Interview de Christophe Roland, Directeur du pôle industrie d’Ynergie, sur la décarbonation du secteur industriel

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Par Philippe Get Modifié le 13 décembre 2022 à 20h37
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Si la transition énergétique est devenue présente à l’esprit et à l’initiative de nombreuses entreprises ces dernières années, le secteur industriel semble en plein questionnement quand il s’agit de s’engager pleinement sur la voie de la décarbonation. Pourtant, des solutions existent et se généralisent peu à peu pour limiter son impact carbone. Nous en avons discuté avec Christophe Roland, directeur pôle industrie d’Ynergie, groupe spécialisé dans la rénovation énergétique. .

Pouvez-vous vous présenter ?

Je suis le directeur du pôle industrie d’Ynergie depuis un an : mon rôle est de développer notre activité chez les industriels français en priorité, dans le métier très particulier de la décarbonation, un vaste sujet dont on parle beaucoup aujourd’hui mais souvent mal compris.

Ynergie a fait de la rénovation énergétique son expertise depuis plus de six ans. Fort de son expérience auprès du secteur résidentiel notamment, Ynergie a pleinement conscience de la nécessité qu’ont également les industriels de migrer en faveur de l’efficacité énergétique, et plus largement de la décarbonation. Le groupe a donc fait le choix de créer un pôle industrie pour concevoir un accompagnement sur-mesure des industriels que ce soit sur leurs sites existants ou lors d’une création de site.

Dans le secteur de l’industrie, après avoir subi la crise du COVID, les industriels prennent aujourd’hui de plein fouet l’augmentation des prix de l’énergie. Pour un redémarrage de l’économie, c’est compliqué. Et je ne parle même pas des problèmes d’approvisionnement en matières premières.

De plus, il y a une épée de Damoclès au-dessus des têtes des industriels depuis plusieurs années, à savoir l’augmentation de la taxation liée aux émissions de carbone. En effet, aujourd’hui, la taxe est calculée à 45 euros pour la tonne de carbone : en 2030, nous serons aux alentours de 100 euros la tonne… l’ère de l’énergie « bon marché » est terminée, elle va être de plus en plus chère et cela va motiver les industriels à investir pour transformer leurs modèles.

Pensez-vous que cette augmentation va accélérer la transition énergétique ?

Je travaille sur ces questions d’efficacité énergétique depuis près de vingt ans et le principal frein que nous avions pour la transition énergétique, c’était le prix du mégawattheure. Là où nous avions auparavant une énergie électrique à 75 euros du mégawattheure, c’est aujourd’hui plus près de 110 et 200 euros. Donc oui, la transition énergétique s’accélère au même rythme que les retours sur investissement qui sont divisés par 2, voire par 3.

Pour nous, cette question du prix est un vrai levier, puisqu’il force la prise de conscience et accélère les actions pour réduire les consommations énergétiques. Le deuxième phénomène, c’est que l’État français a beaucoup investi dans le plan France Relance et maintenant France 2030, avec une enveloppe conséquente de 34Mds d’euros pour réindustrialiser la France dont 5,6Mds d’euros ciblés sur la décarbonation des industriels, en particulier pour que les entreprises françaises deviennent résilientes en matière d’approvisionnement et d’utilisation de l’énergie.

Comment travaillez-vous au quotidien ?

Concrètement, dans notre accompagnement, lorsque nous arrivons chez un industriel, nous déployons une méthodologie très précise, en une dizaine d’étapes, où le projet passe à travers une grille d’audit. Nous établissons un bilan carbone initiale, puis imaginons les possibilités de décarbonation à travers différents scénarios. Nous établissons ensuite un nouveau bilan carbone cible avec les investissements, les aides et les frais d’exploitation associés. L’industriel peut alors se positionner sur le rythme de décarbonation qu’il souhaite adopter. Nos propositions vont de la décarbonation progressive à la neutralité carbone à moyen terme.

En priorité, nous regardons de près les consommations d’énergie fossile, gaz et fioul, que l’on va chercher à remplacer par autre chose. Puis, au niveau industriel, nous investiguons pour détecter d’éventuelles pertes énergétiques, qui sont potentiellement valorisables pour faire des économies. C’est le premier volet d’un bilan carbone, le volet énergie, qui représente souvent entre 60 et 80% des émissions de carbone sur un site industriel.

Ensuite, nous nous concentrons sur les consommations d’eau, la production d’effluents et de déchets liquides, puis sur les déchets solides et les polluants qui sont utilisés pour faire fonctionner ou pour entretenir les machines. De la même façon que pour le volet énergie, nous proposons des solutions pour réduire et recycler. Enfin, s’il reste des émissions de carbone, on peut proposer des solutions de captation de CO2.

Vous avez lancé récemment votre propre plateforme numérique, pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?

Nous accompagnons nos clients industriels à la fois pour rénover des sites existants ou pour la création de nouveaux sites. Or, que ce soit pour la construction de A à Z ou pour la rénovation, des financements existent pour accompagner ces projets. Notre plateforme digitale Carbon Footprint Dynamic (CFD) nous permet de démontrer la décarbonation et rassurer ainsi les financeurs qui souhaite constater les résultats de leurs investissements. Au-delà, cette plateforme, permet à l’industriel de manager son empreinte carbone en temps réel et aussi de démarrer les premiers concepts de l’usine 4.0.

Comment peut-on mesurer l’empreinte carbone d’un site en temps réel ?

Tout d’abord, il n’est pas possible d’avoir la mesure des émissions de carbone en direct via un capteur. Il faut donc mesurer tous les intrants générant des émissions puis passer par des tables de conversion dont les coefficients changent tout au long de l’année.

Par exemple, si l’on prend le facteur de conversion de la production d’électricité, l’été on va être à peu près à 80 kilos équivalents Co2 pour 1 MWh alors que l’hiver on est plutôt à 170 kilos voire encore plus si nous redémarrons des centrales de production à charbon.

On va convertir des kilowattheures, des mètres cubes d’eau et des tonnes de déchets solides dans la même unité celle des tonnes équivalentes CO2. Notre plateforme digitale Carbon Footprint Dynamic va agréger toutes ces données pour nous donner un chiffre de référence en temps réel.

Cela est lié au fait que l’électricité ne provient pas toujours de centrales nucléaires, mais parfois de centrales thermiques au gaz ou, malheureusement, au charbon. Étant données ces variations, nous devons faire du temps réel pour avoir une mesure précise. Comme nous n’avions pas trouvé sur le marché d’outil capable de faire ça, nous avons développé notre propre plateforme.

Qu’est-ce qui vous différencie de vos concurrents ?

Nous proposons une approche assez innovante et globale. Jusqu’à il y a quelques mois, nous n’avions pas de concurrents directs. Aujourd’hui, des « facility managers » de grands groupes commencent à bouger sur ce sujet. Ce qui va nous différencier, c’est d’abord que nous sommes précurseurs avec notre approche globale et que nous avons une plateforme dont les autres ne disposent pas.

Mais surtout, nous sommes tiers de confiance : nous ne sommes ni fournisseurs d’énergie, ni vendeurs d’équipements. C’est très important pour nos clients car la décarbonation est un processus nouveau : les industriels ne veulent pas faire d’erreur et avoir un acteur qui les accompagne tout au long du processus, qui soit à la fois leur confident et leur référent.

Lorsqu’un fournisseur d’énergie ou un équipementier vend sa solution de décarbonation, on doit s’attendre à ce qu’il essaie d’inclure d’autres services : si vous ne connaissez rien à la décarbonation, vous risquez d’accepter des offres commerciales qui ne correspondent pas à vos besoins. Nos clients apprécient donc notre indépendance du point de vue que nous leur proposons.

Dernier point, nous réalisons une veille technologique constante et les innovations ne manquent pas dans le domaine de la décarbonation. Nous sommes en mesure de proposer les dernières technologies suffisamment matures pour que nous puissions les mettre en œuvre chez nos clients.

Pourquoi les industriels font-ils appel à vous ? les blocages administratifs ?

Oui, il y a la question administrative dans un environnement qui change souvent, mais ce n’est pas le plus compliqué. Le projet de décarbonation doit avant tout répondre à des enjeux industriels et non pas à une chasse aux subventions. Je vous prends un exemple : un industriel produit de l’eau chaude dans son processus, avec du gaz, puis consomme de l’électricité. Demain, il veut se décarboner et se passer du gaz.

Les solutions de substitution au gaz sont nombreuses : s’il fait du froid, il peut récupérer du chaud sur la production d’eau glacée et passer par une pompe à chaleur qui valorise son énergie ou deuxième solution, il met une chaufferie biomasse. Troisième solution, il change sa chaudière à eau chaude et ses brûleurs pour passer à un biocombustible enfin il pourra aussi tout électrifier.

Faire ce choix n’est pas simple : il faut faire varier les scénarios, bien déterminer les données d’entrée et faire de la prospective, c’est-à-dire par exemple évaluer comment le prix de la biomasse va évoluer dans le temps, comment les prix des biogaz ou des bio fioul vont changer, et ainsi de suite. Il y a là un vrai choix stratégique à faire.

Évidemment, ces choix varient parfois du tout à tout, puisqu’une usine agroalimentaire n’a pas les mêmes enjeux qu’un site industriel transformant du bois. Ce niveau de complexité dans le domaine de l’énergie, des consommations d’eau, de la gestion des déchets, de gestion des polluants appelle un métier spécifique celui de l’ingénierie de la décarbonation. Croisement entre différentes discipline techniques, nous assurons en interne la formation de notre personnel sur ce nouveau domaine.

D’autant plus que nous sommes dans un contexte où les entreprises ont tendance à se concentrer de plus en plus sur leur cœur de métier exclusif. Ils cherchent donc à s’appuyer sur des partenaires reconnus pour les compétences de leurs équipes.

Le secteur industriel avance donc sur la transition énergétique ?

Oui, aujourd’hui, les choses s’accélèrent. Nous avons beaucoup attendu collectivement et la transition va être un peu brutale, il y aura des gagnants et des perdants. Aujourd’hui, pour des questions de coût du carbone et de coûts énergétiques des acteurs gros consommateurs d’énergie ont été obligés de fermer leurs portes temporairement, voire définitivement.

Pour ceux qui vont tarder, ça va être encore plus difficile. Je vois la transformation de notre marché opérer au quotidien. Toutes les semaines, nous sommes contactés par des industriels qui nous appelle au secours suite à une renégociation de leur contrat d’énergie !

Nous avons commencé à parler de décarbonation il y a dix ans, et désormais, nous ne sommes plus dans la réflexion mais dans l’action avec la flambée des coûts énergétiques, la taxation carbone, les enjeux environnementaux et le financement structuré pour la transition énergétique.

Pour éviter un réveil trop difficile, il faut vraiment se lancer et ne plus repousser l’inéluctable.

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