Qu’est-ce que la monnaie ?

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Par Jacques Bichot Publié le 8 juin 2022 à 5h26
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113%La dette de la France fin 2021 a atteint 113% du PIB.

La monnaie, nous l’utilisons à tout bout de champ, comme on dit familièrement, mais savons-nous vraiment ce qu’elle est ? Que faisons-nous au juste lorsque nous effectuons un paiement, que se passe-t-il exactement lorsque nous bénéficions d’un paiement ? En quoi la monnaie est-elle une richesse ? Ces questions peuvent paraître oiseuses : l’important n’est-il pas que les comptes en banque, les billets et les pièces, « ça marche », ça permet de réaliser des achats et, si nous sommes généreux, de faire des dons ?

Certes, nous pouvons vivre sans savoir au juste ce qu’est la monnaie, nous pouvons l’utiliser sans bien la connaître, mais ne sentons-nous pas quelques fourmillements du côté du cerveau, un désir d’en savoir un peu plus sur ce qu’elle est et sur son alter ego la finance ? Si oui, lisez ce qui suit.

Le système monétaire et financier comme ensemble de relations chiffrées

Qu’est-ce que la monnaie, et plus largement la partie de la finance qui lui est étroitement liée ? Un ensemble de créances et de dettes. On dit que X possède 100 $ de monnaie s’il détient sur une banque une créance à vue dont le montant est 100 dollars. Mais qu’est-ce qu’une créance ? La définition usuelle, par exemple celle qui figure dans le Petit Larousse, est : « droit qu’une personne, le créancier, a d’exiger quelque chose de quelqu’un. » Ce dictionnaire ajoute une seconde acception, « titre qui établit ce droit ».

Concrètement, il s’agit donc d’une relation entre deux agents, un créancier et un débiteur, mais l’expression « droit d’exiger quelque chose de quelqu’un » est passablement sibylline. En effet, si le porteur d’un billet souhaite obtenir des biens ou des services contre remise de ce billet, pour que son vœu soit exaucé il est nécessaire qu’il entre en contact avec un agent possédant le bien adéquat, ou capable de rendre le service souhaité. Il faut que ce quidam soit disposé à se dessaisir du bien convoité ou à effectuer la prestation demandée contre un « paiement en argent », c’est-à-dire un certain changement dans l’ensemble des créances – plus précisément, une augmentation des créances à l’actif du vendeur, et une diminution des créances à l’actif de l’acheteur.

L’exposé de ces procédures peut paraître bien laborieux, alors qu’elles sont mises en œuvre, le plus souvent, comme allant de soi. Pour les personnes qui en ont l’habitude, elles ne posent des problèmes que dans un faible pourcentage des transactions réalisées. Ce qui importe ici est de réaliser que ces opérations banales, opérations dont des milliards sont quotidiennement réalisées sur notre planète, portent sur des relations chiffrées. Quand je règle un achat par carte bancaire ou par chèque, mon compte en banque est débité au profit de celui du fournisseur : trois relations chiffrées sont modifiées, celle qui me lie à ma banque (mon compte est débité), celle qui lie mon fournisseur à sa banque (son compte est crédité), et la relation entre les deux banques (la mienne devient débitrice de celle de mon fournisseur.

Plus généralement, quasiment tout paiement autre qu’en nature consiste à modifier des relations chiffrées. Le passage d’un billet ou d’une pièce d’un portefeuille ou porte-monnaie vers un tiroir-caisse opère une modification physique (par exemple un billet de 50 € passe du portefeuille de l’acheteur au tiroir-caisse du vendeur), mais il est également possible de ne pas utiliser des « espèces », de recourir exclusivement à des virements (débits et crédits de comptes), et cela devient de plus en plus fréquent : dans tous les cas nous avons affaire à des modifications dans un très vaste ensemble de relations chiffrées, les unes totalement informatiques, les autres comportant un aspect matériel non électronique (pièces et billets).

Le recours au numérique, en matière de paiements, a des avantages… et des inconvénients

Pour s’en rendre compte, il est utile de remonter aux époques anciennes. En effet, ce qui se passe aujourd’hui est moins original, moins nouveau, que ne le voudraient les thuriféraires inconditionnels de la modernité. Le minage des bitcoins, par exemple, nous ramène à l’époque où nos ancêtres allaient quérir « le fabuleux métal » dans le Nouveau Monde : jadis on gaspillait la vie de ces aventuriers et des indigènes, traités de manière disons « peu civilisée » ; aujourd’hui on gaspille l’énergie en « minant » des bitcoins et autres cryptomonnaies.

Signalons à ce sujet que la consommation d’électricité pour le minage des bitcoins dépassait déjà du tiers celle de la Belgique, tous usages confondus, il y a deux ans, quand je commençais à travailler avec Jean-Baptiste Giraud sur Dernière crise avant l’Apocalypse (Ring, 2021). Ce gaspillage est vraisemblablement supérieur aujourd’hui. Et l’objectif de réduction des coûts de transaction qui a été partiellement atteint au niveau bancaire, pour les activités disons « classiques », est totalement oublié lorsque se développe la folie cryptomonétaire. La révolution numérique semble ainsi souffler le chaud et le froid, les gains de productivité et les gaspillages pharamineux ; la résultante est difficile à évaluer. Qui voudrait s’y essayer ?

Recourir pour les paiements, de manière quasi exclusive, à des opérations numériques, est probablement une évolution irréversible. C’est donc cet usage incontournable de la numération qui doit être organisé le mieux possible, en évitant qu’il débouche sur une création monétaire exagérée. Celle-ci peut mettre du temps à engendrer une forte inflation, si bien qu’il est tentant de penser et dire « tout va très bien madame la Marquise » au moment même où le système monétaire et financier commence à devenir hypertrophié.

Pour éviter cela, il faut lester suffisamment l’énorme ballon d’hydrogène que constitue l’ensemble des créances-dettes : les pouvoirs publics et les banques centrales ont un devoir de vigilance absolument impératif. Manipuler d’énormes quantités de relations chiffrées monétaires et financières, c’est comme manipuler d’énormes réservoirs d’hydrogène. Je ne suis pas certain que les précautions actuellement prises soient à la hauteur des enjeux, des risques encourus, qui vont jusqu’à l’explosion du système.

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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