Avec sa moustache en balai brosse, et ses lenteurs dialectiques, il avait endormi tout le monde, et le tigre s’est réveillé.
Martinez s’est d’un coup révélé comme un dialecticien redoutable, comme un vrai chef de guerre, comme défenseur du renouveau. Il a sifflé la fin d’une rêverie technocratique déconnectée des réalités, celle du piteux quinquennat de Hollande, l’un des pitres moments de la France depuis Paul Deschanel. Le principal débat du pays se joue avec une femme qui ignorait récemment le contenu d’un CDD alors qu’elle est Ministre du Travail.
Le calendrier : tout favorise le rapport de forces : la prochaine tenue de l’Euro, la progression graduée du conflit, plusieurs semaines de marge avant l’échéance trop longue de la loi el Khomri, les cartes alignées avec le blocage des carburants, puis les transports et la paralysie de Paris, et peut-être l’apocalypse avec le blocage d’Internet et des téléphones portables, si ça ne suffisait pas.
Hollande et Valls sont hagards, le dos au mur, enfermé dans leurs bunker, déclinant comme des zombies des tirades autoritaires, petits tyrans du crépuscule, socialistes fantômes. Jusqu’à présent ils dénonçaient quelques jeunes rêveurs de Nuit debour, rêvant d’un mai 2016 en nostalgie d’un mai 68 dont ils n’auraient pas la carrure. Et puis ils pensaient enfoncer le clou avec un passage en force au 49.3 qui clouait le bec à tout le monde.
Toute l’assistance savait que le roi était nu, mais personne ne se levait pour le dire. Et puis Martinez s’est levé, et avec lui toutes les sections locales qui avaient aussi envie de le dire. Il a joué le coup magistral. Tout d’abord, il reprend le leadership incontesté d’une centrale syndicale dont on commençait à) dire qu’elle était dépassée, en régression, face au modernisme de la CFDT, ou à la rhétorique de FO.
Ensuite, il aligne ses divisions au moment fatal et sur le terrain qui lui convient, avec les forces décisives, comme dans les meilleurs manuels de stratégie. Face au microcosme parisien qui prend ses désirs pour des réalités, il incarne la réalité du terrain, celle de la vraie France. Il le fait en quelques jours, là où la classe politique cherche depuis dix ans à le faire pour occuper le terrain du Front National. Il le fait avec une bien meilleure légitimité, celle de la dignité des travailleurs, de la reconquête du monde syndical, du retour des réalités face aux états majors parisiens coupés du terrain jusqu’à en ignorer les réalités.