Vivre et cultiver sans glyphosate ? Episode III

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By Bruno Parmentier Published on 29 mars 2021 6h00
Vivre Cultiver Sans Glyphosate Episode 3
@shutter - © Economie Matin
100%La notion de 100 % n'existe pas en biologie.

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3. Pour l'agriculture, la lutte contre les mauvaises herbes est une question de survie

L'agriculture mondiale a toujours été fortement handicapée par les « mauvaises » herbes, nommées « adventices » par les professionnels. En effet toutes les plantes non désirées ne sont pas mauvaises, certaines sont même franchement utiles. Et d'ailleurs qui sommes-nous pour décréter qu'une plante est intrinsèquement mauvaise, et sur quels critères ?

Les contrôler, et si possible les éradiquer, est devenu une obsession des paysans depuis des millénaires. Objectif difficile à atteindre car ce sont des plantes particulièrement résistantes, qui ont su s'accommoder aux maladies, sécheresses, canicules, inondations, gels, attaques des animaux, etc. Mais aussi se déplacer avec le vent, les animaux, les hommes, les transports mécaniques. Et même s'adapter aux évolutions des espèces cultivées par « mimétisme vavilovien ».

En fait, ces plantes sauvages semblent mieux adaptées aux milieux que les plantes cultivées. De nombreuses stratégies ont donc été mises en place au cours des âges :

A. On a tenté de les brûler avec les chaumes après la moisson. Cette pratique ancestrale est maintenant interdite en Europe à cause de ses nombreux inconvénients : perte de carbone et d'azote utiles à la fertilité des sols, pollution, émission de particules fines et de gaz à effet de serre, dangers d'incendies, etc. Notons cependant qu'elle continue à être utilisée ailleurs pour les céréales, et, fort malheureusement, de façon systémique et massive pour défricher les forêts dans nombre de pays tropicaux, à commencer par l'Amazonie et l'Afrique tropicale.

B. La méthode la plus utilisée a consisté à les enfouir via le labour. Elle a largement fait ses preuves, à tel point que les agriculteurs ont longtemps été appelés « laboureurs ». Cette pratique a explosé avec l'apparition du tracteur et du pétrole bon marché après la deuxième guerre mondiale.

En effet, si on se risque à semer dans un sol dans lequel poussent déjà des adventices viables, ces dernières entreront fortement en compétition avec la culture naissante. Il est quand même plus simple de les détruire avant, même si cela nécessite énormément de travail, humain, puis animal et maintenant mécanique.

Au XV e siècle, on pratiquait couramment le labour en France si l'on en juge par les « Très riches heures du Duc de Berry ». Au siècle suivant Sully le considérait comme une des « deux mamelles de la France ».

Songeons que dans les années 50, le tiers de la surface agricole française était consacrée à produire du fourrage pour des millions d'animaux de traits, bœufs et chevaux ! Aujourd'hui, il y a plus d'un million de tracteurs en France, avec des puissances qui se comptent le plus souvent en centaines de chevaux.

Mais cette activité pose de plus en plus de problème. Y compris pour l'élimination des adventices, car la majorité ne meurent pas en une année, et sont donc remontées à la surface, fraiches et disposes, par le labour de l'année suivante (agaçant, quand on a consommé 15 à 40 litres de fuel par hectare pour remuer la terre).

De plus ces labours de plus en plus profonds font remonter les cailloux, détruisent les vers de terre, les filaments des champignons et les bactéries. Ils tassent la terre, provoquent de l'érosion et de la battance (les gouttes de pluie forment une couche imperméable sur le sol) et diminuent la portance des sols (les engins s'enlisent dans les champs).

Ils exposent les reliquats d'engrais azotés aux vents de l'automne et les transforment en pentoxyde d'azote, au pouvoir réchauffant de la planète 298 fois plus important que le gaz carbonique. Last but not least, les champs labourés n'utilisent l'énergie solaire que 6 mois par an. Le reste du temps, pas de photosynthèse. On sait mieux maintenant à quel point le labour est néfaste pour la planète et on s'efforce de le limiter au maximum, voire de le supprimer.

C. C'est dire si l'apparition des herbicides chimiques a été vécue comme une bénédiction : on pouvait enfin empoisonner les adventices, à faible coût. La profession s'est massivement engouffrée dans cette voie. Surtout au début, lorsque ces végétaux n'avaient pas encore développé de résistances, ce qui n'est plus le cas (brome, ray-grass, coquelicot, matricaire, folle-avoine, chénopode, etc. posent de plus en plus de problèmes).

Il faut bien se rendre compte que la notion de 100 % n'existe pas en biologie : lorsqu'on épand un herbicide, on est content quand on a éliminé 98 % des adventices. Mais les 2 % restants ont réussi à survivre et ont toute la place pour se reproduire. Au bout de plusieurs générations, on a contribué à sélectionner soigneusement des variétés résistantes à l'herbicide, et en général il faut alors changer de molécule ou de méthode.

Notons que, contrairement à une opinion largement répandue dans la population, il n'y a pas que les agriculteurs conventionnels qui utilisent des produits chimiques. Les agriculteurs bios utilisent certes beaucoup moins d'herbicides (car ils n'ont droit qu'à des produits naturels réputés biodégradables), mais ils usent, et parfois abusent, de produits fongicides et insecticides.

En fait le glyphosate n'est que le 2e produit chimique le plus employé en France en 2019 avec ses 6 000 tonnes. Il est largement dépassé par le soufre, qui a été utilisé, en particulier par les bios, à plus de 11 000 tonnes (plus les 500 tonnes de sulfate de cuivre, un produit qui n'a strictement rien de naturel). On peut également mentionner 2 insecticides très prisés par les bios : l'huile de vaseline (2 300 tonnes) et l'huile de colza (1 700 tonnes).

L'arrivée du glyphosate en France à la fin des années 1970 a donc été accueillie avec un véritable soulagement : comme il est total, foliaire et systémique et qu'il se dégrade relativement rapidement dans les sols (pas en milieu aquatique), il rend possible un semi dans les heures ou les jours suivant son application.

Il a permis de remplacer beaucoup de produits plus dangereux, moins efficaces et nettement plus onéreux, dont la plupart ont été interdits depuis. On a même été jusqu'à créer des OGM spécialement adaptés pour y résister, et qui permettent donc son épandage pendant la culture, et non pas seulement avant la culture. En particulier le célèbre soja « Roundup ready », qui représente actuellement 84 % de la récolte mondiale.

Il a été une des raisons majeures de l'augmentation considérable de la productivité qui a été observée en France entre les années 1960 et les années 1990, avec un triplement des rendements de blé (qui sont passés de 25 à 75 quintaux à l'hectare).

Notons qu'il reste indispensable chez les agriculteurs qui ont décidé d'arrêter le labour : ceux de l'agriculture de conservation des sols, qui cultivent leurs sols 365 jours par an, améliorant ainsi considérablement leur captation du carbone atmosphérique ainsi que la fertilité et la biodiversité naturelles des terres ainsi cultivées.

C'est d'ailleurs une des raisons explicitement avancées par le Ministère de l'Agriculture pour repousser la date d'interdiction du glyphosate. Les autres étant qu'on ne peut pas prendre de mesures plus contraignantes dans un seul pays d'Europe sous peine de forte distorsion de concurrence. Sans compter l'absence de solutions dans un certain nombre de productions et la difficulté de mettre en œuvre des interdictions partielles.

On est là devant un cruel dilemme :

  • vaut-il mieux réchauffer la planète, réduire la biodiversité et la fertilité des sols, et en fin de compte épandre beaucoup d'engrais en labourant,
  • ou bien risquer de polluer les sols et les nappes phréatiques en utilisant des herbicides chimiques ?

Mais peu à peu, les défenseurs de l'environnement et de la santé sont progressivement devenus nombreux, motivés et… bruyants, et ils ont préféré choisir de se battre sur le terrain de la chimie que celui du labour. Il faut reconnaître qu'ils sont maintenant proches de gagner leur combat.

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Bruno Parmentier, Ingénieur des mines et économiste, est l'ancien directeur (de 2002 à 2011) de l’ESA (École supérieure d'agricultures d'Angers). Il est actuellement consultant et conférencier sur les questions agricoles, alimentaires et de développement durable.  Il a publié "Nourrir l'humanité"  et « Faim zéro » (éditions La Découverte), "Manger tous et bien » (Editions du Seuil), « Agriculture, alimentation et réchauffement climatique » (publication libre sur Internet) et « Bien se loger pour mieux vieillir » (Editions Eres) ; il tient le blog "Nourrir Manger" et la chaîne You Tube du même nom. Il est également président  du CNAM des Pays de la Loire, de Soliha du Maine et Loire, et du Comité de contrôle de Demain la Terre, et administrateur de la Fondation pour l’enfance.