du licenciement ou à sa légèreté blâmable, est également source d’un préjudice moral particulier.
Ces éléments doivent être pris en compte dans la définition de la grille indemnitaire indicative qui devra servir de référentiel aux juges et nourrir un réel débat judiciaire. L’abandon de la grille impérative plafonnée du premier projet de loi n’est donc peut être pas à déplorer. L’application automatique des plafonds fixés sans autre débat aurait également été tentante compte tenu de la pratique contentieuse actuelle !
Un tel barème n’aurait certainement pas non plus manqué de venir accroitre le nombre de demandes « incidentes », souvent infondées, pour obtenir un complément d’indemnisation (discrimination, au harcèlement, rupture d’égalité de traitement, dissimulation d’heures travaillées, formation professionnelle).
Le texte devra également préciser son articulation avec le barème indemnitaire de conciliation déjà existant, considéré en son temps comme « la référence implicite mais incontournable des bureaux de jugement du Conseil de prud’hommes lorsqu’il s’agira de déterminer le montant des dommages-intérêts à accorder au salarié abusivement licencié ». Certes ces deux barèmes peuvent coexister, leur objet n’étant pas comparable (l’un ayant une vocation conciliatoire, l’autre « sanctionnatrice ») mais la cohérence dont se revendique le projet de loi, pour préparer la refondation du Code du travail, mériterait une clarification.