Santé mentale des étudiants : « Il reste un an au gouvernement pour agir »

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Par Didier Meillerand, Dominique Monchablon Modifié le 18 juin 2021 à 10h23
Sante Mentale Etudiant Gouvernement Pandemie
1 EUROPour aider les étudiants; le gouvernement a mis en place les repas à 1 euro.

Plus d'un an après le début du premier confinement et alors qu'une deuxième année étudiante sous Covid-19 s'achève, quel bilan peut-on dresser de l'accompagnement par les pouvoirs publics et les associations des étudiants fragilisés par la crise sanitaire ? Trois acteurs du champ de la santé mentale font le point dans cette tribune, signée par Florian Tirana, président de l'association Nightline France, un service d'écoute gratuit par et pour les étudiants, le docteur Dominique Monchablon, psychiatre, chef de service à la Fondation Santé des Etudiants de France France et consultante à l'ESCP et Didier Meillerand, président du Psychodon.

Près de 3 millions d'étudiants Français ont mis depuis un an leur vie étudiante sous cloche. Finis les cours en présentiel, les soirées d'intégration et les révisions de groupe. Les mesures sanitaires ont eu raison d'un mode de vie basé sur l'échange, le partage, les liens sociaux.

Un arrêt brutal de la socialisation

En mars 2020, la plupart de ces jeunes individus se sont retrouvés face à un cumul de facteurs de stress inédit : un bouleversement des conditions d'apprentissage et de l'échéancier universitaire, l'enseignement à distance qui a fragilisé le moral des étudiants confinés, sans parler de l'aggravation de la précarité financière liée à la perte d'emploi et l'incertitude pour les étudiants en fin de cursus d'une embauche dans certaines filières. Enfin, ces derniers ont brutalement été privés d'une socialisation et d'un réseau d'entraide qui font habituellement le sel de la vie étudiante.

Résultat, la crise a fait considérablement grimper le niveau de détresse psychologique, passant de 20% en 2016 à 31% en septembre 2020 selon l'Observatoire national de la vie étudiante (OVE). Quelles réponses les pouvoirs publics ont-ils apporté face à cet enjeu de société qui touche les actifs de demain ? Quel rôle les acteurs associatifs et les professionnels de santé ont-ils tenu et quelles perspectives d'avenir la crise donne-t-elle ?

Une aggravation de la détresse étudiante

Si la pandémie a accéléré la prévalence de troubles anxieux ou dépressifs chez les étudiants, cette détresse psychologique, comme la carence de dispositifs pour y répondre étaient déjà pointés du doigt par les professionnels de santé depuis des années. D'une part, l'approche de la médecine de prévention à destination des jeunes est restée, jusqu'alors, très généraliste, et la santé mentale n'a jamais été traitée comme la problématique n°1 par les gouvernements successifs.

D'autre part, la population étudiante reste depuis longtemps plus sujette aux troubles anxieux et dépressifs que le reste de sa tranche d'âge, cumulant plusieurs facteurs de stress (sélectivité accrue, mobilité imposée pour tous les cursus, massification dans les cursus…).

La nouveauté, c'est qu'elle est aujourd'hui soumise à une tension paradoxale entre, d'un côté une fragilité individuelle et de l'autre, une demande de performance collective qui ne s'est pas tarie pendant la crise.

Or, depuis mars 2020, la plupart des étudiants n'a pas toujours eu le réflexe, les ressources suffisantes ou les bons interlocuteurs pour obtenir de l'aide. De plus, les premières réponses gouvernementales pour la santé mentale étudiante n'ont été annoncées qu'en décembre 2020, soit neuf mois après le début de la crise sanitaire. Ces initiatives ont été néanmoins les premières réponses opérationnelles en matière de santé mentale du public étudiant depuis plusieurs décennies.

Une mobilisation improvisée

Face à une demande croissante, les structures de soins psychologiques dédiées aux étudiants se sont concertées et réorganisées en complémentarité pour répondre aux besoins de chacun dans l'urgence. Des études pour identifier la part d'étudiants allant consulter un psychologue et les délais d'obtention de réponses ont été réalisées. Il en ressort qu'un 1 psychologue est déployé pour 30 000 étudiants alors que les recommandations sont plutôt de l'ordre de 1 pour 1500.

Une crise qui a permis d'innover

Des structures de soins psychologiques et psychiatriques (services de secteurs, structures de soins réservés aux étudiants, associations etc…) ont elles aussi été sollicitées à l'échelle locale pour recevoir rapidement les étudiants. Les CROUS et les municipalités ont pu prêter main forte pour aboutir à une cartographie actualisée des systèmes de soin à Paris. Les étudiants ont pu bénéficier d'un fort soutien social (repas à 1euro, gratuité temporaire des loyers en résidence Crous, aides alimentaires etc..). Un système de pair-aidance - incarné par la plateforme Nightline, s'est également renforcé.

La crise a permis une mobilisation historique des professionnels et une complémentarité créative. Les étudiants ne pouvant plus se déplacer, c'est donc la consultation qui est venue à eux, grâce à la téléconsultation ; un modèle de consultation complémentaire d'un suivi traditionnel. Aussi, il a permis d'amener un public qui hésitait jusqu'alors à appeler le psy et suivre à distance les situations problématiques ou s'adaptant à la mobilité étudiante à l'échelle nationale ou internationale.

Des solutions concrètes

L'ensemble des mesures opérées à la hâte et limité à la temporalité de la crise devrait limiter l'impact psychologique et social chez les étudiants. Mais il devient urgent d'opérer une restructuration profonde du système sanitaire dédié aux étudiants.

Ainsi, si le chèque psy a été une bouffée d'oxygène, les trois consultations renouvelables une fois et les 80 recrutements de psy en service universitaire sont insuffisants. Côté pair-aidance, l'initiative du gouvernement de recruter 20 000 étudiants tuteurs est à saluer. Seulement, il faut que ces étudiants soient formés à cette veille sanitaire, à travers notamment les premiers secours en santé mentale, et aussi qu'ils sachent redéployer l'information. Enfin, nous soutenons un renforcement massif et pérenne des moyens accordés aux services de soutien psychologique disponibles pour les étudiants. Il reste un an au gouvernement pour agir.

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Florian Tirana, président de l'association Nightline France, un service d'écoute gratuit par et pour les étudiants, le docteur Dominique Monchablon, psychiatre, chef de service à la Fondation Santé des Etudiants de France et Didier Meillerand, président du Psychodon.

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