Opéra bouffe à bout de souffle

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Par Hervé Goulletquer Modifié le 13 mars 2019 à 11h18
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Le dossier du Brexit n’est pas prêt de se refermer ; incertitude et espoir qu’un accord sera trouvé vont continuer leur cohabitation. Aux Etats-Unis, le projet de budget fédéral pour 2020 paraît plutôt marqué du sceau du volontarisme ; peut-on en être surpris ?

Brexit : Theresa May affaiblie

La défaite du Premier ministre britannique est moins sévère qu’en janvier dernier quand elle avait pour la première fois présentée au Parlement son projet de sortie du Royaume-Uni de l’UE. Elle reste néanmoins cruelle, avec un écart, entre MPs opposés et MPs en faveur de cette seconde mouture, toujours important : 149 votes au lieu de 230. Theresa May se trouve très affaiblie, tant au sein du Parti conservateur que dans le pays.

Que va-t-il se passer ? A l’horizon des 48 prochaines heures, le chemin est balisé. Aujourd’hui à 20h00, heure de Paris, le Parlement devrait voter contre une sortie sans accord (le No-deal Brexit) et, le lendemain à 18h00, en faveur d’une date ultérieure de sortie de l’UE (pas le 29 mars comme prévu, mais plus tard ; le délai étant à négocier avec Bruxelles). Au-delà, tout est plus incertain.

Le point de calendrier est important. Les Continentaux sont prêts à « donner du temps au temps ». Ils y ont intérêt. Mais ils souhaitent que celui-ci soit bien utilisé. Pour cela, il faut que les britanniques sachent déterminer ce qu’ils veulent. Sachant que cela n’a pas été le cas jusqu’à maintenant. En oubliant pas non plus que le renouvellement du Parlement européen complique les choses. Allonger de trois mois les négociations ne pose probablement pas de problèmes juridiques sérieux ; au-delà, c’est plus compliqué.

Trois options politiques sur la table

Du côté des politiques britanniques, trois options semblent être sur la table. D’abord, un troisième essai pour faire passer le projet de Theresa May paraît peu probable. Réunir autour d’une trame, connue et qui ne bougerait pas trop, une partie des Hard Brexiters d’entre les Conservateurs, des Unionistes irlandais et des Travaillistes eurosceptiques, qui accepteraient alors de mêler leurs voix au « marais » central du Parlement, est compliqué, pour ne pas dire hors de portée. Ensuite, on peut appeler de ses vœux la formation d’une « majorité de raison » autour de l’idée (de la nécessité ?) d’assurer des liens économiques étroits entre l’île et le continent : le Royaume-Uni reste dans l’union douanière, voire choisit un modèle « à la norvégienne ». Cela implique de briser, au moins pour un temps, l’unité des deux principaux partis. La « blessure » demandera du temps pour « cicatriser ». Enfin, les élus n’arrivent pas à s’entendre et le retour vers les citoyens devient une nécessité. Celui-ci prendrait sans doute plus la forme d’élections générales que d’un référendum. Les Conservateurs et les Travaillistes seront-ils capables de proposer à leurs électeurs une position claire sur le dossier européen ? L’expérience tirée du passé récent ne fait pas répondre par un oui « franc et massif » ! Un dernier élément à garder à l’esprit. Il est possible que Theresa May soit obligé de démissionner. Alors, la probabilité d’élections anticipées augmenterait.

Pour les marchés, le vote de ce soir est important. Le rejet du No-deal Brexit est positif pour la livre et les actifs financiers britanniques. Parmi les trois options politiques prises en compte, les deux premières le sont aussi. Avec la troisième, l’incertitude l’emporte.

Etats-Unis : optimisme au menu

Changeons de continent et intéressons-nous au projet de budget 2020 présenté par la Maison Blanche. Il appelle au moins deux commentaires. Premièrement, il implique un réglage budgétaire accommodant en début de période. Prévoir à la fois une avance du PIB de 3,1%, à comparer à une croissance potentielle au mieux de 2%, et une très faible réduction du déficit fédéral (de 5,1 points de PIB à 4,9 points) ne peut que se comprendre ainsi. Sinon, le déficit baisserait de façon plus significative. L’approche ne peut pas surprendre. Le Président Trump sera en campagne électorale et aspire donc à un environnement économique favorable, que les électeurs pourraient être tentés de mettre à son crédit. Reste à savoir si le Congrès le suivra. Ce n’est pas fait !

Deuxièmement, la vue à dix ans paraît être marquée d’un optimisme « trumpien » excessif : une croissance économique trop élevée et donc un profil favorable, tant du déficit que de la dette publics, peu crédible. En la matière les projections du Congress Budget Office (CBO) sont à l’heure actuelle la référence à retenir. Et elles sont préoccupantes.

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Finissons en restant aux Etats-Unis et en disant deux mots sur les prix à la consommation de février. Les évolutions ont été un peu plus faibles qu’attendues. Ainsi le glissement sur un an du noyau dur est passé d’un mois à l’autre de 2,2% à 2,1%. De quoi conforter la posture de patience pour laquelle la Fed a opté en début d’année. Il n’empêche qu’une partie des investisseurs maintient la vigilance, craignant qu’un marché de l’emploi tendu ne créée les conditions de davantage d’inflation plus tard. Le salaire horaire n’est-il pas en train d’accélérer ? De fait ; mais le mouvement s’est accompagné jusqu’à maintenant de meilleurs gains de productivité. Tant et si bien que les coûts salariaux unitaires restent très « sages ». Ce qui n’envoie pas un message d’alerte au niveau du profil des prix.

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Peut-être plus que l’inflation, c’est le bon équilibre entre environnement économique, financier et politique, tant intérieur et qu’international, et niveau du « taux neutre » qui conditionnerait les initiatives de la Fed au cours de la seconde partie de l’année.

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Hervé Goulletquer est stratégiste de la Direction de la gestion de La Banque Postale Asset Management depuis 2014. Ses champs d’expertises couvrent l’économie mondiale, les marchés de capitaux et l’arbitrage entre classe d’actifs. Il produit une recherche quotidienne et hebdomadaire, et communique sur ces thèmes auprès des investisseurs français et internationaux. Après des débuts chez Framatome, il a effectué toute sa carrière dans le secteur financier. Il était en dernier poste responsable mondial de la recherche marchés du Crédit Agricole CIB, où il gérait et animait un réseau d’une trentaine d’économistes et de stratégistes situés à Londres, Paris, New York, Hong Kong et Tokyo. Il est titulaire d’une maîtrise d’économétrie, d’un DEA de conjoncture et politique économique et diplômé de l’Institut d’Administration des Entreprises de Paris.

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