Espérance de vie : la désinformation démographique

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Par Jacques Bichot Publié le 25 mai 2016 à 5h00
Esperance Vie Oms Etude Chiffres
72,7L'espérance de vie en 2012 pour une femme était de 72,7 ans.

Dans le Figaro du 21 mai 2016, un article sur l’espérance de vie résumait une étude de l’OMS – l’Organisation Mondiale de la Santé.

L’importance de ce sujet étant capitale, je suis allé sur le site de l’OMS consulter le document « statistiques sanitaires mondiales ». Ce que j’y ai lu est incroyable. Au lieu d’écrire « l’espérance de vie à la naissance, en 2012, était de 72,7 ans pour les femmes et 68,1 ans pour les hommes, l’OMS affirme froidement : « une petite fille née en 2012 peut s’attendre à vivre en moyenne 72,7 ans et un petit garçon né la même année 68,1 ans ».

Un tel propos est-il une erreur involontaire ou une tromperie volontaire, je l’ignore. Ce que je sais, comme tous les démographes et tous les économistes qui apportent à la démographie l’intérêt que mérite son importance pour l’analyse économique, c’est que l’on ne peut absolument pas s’attendre à ce que les bébés nés l’année A ait comme longévité l’espérance de vie à la naissance calculée pour l’année A. En effet, celle-ci indique ce que serait la longévité moyenne pour les personnes nées l’année A si, tout au long de leur existence, leurs taux de mortalité par âge étaient ceux observés l’année A. Autrement dit, en l’espèce, l’affirmation de l’OMS ne serait exacte que si de 2012 à 2100 il ne se produisait aucune modification (et en particulier aucun recul) en matière de mortalité.

Or, précisément, les rapports de l’OMS, année après année, nous annoncent que l’on constate, presque partout dans le monde, et presque pour tous les âges, un recul des taux de mortalité. Si cette évolution se poursuit, ce qui est dans l’ordre des choses possibles, les petites filles nées en 2012 vivront en moyenne jusqu’à un âge nettement supérieur à 72,7 ans. Il peut aussi arriver une catastrophe sanitaire produisant un effet contraire : l’avenir n’est écrit nulle part !

Les erreurs publiées par l’OMS ne sont pas fondamentalement techniques, mais conceptuelles. Le mot « espérance » nous fait penser à une projection dans l’avenir, à une prévision, alors qu’il s’agit en statistique (et donc en démographie) d’un simple instrument mathématique. Précisément, l’espérance de vie à l’âge N calculée l’année A est un indicateur synthétique des taux de mortalité par âge observés pour cette année A.

Pour se faire une idée de ce que pourrait être la longévité moyenne des personnes ayant atteint l’âge N au cours de l’année A, il faut faire une hypothèse concernant les taux de mortalité futurs : ceux à l’âge N+1 l’année A+1, ceux à l’âge N+2 l’année A+2, et ainsi de suite. L’hypothèse selon laquelle tous ces taux seront égaux à ceux de l’année A est évidemment très commode, mais son degré de vraisemblance est infime. Il est déjà plus sérieux de s’appuyer sur une prolongation des tendances observées pour l’évolution des taux de mortalité – à condition de rester bien conscient du fait que ce n’est qu’une hypothèse.

L’importance économique de ces considérations arides est extrême. En effet toutes les rentes viagères dépendent de la mortalité et de son évolution. C’est donc le cas de tous les régimes de retraite. Selon que les progrès seront plus ou moins rapides en matière d’alimentation, d’hygiène de vie et de médecine, selon que les agents infectieux (microbes, virus, etc.) évolueront de manière plus ou moins dangereuse pour notre santé, et selon bien d’autres évolutions relatives à nos comportements et à notre environnement, les taux de mortalité par âge changeront plus ou moins. Mais bien malin celui qui pourrait prédire de tels changements des décennies à l’avance !

Nos systèmes de retraite doivent donc être organisés de façon à pouvoir s’adapter à des scénarios très divers : si leur gestion se base sur la prise au sérieux des interprétations fantaisistes des espérances de vie que des organismes tels que l’OMS livrent en pâture aux journalistes et au public, attention aux lendemains qui déchantent !

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Jacques Bichot est économiste, mathématicien de formation, professeur émérite à l'université Lyon 3. Il a surtout travaillé à renouveler la théorie monétaire et l'économie de la sécurité sociale, conçue comme un producteur de services. Il est l'auteur de "La mort de l'Etat providence ; vive les assurances sociales" avec Arnaud Robinet, de "Le Labyrinthe ; compliquer pour régner" aux Belles Lettres, de "La retraite en liberté" au Cherche Midi et de "Cure de jouvence pour la Sécu" aux éditions L'Harmattan.

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