Moins d’impôts ne signifie pas moins de services publics

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Par Ludovic Grangeon Modifié le 25 janvier 2019 à 9h32
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OPINION

Ludovic Grangeon a été le premier Président du Comité de Normalisation des Services Publics, installé par la délégation Générale à la Modernisation de l’État et l’Afnor, lors de la publication de la Directive Européenne sur les Services d’Intérêt Général.

Un débat fréquent court dans l’opinion : les Français sont attachés à leurs services publics mais veulent payer moins d’impôts. Le pouvoir voudrait faire croire qu’il faut choisir et supprimer des services pour payer moins d’impôts. Ce raisonnement malhonnête est du dernier ridicule. Il faut y voir au contraire un chantage malsain d’une administration coincée qui ne veut pas lâcher une position devenue absurde, cramponnée à de derniers privilèges dépassés et nuisibles.

Les demandes actuelles de référendum citoyen, de temps de respiration, proviennent de ce constat. Les Français ont raison parce qu’ils sont les premiers à observer tous les jours un énorme gaspillage de crédits, d’organisation, de fonctionnement, assorti d’un management ringard comme on n’en voit plus depuis 1970. La France est totalement asservie à un système bureaucratique tel qu’il a été défini par Max Weber ou Hannah Arendt : « un système complexe de bureaux où ni un seul, ni les meilleurs, ni le petit nombre, ni la majorité, personne ne peut être tenu pour responsable, et que l’on peut justement qualifier de règne de l’Anonyme ». L’administration bloque toutes les décisions pour asseoir son pouvoir, qui ne dépend pas des objectifs mais d’une règle impersonnelle sans rapport avec le domaine auquel elle s’applique.

Il est même certain que nos services publics peuvent fonctionner plus efficacement avec beaucoup moins d’impôts. Il faut par contre les refondre totalement et non les réformer. Toutes les économies imposées depuis 15 ans l’ont été dans une logique comptable, froide, anonyme et théorique, qui a aggravé au contraire les performances des services publics. Les hauts fonctionnaires persuadés de leur compétence ont même imposé ces règles lorsqu’ils sont allés pantoufler dans des grandes entreprises, inoculant ainsi le virus bureaucratique à d’immenses parties du secteur productif, avec les dégâts que l’on constate.

Contrairement à certaines légendes, une liberté d’organiser au plus près du service améliore les performances. Le Prix Nobel d’Economie Elinor Ostrom l’a suffisamment démontré dans l’autogouvernance, gestion raisonnée des biens communs, après les premières ébauches de Joseph Stiglitz, dans ses critiques de la Banque Mondiale. L’État confond contrôle et organisation. Son administration devrait être au service des personnels de terrain, au lieu de les accabler.

Un seul exemple suffit : le rythme administratif horaire imposé aux personnels hospitaliers est purement théorique et aberrant. Pour s’adapter à la réglementation, les personnels font 12 heures d’affilée à un rythme d’enfer presque illégal, et récupèrent par la suite, avec beaucoup plus de fatigue, de risque d’erreur, et un rythme de travail très nocif pour leur équilibre personnel. Lors de leur repos compensateur, ils sont éloignés du service pendant quelques jours et doivent revoir toutes les consignes quand ils reviennent, souvent sans connaitre les patients, s’ils retrouvent un collègue qui a le temps de leur expliquer. La moindre absence pour congé ou maladie est un drame pour le personnel car la chaine de travail calculée au plus juste est rompue. De ce fait, la totalité du service ne peut fonctionner correctement et souvent les personnels sont obligés de renoncer à des repos pour combler les carences. Les tensions sont très grandes entre une direction administrative qui fonctionne par divisions, secteurs, crédits fixes, comme au Moyen Age du management moderne, et un personnel soignant solidaire de bas en haut jusqu’aux médecins pour dénoncer une pression purement administrative et comptable sans aucun rapport avec la réalité. Même les médecins de pointe sont soumis à l’abattage, avec des suicides parmi eux. Les hôpitaux sont regroupés en grands centres hospitaliers, loin des malades et deviennent des usines où les coûts ne sont pas du tout diminués, mais au contraire aggravés par la complexité.

Malheureusement, la gestion des bâtiments publics, les infrastructures, le système de santé, la défense nationale, la culture, la justice dépendent tous de ce système. Roger Fauroux ou René Lenoir, tous deux anciens ministres, ont tour à tour dirigé l’ENA avec passion et colère devant de tels dysfonctionnements. Leurs espoirs ont vite été balayés. Il n’est pas rare de voir un procureur de la République avec un ordinateur en panne, un bâtiment refait à neuf laissé sans entretien et refait dix ans plus tard, des chasse neiges centralisés qui mettent 6 heures à atteindre les routes en cas d’alerte, des militaires avec des armes sans munition, des gendarmes sans essence pour faire leurs patrouilles, une police désespérée par un management ringard, un équipement de misère, et une formation au rabais, des musées élitistes entre bobos loin du peuple français, des enseignants broyés par des programmes scolaires ayant quasiment changé tous les ans sans logique, une éducation des arts infime et inadaptée, des ambassades au train fastueux avec un personnel plus important que les USA pour une présence fade et inexistante, une francophonie entre soi qui se rétrécit chaque année malgré des crédits dispendieux.

Ce qui est le plus frappant, c’est l’incapacité de l’appareil d’État français à entrer dans le XXIème siècle. Notre administration fonctionne toujours avec une notion de l’organisation qui date des années 50-70. Quelques modernisations étaient intervenues à cette époque. Elles ont été balayées dans une nostalgie du pouvoir central qui n’a jamais accepté la décentralisation. Malheureusement, cette fausse décentralisation n’a pas amélioré les collectivités locales, enfermées dans un carcan qui les empêchait de diminuer leur inertie. Certains petits barons locaux ont reproduit des modèles de fonctionnement tout aussi creux et en petit cercle. Le livre Absolument débordée de Zoe Shepard décrit également cette gabegie avec humour et férocité.

Toutes les personnes du monde productif, industrie, agriculture, services, sont consternées par la lourdeur et l’incapacité de l’administration à répondre à leurs besoins de fonctionnement. Il suffit pourtant de laisser la parole à l’usager des services publics pour améliorer considérablement le fonctionnement de l’État et des collectivités, à moindre coût, et certainement pour une bien meilleure performance.

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Ludovic Grangeon a été partenaire de plusieurs réseaux d’expertise en management et innovation sociale de l'entreprise. Il milite à présent pour le développement local et l’équilibre des territoires au sein de différentes associations. Il a créé en grande école et auprès des universités  plusieurs axes d’étude, de recherche et d’action dans le domaine de l’économie sociale, de la stratégie d’entreprise et des nouvelles technologies. Il a également été chef de mission et président de groupe de travail de normalisation au sein du comité stratégique national Afnor management et services. Il a participé régulièrement aux Journées nationales de l’Economie, intervenant et animateur. Son activité professionnelle a été exercée dans l'aménagement du territoire, les collectivités locales, en France et auprès de gouvernements étrangers, à la Caisse des Dépôts et Consignations, dans le capital risque, l’énergie, les systèmes d’information, la protection sociale et la retraite.

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