Les réseaux sociaux ne sont pas gratuits pour leurs utilisateurs

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Par Martin Lacour Publié le 8 janvier 2015 à 6h33

La Commission des clauses abusives a publié le 3 décembre dernier une Recommandation formulant 46 propositions de suppression de clauses fréquemment prévues dans les contrats proposés par les fournisseurs de services de réseaux sociaux, tels Facebook, Twitter, LinkedIn... Bien qu'il s'agisse de simples recommandations dépourvues de la force contraignante en principe attachée aux normes juridiques, on peut penser que les principaux acteurs du marché les lisent en ce moment même avec beaucoup d'attention, et en tireront rapidement des leçons. La Recommandation commence par un bref rappel du modèle économique des fournisseurs, qui atteignent, pour les plus célèbres, des niveaux de rentabilité très élevés : la collecte d'informations utiles et la valorisation des informations recueillies et échangées sont au cœur du modèle. En effet, les fournisseurs recueillent les données personnelles des utilisateurs pour les commercialiser auprès de professionnels qui pourront ainsi cibler de manière très efficace leurs prospects.

La Recommandation part de cette analyse du modèle économique pour écarter expressément toute idée de gratuité. De nombreux contrats de fourniture de service de réseautage social prévoient des clauses affirmant que ces services sont proposés gratuitement. Or, la Commission considère que ces clauses sont de nature à créer un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat, au détriment du consommateur ou du non-professionnel, « en ce qu'elles lui laissent croire qu'il ne fournit aucune contrepartie, alors que celle-ci réside dans l'ensemble des traitements de ses données à caractère personnel, des informations et des contenus déposés sur le réseau ». Pour aller plus loin, il faut rappeler que le juge français a tendance à juger moins sévèrement la personne qui fournit un service à titre véritablement gratuit, en cas de mauvaise exécution des obligations qui lui incombent. Il n'était donc pas inutile d'affirmer expressément le caractère onéreux des prestations dont bénéficient les utilisateurs de réseaux sociaux.

La Recommandation comprend 45 autres propositions. Parmi les plus significatives, on retiendra celles qui concernent les clauses relatives aux données personnelles des utilisateurs. En particulier, doivent être considérées comme abusives, selon la Recommandation, les clauses qui laissent croire aux utilisateurs, d'une part, que leurs données à caractère personnel peuvent être communiquées - sans leur consentement préalable - à des tiers non désignés pour des utilisations non précisées et des finalités non envisagées et, d'autre part, que les utilisateurs ne disposent pas du droit d'opposition et de rectification lorsque ces traitements ont été mis en œuvre. On rappellera que ces clauses sont par ailleurs contraires au droit français en vigueur.

La Recommandation considère également que sont abusives les clauses interdisant aux utilisateurs - consommateurs ou non-professionnels – de participer à une action de groupe. Cette recommandation a le mérite de clarifier ce point, même si on peut être tenté de relever qu'elle n'a, en réalité, rien de spécifique au secteur des réseaux sociaux. En effet, quel que soit le secteur concerné, il est difficile d'envisager des situations dans lesquelles une interdiction de participer à une action de groupe ne créerait pas un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, au détriment du consommateur ou non-professionnel, car les actions de groupe permettent précisément d'obtenir la réparation de préjudices qui - économiquement - ne vaudrait souvent pas le coût d'une action individuelle. Interdire le recours à une action de groupe équivaut alors à nier tout accès effectif à la justice !

En revenant à l'analyse du modèle économique des prestataires de réseaux sociaux, on peut cependant se demander dans quelle mesure l'utilisateur de ces réseaux sociaux peut véritablement profiter de la protection du droit de la consommation, et notamment du régime des clauses abusives. En effet, comme relevé dès 2013 dans le rapport de la mission d'expertise sur la fiscalité de l'économie numérique, l'utilisateur alimente lui-même le réseau, si bien que la frontière entre travail gratuit et consommation est brouillée. Reste peut-être à la redessiner !

Facebook, Twitter, LinkedIn et compagnie, à vos copies ! Gageons que de nouvelles CGU seront bientôt soumises aux utilisateurs par les divers fournisseurs...

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Martin Lacour est inscrit au barreau de Paris. Il conseille et assiste tant des PME que des groupes de sociétés du secteur industriel ou financier. Martin a eu diverses expériences professionnelles, notamment au sein d'une grande banque internationale (HSBC) et de grands cabinets d'avocats internationaux (Eversheds / White & Case) où il a travaillé sur les problématiques touchant au fonctionnement quotidien des entreprises et de leurs dirigeants, tant en matière de conseil que de contentieux. Ces diverses expériences lui permettent de participer à des opérations de dimension régionale comme internationale. Martin a enseigné à la faculté de droit de l'Université de Paris-Est et achève par ailleurs une thèse de doctorat qui concerne les règles d'évaluation du préjudice en matière de responsabilité contractuelle.

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