Enjeux et solutions de la lutte contre la déforestation

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Par Philippe Get Modifié le 20 avril 2022 à 12h16
Enjeux Et Solutions De La Lutte Contre La Deforestation

Depuis de nombreuses années, la forêt Amazonienne défraie la chronique en tant que principal front où se joue la lutte mondiale contre la déforestation. Cette forêt forme le plus grand réservoir de biodiversité au monde et représente une superficie de 550 millions d’hectares. Si elle s’étend sur neuf pays, 63% de sa superficie totale se situe au Brésil. On comprend donc que la lutte contre ce phénomène repose majoritairement sur les efforts menés par le plus grand pays du continent sudaméricain, qui polarise de fait l’attention du public et des médias. 6play a récemment diffusé un documentaire consacré à ce sujet.

Etant donné que l’élevage constitue la première cause de déforestation en forêt Amazonienne, quels sont les spécificités de la filière qui expliquent la complexité de la lutte contre le phénomène ? Comment inciter les producteurs à faire évoluer leurs pratiques ? De quels outils dispose -t-on pour tenter de juguler la déforestation, et quelles perspectives se dessinent ?

La pluralité des acteurs complexifie la coordination des efforts anti-déforestation

Malgré les préoccupations croissantes autour de la préservation de l’environnement, le phénomène de la déforestation en Amazonie ne connait pas de ralentissement significatif. A l’inverse, la forêt amazonienne a perdu 13 000 km2 au cours de l’année 2021. Comment expliquer qu’il soit si complexe de lutter efficacement contre ce fléau ? Outre l’immense superficie concernée par le phénomène (10 fois la taille de la France au Brésil uniquement), la principale explication réside dans la nature presque pyramidale de la chaine logistique de la filière viande au Brésil. L’existence de nombreux fournisseurs indirects pose un véritable défi en termes de traçabilité : avant d’être acheminé vers un abattoir, un animal a en effet été engraissé dans une autre ferme, après être né dans une tierce exploitation. Au Brésil, on dénombre 390 000 fermes implantées dans la forêt amazonienne, ce qui représente 90 millions d’animaux. On le comprend, la filière viande brésilienne se caractérise par un grand nombre de petits producteurs, et la multiplicité des acteurs agit comme un facteur diluant la responsabilité de chacun. Il est en effet difficile d’identifier avec précision quel intermédiaire a eu recours à des pratiques de déforestation. En outre, beaucoup de fournisseurs indirects ne sont pas membres des accords et programmes anti-déforestation tel que le terme d’ajustement de conduite (TAC da Carne) mis en place par l’Etat brésilien, compromettant ainsi l’ensemble de la chaine. Face à ce constat, l’enjeu est donc de resserrer significativement le maillage d’acteurs engagés dans cette lutte, c’est-à-dire faire en sorte qu’un maximum de fermes rejoignent ce type de programmes et prennent les dispositions idoines.

Quels axes de lutte contre la déforestation se dessinent ?

Engagée dans la lutte contre la déforestation depuis 1995, l’ONG brésilienne Imaflora a lancé le programme Boi na Linha (ligne de bonne conduite) qui a pour objectif d’harmoniser les règles de contrôle qui s’appliquent aux fermes. Ce programme vise également à intégrer davantage de petits abattoirs afin qu’ils s’engagent à ne pas acheter de viande issue de terres déforestées. La prise de responsabilité et l’engagement volontaire de souscrire à davantage de contrôle forme l’un des axes majeurs cités par la directrice d’Imaflora Maria Piatto dans le documentaire de 6Play. A long terme, il apparait en effet que les acteurs de la filière viande au Brésil y aient un intérêt direct, étant donné l’évolution des exigences des consommateurs en termes de qualité, mais surtout de traçabilité et de respect de l’environnement. Ne pas s’engager davantage dans la lutte contre la déforestation pourrait conduire les éleveurs et abattoirs à s’aliéner les marchés européens (en particulier français) de plus en plus vigilants sur ces questions. Si cette incitation fondée sur la nécessaire adaptation aux exigences des consommateurs apparait comme un angle pertinent, elle semble insuffisante pour lutter efficacement contre un phénomène de cette ampleur. L’Europe constitue en effet une part marginale des exportations brésiliennes de viande. Également sollicité par l’équipe du documentaire, le Président de l’ABEIC (Associação Brasileira das Indústrias Exportadoras de Carnes, l’organisation professionnelle de la filière viande nationale) explique que seule 24% de la production brésilienne de viande est exportée, et que les principaux marchés sont la Chine et Hong Kong.

Le second axe évoqué par Imaflora est un plus grand contrôle de la part du gouvernement fédéral brésilien et des Etats concernés par la déforestation. D’après Maria Piatto, la directrice de l’ONG, les autorités devraient faire preuve de plus de volontarisme politique en la matière.

Le troisième axe présenté par le documentaire de 6Play est celui du recours croissant et démocratisé aux innovations technologiques permettant de garantir une meilleure transparence. Cela passe par un meilleur suivi des fournisseurs indirects, ainsi que la facilitation de leur contrôle via de l’imagerie satellitaire. NicePlanet Geotecnologia propose ainsi un système de géomonitoring satellitaire qui permet de suivre le comportement des producteurs en termes de déforestation. Selon le représentant de la plateforme, le système est de plus en plus utilisé : il équipe désormais 87 entreprises et couvre une surface de 85 millions d’hectares. Un autre outil technique vise à améliorer la traçabilité en permettant aux acteurs situés en aval de la chaine de valeur de s’assurer que leur fournisseurs ne sont pas liés à la déforestation. Il s’agit de la solution logicielle Visipec, développée par NWF international, via laquelle n’importe quel acteur de la filière peut consulter la fiche d’un producteur afin de disposer d’un maximum d’information le concernant. Ce listing peut aussi être consulté par le gouvernement, les ONG et la société civile. Si ce type de pratique se généralisait, les exploitations illégales (qui ne respectent pas le Code Forestier brésilien) n’auraient plus la possibilité de s’insérer dans la chaîne de production.

Enfin, Imaflora explique qu’il faut également encourager la réciprocité entre les fermiers et les ONG : ces dernières doivent apporter au premiers les résultats de leurs recherches afin de leur permettre d’améliorer leur pratiques.

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