Privatisation d’ADP : la Chine en embuscade ?

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Par Hervé Duval Modifié le 26 mars 2019 à 15h21
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5 ansArdian n'est resté que 5 ans présent au capital de l'aéroport de Londres Luton

Aussi curieuse qu’inattendue, la proposition des départements d’Île de France de se porter acquéreur de 30 % d’ADP voulant, soi-disant, contourner la privatisation, cache certainement une menace bien plus grave pour la souveraineté industrielle française.

La loi Pacte défendue par le Ministre de l’Economie, Bruno Le Maire autorise entre autres désormais l’Etat à céder ses parts dans Groupe ADP. Malgré un premier vote à l’automne sans encombre à l’Assemblée nationale, le Sénat a fait barrage. De la droite aux Communistes, les Sénateurs de l’opposition, comme un seul homme, se sont vigoureusement opposés à la privatisation. Avant même le vote final de l’article au Palais Bourbon, les départements franciliens sont sortis du bois proposant une surprenante candidature au rachat de 29,9% du capital d’ADP. Cette offre a été présentée (un peu rapidement) comme une alternative à une cession au privé et du même coup, elle a pris les atours d’une porte de sortie, une conclusion aussi honorable que rassurante pour les opposants comme pour le gouvernement.

Avec quel argent ?

Dans le détail, une telle prise de participations implique un investissement de plusieurs milliards d’euros, ce dont les départements sont incapables. Comment faire alors pour concrétiser la proposition sans augmenter ni les impôts ni la dette - ce qu’ils ont promis ? Ces investisseurs d’un nouveau genre s’appuient sur un géant français de la finance : Ardian (ex Axa Private Equity).

A regarder de plus près, les paradoxes prolifèrent. Ardian se targue de gérer 90 milliards de dollars d’actifs grâce à 550 collaborateurs et 15 bureaux dans le monde. Des start-ups à l’immobilier, de la Chine aux paradis fiscaux du Luxembourg ou de Jersey… Il ne s’agit, ni plus ni moins, que d’un capital-investisseur généraliste dont le seul but est de maximiser son profit en multipliant les participations.

Le grand flou de la stratégie

Il paraît dès lors difficilement défendable qu’une telle perspective soit une alternative à la privatisation. Pourtant les départements d’Île de France justifient leur proposition en appelant à éviter « des opérateurs purement privés pour un actif aussi stratégique qu’ADP qui n’auraient comme priorité que le seul rendement ». N’est ce pourtant pas là l’unique métier d’un fonds d’investissement ? Acheter tout ou partie d’une entreprise, y faire « le ménage » sans craindre licenciements et casse sociale pour revendre aussi vite et encaisser les bénéfices …

Quitte à privatiser, peut-être est-il préférable de se tourner vers des opérateurs d’infrastructures privés déjà investis dans des aéroports à travers le monde. Il faut bien le reconnaître, eux-seuls associent une volonté d’investissement de long terme à des stratégies qui ont déjà fait leur preuve. Au contraire, les porte-parole des départements affirment que leur offre est « aux antipodes du tout international de VINCI et vise à profiter à l’attractivité de la France. » Mais ce qu’ils appellent le « tout international » est précisément la stratégie menée par ADP depuis plusieurs années qui lui a permis de booster l’attractivité de la France tout en diminuant les risques. A en croire les derniers rapports d’activité d’ADP, il a s’agit justement de valoriser le savoir-faire tricolore grâce, notamment, à des développements en Turquie, Jordanie ou encore Cuba.

Gestionnaire d’aéroports ?

De son côté Ardian se présente comme « le plus gros fonds européen d’infrastructures et comme grand gestionnaire d’aéroports habitué à des collectivités. » Son expérience en la matière est aussi réduite qu’elle a été lourde de conséquence ; elle se résume surtout à une prise de participation aux côtés de Crédit Agricole Assurances, de 49% de F2i Aeroporti S.p.A, une holding détenant des participations dans quelques aéroports en Italie. Très loin donc de toute gestion d’infrastructures. Cette « grande expérience » inclut aussi un « aller-retour » au capital de l’aéroport de Londres Luton. L’investissement n’aura pas dépassé 5 ans quand le contrat de concession initial courrait jusqu’en 2031. Mais, en revendant ainsi le quatrième aéroport londonien à une société de gestion australienne, plutôt que d'investir dans une nouvelle phase de développement de l'infrastructure aéroportuaire, le fonds a quasiment doublé sa mise initiale. Le projet n’était donc pas industriel, mais financier.

Ardian, cheval de Troie des acheteurs chinois ?

Les sept départements veulent s’allier à Ardian au nom de la protection des intérêts français. Le fonds s’est pourtant souvent illustré par le passé en laissant rentrer des investisseurs étrangers dans des grandes entreprises hexagonales.

Début 2017, Ardian et Predica, filiale de Crédit Agricole Assurances, souhaitent vendre leurs participations (49,2%) dans les parkings Indigo. Ils se tournent alors vers le géant chinois de la sidérurgie, Shougang. Il n’y aura finalement pas d’accord.

Rappelons-nous également de l’émoi suscité par la vente du Club Med aux Chinois. En 2015, après 2 ans de bataille boursière, le consortium Gaillon Invest II – une alliance entre Fosun, le plus grand conglomérat chinois, et… Ardian – acquiert 98% du capital du Club Med.

Tout récemment, en août 2018, Ardian s'est à nouveau désengagée d'un autre investissement en cédant ses parts dans Encevo (qui opère dans plusieurs secteurs d’activité énergétique avec ses deux filiales Creos et Enovos Luxembourg) à une filiale détenue à 100 % par une société chinoise du réseau électrique public, China Southern Grid Power International.

En se dissimulant derrières les collectivités locales, Ardian cherche à faire passer une opération financière pour une opération de sauvetage. Compte tenu du track record d’Ardian, si l’on ne souhaite pas qu’ADP soit vendu à la Chine (« un concurrent économique, un rival systémique » comme vient de le reconnaitre la Commission européenne), ouvrir la voie à la financiarisation à l’extrême de l’économie française et ses fleurons ne semble vraiment pas être une bonne stratégie.

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Hervé Duval, conseil juridique, Droit des affaires / Droit du travail - Conseil et contentieux - France et International. Recherches et veille juridiques, rédaction de notes sur des sujets touchant au droit pénal des affaires et notamment aux pouvoirs d’investigation des autorités judiciaires et des autorités administratives indépendantes.

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