Journal de guerre: des complots comme s’il en pleuvait

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Par Eric Verhaeghe Modifié le 20 novembre 2015 à 11h11
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5000Selon le procureur lors de l'oépration à Saint-Denis les forces spéciales ont tiré plus de 5000 cartouches.

L’odeur de la poudre règne encore dans les rues de Saint-Denis et déjà les complots y pleuvent sans fin et sans limite d’imagination. Ils laissent présager un virage profondément antisémite dans les « quartiers ».

Les complots français

Ce matin, un internaute a déposé sur ce blog un commentaire que je n’ai pas publié, citant un article (d’un site spécialisé dans ce genre d’informations) selon lequel les attentats du 13 novembre étaient un coup monté des services secrets français pour justifier un Patriot Act. La tentation était grande, évidemment, de confondre la cause et la conséquence. Cette confusion est le propre de la démarche complotiste, qui explique le début de l’histoire qu’on ne connaît pas encore par la fin qu’on lui connaît déjà.

Au fond, le complotisme renverse la chaîne d’explication: on ne passe pas une loi sécuritaire pour répondre au terrorisme, on crée le terrorisme pour faire une loi sécuritaire.

Encore faut-il le prouver. La théorie que j’ai lue est piquante: les services secrets voulaient faire peur sans tuer. Ils ont manipulé de pauvres âmes de banlieue, leur ont fait croire qu’ils portaient des ceintures d’explosifs, mais avaient dissimulé de micro-charges explosives dans leurs gilets, actionnées à distance. Les fusillades de Paris? une vengeance commise par les amis de ces victimes innocentes.

Il fallait oser.

Saint-Denis et les complots français

Cette après-midi, je rencontre pour affaires un employé de banques, jeune et sympathique, qui m’avoue avoir grandi à Saint-Denis. Il me certifie que la presse a dissimulé des rafales de Kalachnikov à Saint-Denis après les explosions du Stade de France, et me soutient que personne à Saint-Denis ne croit à la thèse officielle sur les attentats. Non, ceux-ci n’ont pas été commis par des musulmans. Les vrais auteurs sont… les services secrets français. Cette fois, il ne s’agit pas de justifier un Patriot Act, mais de permettre des frappes en Syrie.

Nous avons tout de même un sérieux problème sur le consensus républicain: comment le bâtir quand le constat sur les faits n’est même plus possible? Car, en supposant qu’il existe des inspirateurs qui ne soient pas l’Etat Islamique, les attentats ont quand même bien été exécutés par des musulmans qui criaient « Dieu est grand » au moment de tuer ou de mourir. Mais ce point-là est nié en bloc.

Le complot juif

Une autre piste volontiers suggérée ou évoquée est celle du complot juif. Les attentats de vendredi dernier donnent lieu à une sorte de résurrection du protocole des Sages de Sion, sous une forme modernisée et actualisée. Les services secrets israéliens auraient diffusé dès le matin l’annonce des attentats qui allaient être perpétrés le soir. Démonstration est donc faite qu’ils sont à l’origine du carnage.

Cette idée me rappelle les propos, entendus au parc où j’emmenais ma fille, dans la bouche d’adolescents arabo-musulmans qui buvaient bruyamment de l’alcool au milieu des enfants: « Vous, les Français, vous êtes contrôlés par les Juifs et vous ne le savez pas. Vous êtes tous des pédophiles. Nous, les musulmans, nous avons fait la France. »

Les complots et la transparence

L’idée d’un complot juif devrait cristalliser les passions dans les semaines à venir. La meilleure façon de lutter contre elle reste le dévoilement des faits. On voit bien que ces suicides aux abords du stade, loin de tout, ne peuvent rester sans une explication crédible, sauf à susciter des fantasmes. Mais qui pourra la donner?

L’assaut à Saint-Denis devrait lui aussi nourrir des théories lunaires. Les terroristes étaient retranchés dans un immeuble lépreux présenté comme un squatt. Mais la porte de l’appartement présentait un blindage suffisant pour ne pas céder sous la charge que les policiers spécialisés ont posée. Ils disposaient également d’une sorte de sarcophage blindé à l’intérieur de l’appartement. Ce n’était donc pas de la petite bière. L’assaut, dans cet appartement de petite surface, a duré plusieurs heures et a donné lieu à des tirs continus.

Il est indispensable d’expliquer comment, dans un appartement loué pour quelques jours, semble-t-il, les terroristes ont eu le temps d’ajouter à la porte blindée une sorte de bouclier lui aussi blindé, et de réunir un arsenal de plusieurs milliers de cartouches.

Les complots et la diplomatie

L’équipement des assiégés de Saint-Denis pose vraiment question. Quel groupe terroriste peut disposer d’une telle réserve de munitions et d’un tel équipement de protection sans éveiller l’attention? Sans un puissant appui étranger, on voit mal comment les terroristes auraient pu accéder à ce degré de professionnalisme. Nous ne sommes plus seulement face à de petits délinquants devenus des monstres. Ces gens-là ont bénéficié d’une expertise et surtout d’un financement évident, très loin des loups solitaires régulièrement décrits jusqu’ici.

L’Etat Islamique les a équipés certes. Mais l’Etat Islamique a-t-il agi seul ou d’autres services, mieux structurés en Europe, ont-ils prêté main forte à ces réseaux?

La France et la Russie se retrouvent

Après des mois de disputes, la France et la Russie décident de faire la paix et d’agir militairement ensemble en Syrie. C’est la conséquence directe de ces attentats, qui a prouvé à François Hollande qu’il avait plus à partager avec Poutine qu’il ne le croyait jusqu’ici. La vieille alliance entre les deux puissances revient à l’honneur, comme si l’équilibre des forces en Europe était une réalité tenace, profonde, qu’aucune puissance terrestre ne peut facilement remettre en cause.

Pour Hollande, c’est un camouflet. Après avoir mené une politique de toréador en Ukraine contre Poutine, après avoir fait le bras de fer sur l’avenir d’Assad, la France plie. Que de temps perdu…

Turquie, Israël, et autres convives

Mais qui d’autre aurait pu prêter son concours aux terroristes de l’Etat Islamique?

La Turquie vient d’expulser huit Marocains pour des liens suspects avec l’Etat Islamique. Mais Erdoggan ne s’est pas toujours montré aussi pointilleux avec cet Etat. Lorsqu’une bombe a ravagé le cortège d’un parti kurde, en septembre, beaucoup ont pensé que les services turcs avaient plus ou moins aidé à la réalisation de l’attentat. Toutefois, il semblerait que les services turcs aient averti plusieurs les services français de l’arrivée de terroristes, sans grande réaction française.

Les attentats bénéficient-ils à Israël? Dans la pratique, l’Etat Islamique, mis en difficulté par les Russes, sert plutôt la cause israélienne qu’il ne la dessert. Les Israéliens ont un intérêt objectif à l’affaiblissement de la Syrie, pas à sa remise en ordre. Et l’intervention possible d’une coalition contre Daesh ne sert pas la cause de la faiblesse.

Il faudrait ici examiner la stratégie des Etats du Golfe, de l’Egypte, du Maroc, pour comprendre comment s’entremêle géopolitique et terrorisme.

Dans tous les cas, les événements du 13 novembre profitent au « régime syrien », qui a pu surseoir de quelques mois à son imminente disparition.

Article écrit par Eric Verhaeghe pour son blog

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Né en 1968, énarque, Eric Verhaeghe est le fondateur du cabinet d'innovation sociale Parménide. Il tient le blog "Jusqu'ici, tout va bien..." Il est de plus fondateur de Tripalio, le premier site en ligne d'information sociale. Il est également  l'auteur d'ouvrages dont " Jusqu'ici tout va bien ". Il a récemment publié: " Faut-il quitter la France ? "

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