Les relations entre le Kazakhstan et la Russie refroidies par la guerre en Ukraine

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Par Rédaction Modifié le 27 mai 2022 à 22h49
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L'offensive russe en Ukraine qui a débuté 24 février dernier a provoqué un effroi de la communauté internationale. De nombreux pays ont décidé d'isoler la Moscou à coups de sanctions économiques. Une réaction plutôt logique de la part du monde occidental et de ses alliés. Cependant, d'autre pays d'Asie centrale jusqu'ici très proches du Kremlin ont décidé de suivre ce mouvement. C'est le cas Kazakhstan qui s'éloigne de Moscou et montre sa volonté de se rapprocher, économiquement et politiquement de l’Europe et des Etats-Unis.

Le Kazakhstan est un allié de Moscou, autrefois pays satellite de l'empire russe puis de l'URSS. Le plus grand pays d’Asie centrale, est également un acteur économique clé avec des réserves de pétrole énormes. Le Kazakhstan et la Russie partagent 6846 kilomètres de frontière soit la frontière terrestre la plus longue de la Russie. Les deux pays font tous deux partie de l'OCS (l'’Organisation de Coopération de Shanghai). Cette dernière vise à assurer la « stabilité » de l’Asie centrale. Le Russie et le Kazakhstan sont également alliés au sein de l’Organisation du Traité de Sécurité Collective (OTSC, union politico-militaire regroupant 6 anciennes républiques soviétiques autour de la Fédération de Russie), et de l’Union économique eurasienne (une sorte de marché commun post-soviétique) – trois éléments essentiels de l’action extérieure de la Russie et de son influence régionale.

Le Kazakhstan est le 9 ème plus grand pays du monde avec 2 724 900 km2 représentant plus de cinq fois la France. Le pays est enclavé sans accès à une mer ouverte. De plus, environ 20% de ses habitants est d’origine russe et semblaient garantir une fidélité sans faille d’Almaty à Moscou. Mais la guerre en Ukraine a changer la donne. La société civile s’est rapidement mobilisée. Le 6 mars, alors que les manifestations anti-guerre étaient réprimées à Moscou, un rassemblement de plusieurs milliers de personnes se déroulait dans le calme à Almaty, bientôt suivi par d’autres. Et le 10 avril, un festival était organisé pour recueillir des fonds pour l’Ukraine.

Le mouvement est toutefois allé plus loin. Ainsi, début mars 2022, le président Kassym-Jomart Tokayev s'est engagé à envoyer du matériel pour répondre aux demandes d’aide humanitaire de Kiev. Le 9 mars, le Premier ministre Alikhan Smailov indiquait alors que 82 tonnes d’aide seraient directement envoyées en Ukraine. Le 14 mars sont parties 28 tonnes de fournitures médicales. L'opération a été organisée par le ministère de la santé. Il n’est pas inintéressant d’observer que ce vol et les suivants étaient dirigés vers l’aéroport de Katowice, en Pologne – pays membre de l’OTAN et jouant un rôle essentiel dans le soutien à la résistance ukrainienne. Un message qui peut sembler subliminal vu d’Occident mais qui, dans un espace politico-culturel où l’on est habitué à lire entre les lignes, prend toute sa signification.

Depuis le début de l'invasion russe, le Kazakhstan a également permis à de nombreux réfugiés de passer sur son territoire afin de fuir vers d'autres pays comme la Turquie ou encore les pays européens.

Au plan symbolique, une autre décision n’a pas pu passer inaperçue à Moscou. Les autorités ont officiellement annoncé que, pour la première fois, il n’y aurait pas de défilé militaire le 9 mai pour célébrer la fin de la « Grande Guerre Patriotique, et ce alors que c’était le jour choisi par Vladimir Poutine pour dénoncer depuis la Place rouge les « nazis ukrainiens » et ceux qui les soutenaient à l’ouest.

Au passage, le Kazakhstan est devenu un refuge pour les opposants au régime de Poutine qui fuyaient la Russie. Plus de 12 000 « réfugiés » russes ont récemment reçu les documents leur permettant de s’y installer et d’y travailler.

Enfin, pour que les choses soient tout à fait claires, les déclarations des politiques se sont faites plus concrètes. Dans une interview du 29 mars, le premier vice-directeur de l’administration présidentielle, Timur Suleimanov, affirmait que le pays n’accepterait pas d’être utilisé pour contourner les sanctions contre Moscou : « Nous ferons de notre mieux pour contrôler les biens sanctionnés. Nous ferons de notre mieux pour contrôler tout investissement au Kazakhstan provenant d'une personne ou d'une entité sanctionnée et c'est une chose que nous voulions communiquer ouvertement aux Européens ».

Au passage, Suleimanov égratignait la propagande du Kremlin : « Nous n'avons pas de problème à appeler les choses par leur nom. La Russie a choisi d'introduire une législation pour interdire le mot "guerre". Ils l'appellent une opération militaire spéciale. Mais au Kazakhstan, nous l'appelons ce qu'elle est, malheureusement… Bien sûr, la Russie voulait que nous soyons davantage de son côté. Mais le Kazakhstan respecte l'intégrité territoriale de l'Ukraine. Nous n'avons pas reconnu et ne reconnaîtrons pas la situation de la Crimée, ni celle du Donbas, car les Nations unies ne les reconnaissent pas. Nous ne respecterons que les décisions prises au niveau des Nations unies. » Dont acte.

Pour Washington et Bruxelles, il semble urgent d’offrir a Kazakhstan des perspectives qui l’encourageront à s’éloigner encore plus de Moscou et à intensifier sa collaboration avec l’ouest.

L’Union européenne est actuellement le premier partenaire commercial du Kazakhstan, suivent la Chine et la Russie. Le pays d'Asie centrale entretient une coopération énergétique avec l'Europe exportateur de pétrole, de gaz et d’uranium. Cependant, les choix qui ont été posés à Almaty à l’occasion de la guerre en Ukraine et les réformes en cours après les incidents du 6 janvier et qui visent à démocratiser et à moderniser le pays pourraient ouvrir une nouvelle page dans ses relations, tant au plan politique qu’à celui de l’économie. En avril, l'agence de notation internationale « Standard & Poor's » confirmait la notation du crédit souverain du Kazakhstan à "BBB-/A-3", avec une perspective "stable". Il s'agit de la note de crédit la plus élevée parmi les pays post-soviétiques, à l'exception des États baltes, qui ont rejoint l'Union européenne.

Un proche conseiller du gouvernement kazakh affirmait le 24 avril : « Il est très important que l'Union européenne et les États-Unis soutiennent le Kazakhstan dans son statut neutre et sa politique étrangère indépendante. L'Occident devrait aider à maintenir l'indépendance économique du Kazakhstan en soutenant le cours de la modernisation politique et économique et en attirant les investissements étrangers. »

Pour l’Europe, l’enjeu est d’autant plus important que le Kazakhstan partage sa deuxième plus grande frontière terrestre avec la Chine dont on connaît les immenses appétits économiques. L'Europe pourrait donc profiter des distances prises par le Kazakhstan avec la Russie pour se rapprocher d’Almaty. Ancrer le pays dans une relation stable et pérenne avec l’ouest serait tout à fait pertinent pour l'Europe.

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