SNCF : tous perdants ?

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Par Patrice Salini Publié le 30 avril 2018 à 5h00
Greve Sncf Usagers Prejudices Etat
50 milliards €La dette de la SNCF est d'environ 50 milliards d'euros

Les grèves de chemin de fer se rangent en deux catégories. On a tous en mémoire celles qui ponctuent les « changements de service » mal négociés sur les lignes problématiques.

Celles, aussi, qui jadis, concernaient des modifications d’organisation interne. C’est une première catégorie dont le fait générateur est interne à l’entreprise.

Une seconde catégorie tient à des évènements extérieurs. La grève actuelle en fait partie, comme celle de 1995, ou encore celles qui ponctuaient les réunions du conseil transport à Bruxelles. Ces grèves ne peuvent donc trouver de débouché soit dans l’absence totale de résultat (échec revendicatif), soit dans la négociation d’un compromis.

Grève du deuxième type

La situation particulière actuelle est que le mouvement de grève découlait d’un projet d’ensemble, initié par un rapport relativement technocratique et passablement maladroit, doublé d’annonces de décisions avant même tout concertation (consultation ?), et d’absence de réponse à des question centrales (comme celle de la dette). Pire désormais, une partie de la réforme a déjà été adoptée par l’Assemblée Nationale, avant même la fin des discussions entre l’État et les syndicats. Comble d’ironie le projet s’est trouvé baptisé de « pacte », alors que rien ni de près ni de loin ne peut y ressembler. Avancer que l’on va traiter le problème de la dette, alors que les décisions gouvernementales l’imposent mécaniquement en sortant du statut d’Epic, ou parler de la convention collective – la dernière date de 2014 -, ne sont en rien des annonces mais des conséquences logiques de décisions déjà prises. Resterait donc à peaufiner le cas des cheminots SNCF qui se trouveraient susceptibles de travailler pour un nouvel entrant sur le marché des TER par exemple. Or il est impossible de ne pas le faire ne serait-ce que parce que le Statut demeurera. Là aussi c’est un thème découlant logiquement de la situation créée par la législation européenne et qu’on ne peut pas ne pas traiter.

Commencer par ne pas négocier pour finir par devoir le faire de toutes façons

Du coup, on peut considérer que la méthode choisie par le gouvernement de ne pas négocier les points les plus importants de son projet (à ses yeux), et de ne clarifier que partiellement ses intentions, conduit mécaniquement à une situation de blocage, et, sauf extension considérable du conflit (grève illimitée, extension du mouvement), à un échec du mouvement social. Or il y aura de toutes façons matière à négocier, ne serait-ce que parce qu’il faudra intégrer au statut les conséquences de l’ouverture du réseau pour les services relevant d’une autorité organisatrice. La méthode apparaît donc dans toute sa simplicité. Il s’agit bien de négocier une fois acquise la défaite syndicale. Une négociation qui risque donc de mal s’engager, dans un climat détérioré par l’histoire même de ce conflit. A moins que les choses ne se passent pas comme prévu.

On peut imaginer que cette situation était souhaitée, et que l’on a même suscité le conflit avant même de discuter. Alors qu’on hésite entre incompétence (pourquoi donc engager une concertation en commençant par mettre sur la table les sujets qui sont critiques et bloquants, en agitant un chiffon rouge ?)et machiavélisme (la grève ne sera pas populaire, et on ne cédera pas), la situation risque bien de se traduire par des conséquences très dommageables au transport ferroviaire – et pas seulement à la SNCF -, et à l’économie française, et favoriser un profond ressentiment chez ceux qui perdraient à peu près tout dans ce bras de fer. Il y a bien un risque – que les syndicats finissent ou pas par arracher quelques résultats tangibles – pour l’économie des transports, et singulièrement celle des transports ferroviaires, dont la situation critique préexistait, en raison, souvent, de décisions peu opportunes de l’État, et de défauts de vision stratégique de la part de la SNCF elle-même (contrainte ou non). Un risque que n’éliminerait pas une victoire en termes de communication ou même d’opinion publique.

On expliquera sans doute qu’un nouveau plan stratégique pour la SNCF et une dose de concurrence changeront tout, comme on le fit jadis pour les autres plans, et l’ouverture déjà opérée de la concurrence pour le fret. Sauf que l’expérience ne pousse guère à l’optimisme, ou du moins recommande-t-elle la prudence.

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Patrice Salini est économiste des transports, dynamicien des systèmes, consultant en transport et ancien professeur associé à l’Université Paris 4 Sorbonne. Il est l'auteur de « Le renouveau du fret ferroviaire en France, maintenant ou jamais ! », « 150 ans de politique des transports terrestres de marchandises », « Comprendre la Corse » et « L’économie systémique, Introduction à la dynamique des systèmes ».

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