Au-delà des foules: la population locale en première ligne pour opérer la transition vers un tourisme durable

Des scientifiques financés par l’UE travaillent avec les communautés locales de régions méconnues pour créer des stratégies touristiques qui valorisent le patrimoine tout en assurant une durabilité à long terme.

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By Horizon Published on 4 novembre 2025 5h30
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Au-delà des foules: la population locale en première ligne pour opérer la transition vers un tourisme durable - © Economie Matin
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Les destinations touristiques les plus prisées d'Europe sont victimes de leur succès. De Paris à Dubrovnik, le tourisme de masse entraîne surpopulation et pollution. Pourtant, non loin de ces zones très fréquentées se trouvent des régions désireuses d'accueillir des visiteurs. Des chercheurs financés par l'UE pensent avoir trouvé un moyen de canaliser le tourisme de façon plus durable.

L'un de ces lieux est Trebinje, située dans le sud de la Bosnie-Herzégovine. Avec son riche passé historique, son climat méditerranéen et ses produits savoureux (qu'il s'agisse de ses vins corsés ou de son miel doré), cette ville a beaucoup à offrir. Son tissu urbain témoigne de plusieurs siècles d'influences culturelles diverses, notamment ottomane, vénitienne et austro-hongroise.

Pourtant, et malgré sa proximité avec Dubrovnik, située à seulement 30 kilomètres, Trebinje reste absente de la plupart des guides touristiques.

De l'autre côté de la frontière, Dubrovnik illustre parfaitement le problème du surtourisme. Avec une population d'environ 41 000 habitants, elle a accueilli 1,4 million de visiteurs en 2024, selon les données du ministère croate du Tourisme. Pour Trebinje, la leçon est claire. Pour développer le tourisme sans reproduire les erreurs de sa voisine, elle doit suivre une voie différente.

Les communautés d’abord

Trebinje faisait partie des huit sites pilotes d’une initiative quadriennale financée par l'UE, appelée TExTOUR, qui a pris fin en septembre 2024. Les partenaires du projet ont expérimenté des méthodes innovantes pour promouvoir le tourisme durable dans des régions peu fréquentées.

Pour Isidora Karan, architecte bosniaque, chercheuse en urbanisme et responsable locale du projet TExTOUR, la proximité de Trebinje avec des pôles touristiques tels que Dubrovnik, la baie de Kotor au Monténégro et Mostar en Bosnie représente un atout, mais aussi un défi.

«En été, un grand nombre de nos jeunes partent y travailler, et nous craignons de voir la ville se vider si nous ne trouvons pas des moyens inclusifs et novateurs d'associer ces jeunes au tourisme culturel», a-t-elle expliqué.

Plutôt que de mettre en œuvre des solutions toutes faites, les chercheurs ont collaboré avec les communautés pour identifier les atouts locaux et concevoir des projets touristiques qui leur conviennent. L'utilisation de technologies comme les capteurs et les QR codes s'inscrit dans leur démarche, mais l'interaction avec les habitants reste au cœur du projet.

«Développer le tourisme culturel d'une région est un processus auquel la communauté dans son ensemble doit participer activement, afin que les solutions mises en œuvre correspondent à ses propres intérêts et à ses besoins réels», déclarait Daniel Basulto, spécialiste de la conservation qui a coordonné le travail des chercheurs.

Cette démarche axée sur la communauté s’accorde parfaitement avec la prochaine stratégie touristique de la Commission européenne, qui privilégie la durabilité et l'innovation. 

L'expérimentation de nouveaux modèles: de Trebinje au Portugal 

M. Basulto travaille au sein de la Fundación Santa María la Real, une organisation à but non lucratif basée à Aguilar de Campoo, dans le nord de l'Espagne, qui promeut un tourisme durable axé sur le patrimoine culturel. 

Pour tester leur approche, M. Basulto et son équipe ont choisi des lieux dans huit États membres de l'UE et trois pays hors UE: la Bosnie-Herzégovine, le Liban et l'Ukraine.

L'objectif n'était pas d'attirer des foules immenses, mais plutôt de renforcer la résilience. «Nous ne cherchions pas à inonder ces régions de touristes. Notre objectif était d'assurer leur durabilité, afin que les habitants puissent y rester, plutôt que de partir chercher du travail ailleurs.»

M. Basulto lui-même n'est pas étranger à la vie rurale, car il a choisi de vivre à Aguilar de Campoo, une commune rurale de 6 000 habitants. 

«Je suis venu ici parce que je voulais fonder une famille dans un cadre rural et être en contact direct avec le patrimoine et le paysage», a-t-il déclaré.

Culture vivante

À Trebinje, l'équipe de TExTOUR a commencé par se mettre à l'écoute de la population. Des ateliers ont été organisés pour que les habitants puissent partager leurs idées sur l'avenir touristique de leur ville. 

Mme Karan a souligné que les participants à ces ateliers ne souhaitaient pas que le tourisme de masse rende leur ville invivable, observant que le tourisme faisait déjà grimper les prix de l'immobilier et provoquait une urbanisation anarchique.

«Ce phénomène transforme l'image de la ville et compromet son caractère unique à nos yeux,» a-t-elle ajouté.

L'un des objectifs visait à mettre en lumière des sites patrimoniaux peu valorisés pour les intégrer à la vie de la cité. Il s'agit notamment de Krš, l'un des plus vieux peuplements urbains de la région de Trebinje, qui a subi des décennies de dégradation malgré son importance historique. 

En 2023, l'équipe a créé un festival d'art à Krš, revitalisant ainsi ce quartier. Avant l'événement, les membres du projet se sont mêlés aux résidents, aux artistes et aux artisans de la région.

«Les personnes vivant à Krš ont vraiment apprécié et elles nous ont aidé à installer une pergola temporaire», rapporte M. Karan. La pergola, érigée pour le festival, est devenue une structure permanente qui a été utilisée pour les festivités annuelles au cours des deux années qui ont suivi.

Une autre tactique a consisté à attirer l'attention sur des lieux situés en périphérie du centre historique afin d'éviter la surpopulation, ce qui a conduit à la création de parcours thématiques vers les points d'intérêt dans les zones rurales avoisinantes. 

Tout au long de ces itinéraires, des codes QR permettaient d'accéder à des informations et des récits en rapport avec les différents sites, y compris des détails sur les sentiers de randonnée, les pistes cyclables, les descentes en kayak et les moyens de transport.

Les chercheurs se sont également associés à Slow Food Trebinje, une section locale du mouvement international Slow Food, afin de créer une petite école de gastronomie. Les étudiants en hôtellerie ont appris à réinventer des plats traditionnels afin de préserver leurs compétences (et leurs emplois) dans la ville même.

Les gardiens du paléolithique

À plus de 3 000 kilomètres de là, dans le nord-est du Portugal, la vallée de la Côa abrite l'un des plus importants ensembles d'art rupestre du Paléolithique en Europe. Des milliers de gravures représentant des chevaux, des aurochs et des chèvres jalonnent les berges de la rivière Côa, ce qui a valu à la vallée le classement au patrimoine mondial de l'UNESCO en 1996. 

Pour préserver ces œuvres d'art fragiles, les visites sont limitées à des visites guidées de nuit. Les ateliers organisés par l'équipe de TExTOUR ont encouragé les résidents locaux à s'impliquer davantage lorsqu'est née l'idée de former jeunes et anciens de la communauté à devenir des protecteurs du patrimoine culturel.

Les jeunes de 12 à 25 ans et les seniors de plus de 60 ans ont ainsi eu l'occasion d'en apprendre davantage sur la conservation du patrimoine et l'histoire locale. L'objectif était de contribuer à la protection du site, tout en diffusant ces connaissances auprès des touristes, des écoles et des universités. 

«Notre but était de faire connaître le site tout en préservant son caractère unique», a indiqué M. Basulto.

Un tourisme axé sur les communautés locales

Selon M. Basulto, la principale leçon de TExTOUR est claire: la communauté est l'élément moteur. Le tourisme durable doit se construire avec les communautés locales.

À l'heure actuelle, il est engagé dans une nouvelle initiative de l'UE, ULTREIA Sudoe, qui fait la promotion des aliments et produits artisanaux traditionnels le long des chemins du célèbre pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle. Il prévoit également d'utiliser des capteurs pour surveiller le nombre de visiteurs et mieux gérer les fréquentations.

«Il ne s'agit pas tant d'augmenter les capacités d'accueil que de mettre en place des activités qui attirent les visiteurs et leur permettent de découvrir notre patrimoine, tout en préservant notre culture», a-t-il affirmé. 

Le tourisme demeurera un élément clé de l'économie européenne. Mais les expériences réalisées à Trebinje, dans la vallée de la Côa et dans d'autres sites montrent qu'il existe une alternative viable. Une alternative dont les communautés elles-mêmes prennent les rênes.

Les recherches présentées dans le cadre de cet article ont été financées par le biais du programme Horizon de l’UE. Les opinions des personnes interrogées ne reflètent pas nécessairement celles de la Commission européenne.

Cet article a été publié initialement dans Horizon, le magazine de l’UE dédié à la recherche et à l’innovation.

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